A Beyrouth, le centre d'accueil de Dora protège et fait grandir des jeunes filles en danger
Soutenu par Apprentis d’Auteuil, le centre d’accueil de jour des sœurs de Notre-Dame du Bon-Pasteur de Dora contribue depuis 2020 à la protection et à l’autonomisation des jeunes filles, les soutient au niveau scolaire, et prévient les maltraitances au sein des familles. Il est situé dans un des quartiers les plus densément peuplés de Beyrouth, où la majorité des familles vivent avec moins de 100 euros par mois. Un programme d’aide est lancé par la fondation depuis le mois de janvier. Reportage.
Sur un parking, sous une pluie diluvienne, nous avons rendez-vous, sœur Marie et moi. Je la retrouve les bras chargés de sacs, peinant à retenir son parapluie. C’est après beaucoup d’insistance qu’elle accepte de se faire aider. « Ce sont des confiseries pour les enfants, me dit-elle, j’en ai rapporté pour tous les goûts. Suivez-moi, le centre est au bout de cette rue. » Dans un immeuble délabré du quartier de Bourj Hammoud, l’un des plus densément peuplé de Beyrouth, la congrégation des Sœurs du Bon Pasteur a investi deux appartements, au second et au sixième étage, pour en faire un centre d’accueil de jour pour les jeunes filles en difficulté scolaire. « Il est urgent de déménager, confie sœur Marie, car la capacité d’accueil est faible, nous ne pouvons accueillir plus de 45 filles, de 5 à 18 ans »
Un besoin de soutien urgent
Les moyens manquent cruellement au centre, le soutien des institutions ou des particuliers au Liban étant inexistants, en raison de la grave crise politique et financière que traverse le pays depuis des années. Le soutien de partenaires comme Apprentis d’Auteuil, qui œuvre au côté des sœurs du Bon Pasteur et des équipes au Liban depuis quinze ans, est crucial. Un programme audacieux pour venir en aide aux jeunes filles en danger, bâti et mis en œuvre par la fondation et les équipes libanaises, est de plus lancé depuis le mois de janvier. Il comprend l’accompagnement des jeunes filles, celui de leurs parents dans leurs missions éducatives, et la formation de professionnels (voir encadré).
Ouvert l’après-midi après les cours, l’accueil de jour compte un superviseur, deux assistantes sociales, une psychologue et des éducateurs. Outre le soutien scolaire et le suivi psychologique, Dora met à la disposition des élèves des activités thérapeutiques et ludiques, des classes de yoga et de théâtre, organise des activités externes, telle des sorties à la découverte du pays.
Il est 15 heures, les enfants commencent à affluer, les uns seuls, d’autres, accompagnés par un adulte, un parent ou un tuteur. Nous nous installons face à Nayiri Arslanian, l'assistante sociale, qui nous expose les situations auxquelles elle doit faire face. Celle, par exemple, d’une famille plongée dans la misère du quartier de Bour- Hammoud, une banlieue très pauvre de Beyrouth. Le père est en prison, la maman éprouve de grandes difficultés à s’occuper seule de ses trois filles mineures, dans un espace qui n’excède pas 50 m2. « Cette famille ne compte pas parmi les cas les plus difficiles (il n’y a ni violence ni abus), précise Nayiri, mais si le centre n’intervient pas à temps pour prendre soin d’elle, la situation s’aggravera. »
Prévenir le décrochage scolaire et les maltraitances
Dora est certes un centre de protection, mais aussi de prévention où l’on accompagne les jeunes filles pour renforcer leurs capacités à grandir sereinement et à envisager leur insertion dans la société en femmes actives et épanouies. Le soutien scolaire, social et psychologique qui y est dispensé est déterminant dans leur parcours, elles qui courent de graves risques de décrochage scolaire, d’abandon de leurs études, puis d’exposition à toutes sortes de dangers. « Quand une maman se présente au centre pour demander de l’aide et nous exposer son cas, poursuit Nayri, nous mettons en place un suivi avec son approbation, qui est indispensable, un plan de travail, et nous la rassurons. Ses filles seront prises en charge. » Nayri intervient souvent auprès des mères, pour les responsabiliser et insister sur l’importance de la communication au sein de la famille.
