Accueil de familles à la MECS Saint-Joseph; un fils et son père avec un éducateur Jean-Claude Dupouy
Protection de l'enfance

En Gironde, un service d'Apprentis d'Auteuil accompagne les parents d'enfants placés

REPORTAGE. À la Maison d’enfants Saint-Joseph de Blanquefort, en Gironde, un service accompagne les parents dont les enfants ont été placés. Une initiative qui fait ses preuves auprès des familles, des équipes et, de plus en plus, des magistrats. Par Agnès Perrot.  

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Dans une Maison d'enfants d'Apprentis d'Auteuil, un service accompagne les parents dont les enfants ont été placés. Reportage.

Dans la voiture, l'échange a démarré. Il est 9h 30 ce matin de décembre dans le Médoc et Jean-Claude Dupouy, éducateur spécialisé, vient de commencer sa journée. Sa mission ? Accompagner les parents d'enfants placés dans leurs responsabilités éducatives. Comme Jean (1), le père de famille assis à ses côtés, qu'il véhicule jusqu'à Saint-Joseph, une maison d'enfants d'Apprentis d'Auteuil en région bordelaise. Son fils Clément (1), âgé de 12 ans, y vit depuis trois ans, sur décision du juge. 

Accueil de familles à la MECS Saint-Joseph; un éducateur, Jean-Claude Dupouy discute avec une collègue
Jean-Claude Dupouy, éducateur familles à la maison d'enfants Saint-Joseph, en pleine discussion avec une collègue du service de placement à domicile. (c) Astrid Lagougine/Apprentis d'Auteuil

Refaire famille 

« Mon but, explique l’éducateur, est de suivre les parents d'enfants placés sur la durée, à l'occasion des temps de visite qu'ils ont avec leurs enfants (2), comme ce matin, mais également en tête-à tête. Je travaille avec eux leur positionnement de pères et de mères, leur apprends à poser des cadres, à gérer les frustrations de leurs enfants, à cuisiner si besoin avec eux, les encourage, les mets devant leurs responsabilités, quitte à ce que nous nous affrontions sur tel ou tel point, par exemple lorsque le besoin de limites n’est pas posé pour un enfant. » 

Un suivi qui peut conduire, selon les situations, à des temps de rencontres parents-enfants placés plus fréquents et réguliers, voire, si le climat s'apaise, à un retour des enfants au domicile.

À l’origine de la création du service, fin 2019, une réflexion menée par Vincent Peudenier, directeur de la Maison d'enfants : « Les équipes éducatives observaient régulièrement l'évolution positive de certains enfants qui aurait pu justifier leur retour au domicile familial, explique-t-il. Mais le positionnement de leurs parents n’évoluait pas suffisamment pour que cela soit possible, malgré des années de placement. Nous ne les sentions pas suffisamment avertis et responsables. Il nous fallait trouver une solution. »

Accueil de familles à la MECS Saint-Joseph; un fils et son père avec un éducateur Jean-Claude Dupouy
Jean-Claude Dupouy (à droite) avec le jeune Clément et son père, qu'il accompagne. (c) Astrid Lagougine/Apprentis d'Auteuil

Un lieu chaleureux

10h. Quelques points éducatifs posés en chemin par le professionnel, les deux hommes arrivent à  la Maison d'enfants. Accompagné de son éducatrice référente, Clément attend son papa avec impatience. Père et fils se retrouvent, en présence de Jean-Claude Dupouy, dans un salon spécialement aménagé pour les familles. Tout à la joie de leurs retrouvailles, ils ne tardent pas à se lancer dans une partie de foot sur la pelouse voisine.

Une mission nouvelle - ou plus exactement, différente - pour l'éducateur spécialisé. Après un long temps à travailler en institution directement auprès des jeunes, il suit désormais une dizaine de familles (parents) dont les enfants sont accueillis tout au long de l'année à Saint-Joseph ou suivis chez eux par le service de placement à domicile de l'établissement.

Besoin d'apaisement 

« L'accompagnement de Jean (1) est récent, poursuit Jean-Claude, mais il est encourageant.  Même si c'est encore compliqué pour lui, ce père fait preuve de bonne volonté et semble décidé à s'investir. Il a renoué il y a peu avec son fils. Il faut faire confiance tout en étant exigeant, accepter les ratés, rectifier si nécessaire sans condamner, encourager, recommencer, etc. ». Un vrai travail de dentelle !

