Témoignages
12 décembre 2018

Jacques Argentin, la réussite au coeur

Orphelin de père et de mère, Jacques Argentin a passé ses années d’adolescent à la Maison Saint-Philippe, à Meudon (92), un établissement d'Apprentis d'Auteuil. Loin de sa Normandie natale, il coule des jours heureux
dans le sud de la France et raconte avec simplicité son parcours d'entrepreneur, de la société de meubles de bureau jusqu'à RBC, l'entreprise de design fondée par son fils Franck.

C’est à Paris, dans le show-room de RBC que Jacques Argentin a fait escale pour raconter son parcours hors du commun. RBC pour « Rayonnage Bureau Collectivité » ou pour « Rangement Bureau Contemporain », comme il le précise. Ce groupe, fondé par son fils Franck en 1987, fait sa fierté : spécialisé dans le mobilier contemporain, il distribue les plus grands noms du design et accompagne les particuliers, tout comme les entreprises privées ou publiques, dans leurs projets d’aménagement. Des étagères sans vis ni boulons que Jacques a lancées avec succès dans les années 1960 à la société spécialisée dans l’architecture et le design contemporain, créée et développée son fils, telle est la trajectoire exceptionnelle de cette lignée d’entrepreneurs.

Orphelin à dix ans

« Je suis né en 1937, dans un village tout proche du pont de Tancarville, en Normandie. Vous connaissez ? Un ouvrage remarquable, une prouesse technique. » Jacques Argentin naît à Notre-Dame de Gravenchon, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Son père, électricien dans une grosse société de Seine-Maritime, décède du tétanos dans les tout premiers temps de la guerre, à 20 ans. Sa mère meurt de la même maladie à l’âge de 27 ans à l’Hôtel Dieu de Rouen, laissant son petit garçon de dix ans orphelin. « Je me souviens bien de ma mère, toute menue, si gentille, avec ses taches de rousseur. Elle savait être dure aussi, car j’étais insupportable. À son décès, j’ai été confié à ma grand-mère, une forte femme. J’étais infernal. Je n’obéissais à personne. C’était mon enfance… »

 L’adolescence au pensionnat

À 14 ans, le jeune Jacques rate son certificat d’études. Sa grand-mère décide de l’envoyer aux Orphelins Apprentis d’Auteuil, à Meudon. « L’établissement s’appelait Saint-Philippe. J’y suis resté quatre ans, de 1951 à 1955. Mes premières impressions ? Celles d’un lieu où les enfants avaient de grosses difficultés : dès mon arrivée, je me suis fait voler dans mon casier les chocolats que ma grand-mère m’avait donnés ! » Jacques s’adapte. Lui restent en souvenir l’immense dortoir sans intimité, le froid qui règne dans ce grand bâtiment où les fenêtres sont gelées l’hiver, l’eau froide pour la toilette, l’office quotidien, le métier d’ajusteur outilleur qu’il apprend sans l’avoir choisi, la camaraderie entre tous ces adolescents ballotés par la vie. « Pourtant, nous n’étions pas malheureux. C’était l’époque, la loi de la débrouille. Nous n’étions pas méchants. J’étais copain avec la dame de la cuisine que j’allais voir pour le petit déjeuner. J’allais chercher du rab en douce. J’étais souvent puni, mais pourquoi, je ne sais plus. Au lieu d’aller au cinéma avec les autres, je me retrouvais à astiquer les marches de Saint-Philippe. Je me souviens aussi du père Adrian qui vérifiait la propreté de nos oreilles et de nos orteils à la lampe de poche. »

L'envol et la liberté

À 18 ans, le jeune homme rêve de voler de ses propres ailes. Il est embauché par une entreprise de pièces détachées pour l’automobiliste Simca. Le père Chenu, le directeur, accueille son patron, venu en personne le chercher dans l’établissement, par un: « Vous aurez du fil à retordre avec celui-là !» Très bientôt, la routine le rattrape, le travail répétitif ne convenant guère à un jeune homme pressé de réussir. Il claque la porte de l’entreprise et retourne à Saint- Philippe, le temps de rebondir, auprès des pères Adrian et Chenu. Les petits boulots se succèdent: représentant en vins fins, démonstrateur en outillage. « J’étais assez révolutionnaire à l’époque ! Je me révoltais contre les inégalités de la vie. »

Direction le Sud

En 1957, il part effectuer son service militaire de 28 mois. Son statut de pupille de la Nation le préserve d’un départ en Algérie. C’est là, à l’armée, qu’il rencontre sa future femme, Éliane, secrétaire du colonel dont il est le chauffeur. Les deux jeunes gens se marient. « À notre mariage, nous étions 10. Ce jour-là, les gendarmes sont venus m’arrêter pour m’amener en prison. Ils m’avaient confondu avec un homonyme, plus âgé que moi ! Je me souviens particulièrement de ce jour-là ! »

Des étagères sans vis ni boulons

Éliane est originaire du sud de la France, elle aime le soleil. Le couple décide de s’établir en Corse. Le jeune couple démarre de rien, travaille beaucoup, fait des projets. « J’ai eu de l’énergie grâce à ma femme. C’était une battante, très organisée, économe. Je n’aurais pas réussi tout ce que j’ai entrepris sans elle. Nous avons tout bâti à deux. Elle m’a ouvert à beaucoup de choses. » Jacques Argentin monte son affaire d’étagères « Argentin SA », sur une idée lumineuse : des étagères métalliques sans vis ni boulon, qui tiennent grâce à un simple crochet. C’est un succès. En 1978, il est approché par la mafia qui lui demande de payer « un impôt ». Jacques Argentin refuse. La villa du couple est plastiquée quelques temps plus tard. « Ça nous a fichu un vrai coup sur la tête… Nous avons alors tout vendu et quitté l’île. Je n’ai aucune animosité, mais ce n’était plus possible de rester. »

La passion du design

Jacques et Eliane s’installent à Lunel, dans l’Hérault, et s’octroient du temps avant de redémarrer une autre affaire, afin de digérer cet épisode douloureux. La nouvelle entreprise commercialise du meuble de bureau, des rayonnages. Bientôt, Jacques Argentin fait construire un immense local à Gallargues-le-Montueux.
Son fils Franck, né en 1964, entre dans l’entreprise. Le jeune homme aime par-dessus tout l’architecture, le design. Il demande à Philippe Starck de concevoir son premier show-room à Nîmes, en 1987. Suivent des collaborations prestigieuses, comme la conception du point de vente de Montpellier par Jean Nouvel, en 2012.
« C’est Franck qui drive tout, précise Jacques. Il est très fort, c’est un passionné. Aujourd’hui, à 81 ans, je n’ai plus de responsabilités, je suis au conseil d’administration de la société. Et je voyage, pas plus de trois quatre jours à chaque fois, c’est mon plaisir. Le passage à la fondation m’a donné la rage de réussir. La rigueur, je l’avais déjà, j’avais appris la discipline dans mes jeunes années. Quand on démarre de rien, comme moi, on se pose des questions. Il faut se battre, car la vie n’est pas simple. »

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