Une grande partie du travail est fait par les assistantes sociales qui connaissent les quartiers. Souvent sur le terrain, elles sillonnent les rues, posent des questions aux habitants, se font connaître afin de pouvoir venir en aide à ceux qui ignorent l’existence du centre. Dora couvre cinq quartiers considérés les plus défavorisés du secteur, mais les besoins de la population sont bien supérieurs à sa capacité d’accueil, comme le déplore Nayiri : « Il nous arrive d’être contraints à faire des choix, déplore l’assistante sociale. Ce sont donc les cas les plus à risque et les plus urgents qui ont la priorité. »
Outre le suivi scolaire, le centre de Dora est un espace d’accueil et d’écoute. « Les jeunes filles ne se livrent pas toujours facilement, il faut du temps pour instaurer une certaine confiance », ajoute Nayiri. Les jeunes filles sont acceptées à Dora à condition d’être scolarisées, sinon le centre les oriente vers des établissements offrant des formations gratuites. Après le premier entretien, un programme éducatif peut être lancé.
Rester positif dans l’adversité
Les plus jeunes bénéficient, eux, de temps d’animation ludiques : dessin, théâtre, chansons, jeux, etc. Au sein de ces ateliers, les enfants mettent beaucoup d’eux-mêmes et de leur vécu dans les histoires qu’ils inventent, un moyen pour eux de s’exprimer, de se libérer, de guérir. La thérapie avec les enfants exige de la patience, mais aussi beaucoup de dialogue et une coordination avec les parents. Un des aspects clés de l'accompagnement réside dans le renforcement des parents dans leurs capacités éducatives et la prévention des violences. « L’amour et l’attention que nous portons à nos élèves est le point fort du centre, précise Nayri. Nous mettons tout en œuvre pour que les jeunes filles restent positives et avancent dans la vie. »
Le centre de Dora est intransigeant quant à la réussite scolaire. « Les filles n’ont pas le choix, insiste Nayiri. Il est vrai qu’elles sont issues d’un milieu très pauvre, qu’elles vivent dans des conditions difficiles, avec, souvent, des parents non éduqués. Les bases sont fragiles, mais notre devoir est de sauver ces jeunes filles et de les armer pour la vie. C’est d’elles que nous tirons notre force, elles sont notre espoir. Elles nous invitent à ne jamais baisser les bras ! »
Le témoignage de Mary, 13 ans
« Mon papa nous a quittées ma maman et moi pour épouser une femme syrienne et fonder une nouvelle famille. Il ne demande jamais après nous, ne pourvoie à aucune de nos dépenses. Je peux dire que je n’ai pas de père. Ma mère est très sévère et autoritaire, nous avons beaucoup de mal à communiquer ensemble, en plus des difficultés financières. Le travail de ma mère (aide à domicile) sert à peine à nous nourrir et à payer l’école.
Pour renforcer mon niveau scolaire, j’ai décidé, il y a trois ans, de rejoindre le centre de Dora des Sœurs du Bon-Pasteur. Moi qui suis très introvertie, je me suis retrouvée assez isolée au départ, et je me défoulais à la sortie de l’école. Avec le temps et l’appui de l’assistance sociale et de la psychologue, je me suis beaucoup améliorée et je me suis fait beaucoup d’amies. Nairy, la psychologue, est comme ma seconde mère. Je fais tous les efforts nécessaires pour la rendre fière de moi. Ici, je me sens en sécurité, les professeurs sont aussi très proches de nous.
Les cours terminés, mes amies et moi n’avons jamais envie de rentrer chez nous. Le centre est notre seconde maison. Nous regardons un film, nous organisons des jeux de cartes ou de société, il nous arrive d’aider les plus jeunes dans leurs devoirs. J’ai la chance d’être aidée, alors j’ai envie d’aider à mon tour. Pour me détendre, j’écris des poèmes, je danse et joue au football, mais je rêve de devenir neurologue ou astrophysicienne.
Le centre m’a beaucoup donné. Ma personnalité s’est modifiée et j’ai acquis de la maturité. Je suis très chanceuse d’appartenir à cette famille d’amour. »
Le programme déployé avec Apprentis d’Auteuil au Liban
Le programme d’autonomisation, de protection, de prévention et d’insertion soutenu par Apprentis d’Auteuil est destiné à plus de 800 jeunes filles âgées de 9 à 18 ans, 900 membres de leurs familles et 65 professionnels des trois centres de Dora, de Hammana et de Beyrouth. Il vise à prévenir les risques liés à un contexte familial et social précaire, à contribuer à la protection des jeunes filles, et à les accompagner dans leur insertion professionnelle.
Les actions menées sont :
-la prévention au travers de sensibilisations et de formations
-la protection via un suivi psychosocial adapté
-le soutien à la scolarité et la lutte contre le décrochage scolaire
-l’orientation professionnelle afin de découvrir un panel de métiers et de suivre des formations
-le travail avec les familles afin de contribuer à la création d’un cadre familial sain.
-le renforcement des capacités des professionnels.
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