La plupart des familles suivies par le service sont en situation de grande précarité sociale et souffrent de carences affectives, de problèmes de santé, de confiance en leurs capacités. Elles n'ont pas toujours les mots pour communiquer avec leurs enfants qu'elles voient de manière épisodique. Bien souvent, les parents sont séparés, les pères absents. Quant aux jeunes, après des expériences de rupture ou d'abandon, ils sont en recherche de liens forts avec leurs pères et leurs mères et éprouvent un besoin immense d'apaisement dans la relation.

« La force du dispositif, c'est qu'il considère les parents comme de vrais partenaires. Nous prenons  le temps de construire avec eux une relation de confiance, qui nous permet de mieux les connaître et de repérer des difficultés périphériques souvent présentes (NDLR logement, santé, mobilité, etc.). Ce soutien global les rend plus disponibles pour travailler leurs postures parentales.Tout est imbriqué », précise encore l'éducateur.

Accueil de familles à la MECS Saint-Joseph; un fils et son père jouent au foot.
Père et fils retrouvés jouent au ballon devant la maison d’enfants. (c) Astrid Lagougine/Apprentis d'Auteuil

Tout en souplesse

12h. La mère de Clément vient chercher son fils pour l'après-midi. Croisant le père de son enfant (le couple est séparé), visiblement heureuse du changement de posture qui s'amorce chez lui, elle prend le temps de le remercier pour sa présence - inhabituelle et bienvenue - la veille, à une nouvelle audience du tribunal.

Tout en souplesse, les rendez-vous de Jean-Claude Dupouy avec les parents se déroulent souvent à la MECS, mais aussi, selon l'éloignement ou les situations, à domicile, chez une grand-mère, au restaurant, dans un parc... Tout dépend des projets, des objectifs et de la météo. Depuis deux ans, le professionnel propose également des séjours familles très appréciés, en bungalow dans un camping, au moment des vacances d’été. Une autre façon d’observer les relations. Et d'avancer ensemble. 

Poser des limites

12h30. Nouvelle visite. Toujours en voiture, Jean-Claude Dupouy a rendez-vous, cette fois, à la gare voisine avec la maman de Yann (1), 10 ans, suivi à temps partiel en ITEP (Institut thérapeutique éducatif et pédagogique). Il va passer une partie de la journée avec elle et son fils.

Les présentations faites, la mère de famille raconte : « Aujourd'hui, mes relations sont encore compliquées avec mon fils qui vit avec un handicap. Mais je suis contente de la qualité d'écoute - jamais connue de la sorte avec des travailleurs sociaux - vécue  depuis quelques mois avec le service. Ce suivi me permet de mieux comprendre mes réactions parfois excessives avec lui. Au fil du temps, j'apprends à le regarder autrement, à lui poser de plus en plus de limites. Des droits de visite supplémentaires viennent de m'être accordés par le juge. »

Accueil de familles à la MECS Saint-Joseph; un éducateur, Jean-Claude Dupouy, va chercher une maman à la gare de Blanquefort
La journée continue : en rendez-vous avec un nouveau parent devant la gare ! (c) Astrid Lagougine/Apprentis d'Auteuil

Des avancées réelles

Un point de vue partagé par Adèle (1), une maman qui vient de récupérer la garde de ses enfants, après avoir bénéficié, plusieurs mois durant, du suivi du service. Elle n'avait pas eu de nouvelles d'eux pendant plus d'une année (ils avaient été enlevés par leur père). « Grâce à l'équipe, je vais mieux. Mes enfants retrouvent petit à petit une stabilité. Je les sens plus ouverts, davantage à mon écoute. »

Jean-Claude Dupouy confie. « Le métier de parent est compliqué. C'est un joie réelle d'aider, avec mes moyens, à stabiliser les relations des parents avec leurs enfants. Je ne travaille pas avec eux par hasard. Ils m'aident aussi à avancer. »

Plusieurs points du service sont encore à travailler, comme la fiabilité des familles à honorer les visites ou la place et l'engagement des pères. Mais l'équipe fait le constat d’avancées réelles, avec des parents qui vont mieux et des tensions qui s’apaisent. 



(1) Le prénom a été changé.
(2) Destinés à maintenir les liens des enfants retirés de leur milieu familial avec  leurs parents, ces temps de rencontre sont prévus régulièrement par la loi. On les appelle visites médiatisées.