Société
27 janvier 2022

La prostitution des adolescentes, un phénomène grandissant en France

Missionnées par Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles, Hélène Pohu, sociologue, et Mélanie Dupont, psychologue à l'APHP et présidente du Centre de victimologie pour mineurs, rendent leur rapport sur "La prostitution des mineurs en France" (1), ce 28 février. Interview croisée.

Quel tableau donner de la prostitution des adolescentes aujourd’hui ?

Hélène Pohu : On parle souvent de 7 000 à 10 000 adolescents, mais ces chiffres sont sous-estimés. Il existe une vraie difficulté à repérer et quantifier cette pratique aujourd’hui. 
Mélanie Dupont : Il s’agit principalement de filles, qui ont 12/13 ans pour les plus jeunes d’entre elles, et de 14 à 17 ans en moyenne. La prostitution est généralement la finalité d’un parcours de vie traumatique. On retrouve souvent un environnement familial fragilisé, des événements traumatisants, comme des violences sexuelles, des blessures émotionnelles ou relationnelles… 

Pourquoi la prostitution des adolescentes est-elle si peu connue en France ?

MD : Certains pays ont lancé de grandes enquêtes. En France, nous avons accès aux dossiers judiciaires. Mais la plupart des situations restent tues : ces pratiques sont peu revendiquées ou banalisées. Les jeunes filles ne parlent pas de prostitution mais d’escort ou de “travail”, elles disent qu’elles vont “bosser”, qu’elles sont consentantes. Elles ne se perçoivent pas toujours comme victimes.  
HP : On découvre aussi une prostitution protéiforme, plus difficilement identifiable et repérable. Il existe une multiplicité de parcours et de comportements, de modes de recrutement ou de mise en relation avec les clients, de lieux et de temps… Cette pratique ne cible plus que les jeunes “défavorisés”, mais toutes les classes sociales. Certaines adolescentes se prostituent de manière occasionnelle, voire ponctuelle. Il existe aussi une méconnaissance des pratiques numériques, et des mises en relation entre proxénètes et jeunes filles. 

Comment prévenir ce phénomène auprès des jeunes filles ?

HP : Il faut informer les professionnels éducatifs et sensibiliser le grand public, adolescents et parents ! Nous préconisons des campagnes à l’école sur la prostitution, les violences, les réseaux sociaux... mais aussi sur la sexualité en général. La loi Aubry de 2001 sur l’éducation à la sexualité en milieu scolaire n’est pas suffisamment appliquée. 
MD : Il faudrait parler de sexualité, de consentement ou de respect du corps dès la maternelle ! Des associations lancent aussi des maraudes sur les réseaux sociaux pour entrer en relation avec les jeunes filles.  

Quel soutien apporter aux jeunes victimes ?

HP : Les jeunes filles ont besoin de justice et d’un accompagnement éducatif pour se reconstruire. Lieux d’accueil d’urgence pour les jeunes filles en danger, espaces d’écoute ou prise en charge… il n’existe pas de solution unique ! À nous de nous adapter, d’innover et d’agir au cas par cas !  
MD : Il ne faut pas se focaliser sur la prostitution - qui n’est que la finalité - mais aborder le jeune dans sa globalité. Nous devons réussir à traiter ce qui s’est passé avant : beaucoup de jeunes vont raconter leur parcours prostitutionnel sans émotion, et pleurer en évoquant un père absent. Je m’adresse aux professionnels : continuez à accompagner ces adolescents en souffrance comme vous le faites habituellement ! 

Retrouvez, ici, l'article "Prostitution : la violence faite aux adolescentes"
Longtemps passé sous silence ou éloigné des feux de l’actualité, le phénomène de la prostitution des mineurs interpelle, inquiète. Qui sont ces jeunes filles principales victimes ? Comment entrent-elles dans le système ? Peut-on prévenir ce phénomène ? Éléments de réponses.
(1) Recherche - action pluridisciplinaire sur la prostitution des mineurs en France, Pohu H., Dupont M., Gorgiard C. Un rapport réalisé par le Centre de victimologie pour mineurs - Janvier 2022. 

Une vidéo choc pour alerter 
Dans le cadre du plan de lutte contre la prostitution des mineurs, le gouvernement lance, ce 28 février, une campagne de communication pour alerter sur les dangers de la prostitution des mineurs qui concerne majoritairement des filles. Et ce, à travers une vidéo choc diffusée à la télévision, au cinéma, sur les plateformes vidéo et les réseaux sociaux.