Education et scolarité

Pourquoi l’école française amplifie-t-elle les inégalités ?

Contrairement à ce que l’on peut lire aux frontons des écoles, le système éducatif français est l’un des plus inégalitaires des pays développés. Non seulement notre école ne corrige pas les inégalités entre élèves, mais elle a une fâcheuse tendance à les amplifier. Explications.

Enquêtes et rapports se suivent et aboutissent au même constat : l'école française ne donne pas les mêmes chances à tous ses élèves. Non seulement notre école ne parvient pas à corriger les inégalités sociales et culturelles avec lesquelles les enfants arrivent, mais notre système éducatif les amplifie tout au long de leur scolarité. C'est ce que souligne la désormais célèbre enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) que l'OCDE mène tous les trois ans dans les pays développés. « En France, les enfants issus d'un milieu défavorisé ont quatre fois plus de risque de faire partie des élèves en difficulté, note Eric Charbonnier, LE spécialiste des questions d'éducation de l'organisation internationale. C'est la probabilité la plus élevée de tous les pays de l'OCDE. Et la situation a tendance à s'aggraver depuis une quinzaine d'années. Le système français est de plus en plus dichotomique : d'un côté, un tiers des élèves s'en sortent très bien et se situent au-dessus de la moyenne. De l'autre, les élèves en difficulté sont de plus en plus nombreux. Ces difficultés scolaires sont très liées au milieu socio-économique des élèves. Ce qui caractérise précisément un système inégalitaire. »

Une enquête inédite

De son côté, le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) livrait au mois de septembre dernier les résultats d'une enquête inédite. Pendant deux ans, cette instance indépendante, créée en 2013 par la loi sur la refondation de l'école, a mobilisé 22 équipes de chercheurs français et étrangers pour mesurer et comprendre l'ampleur des inégalités de l'école française. Verdict : « Les inégalités sociales à l'école se fabriquent tout au long de la scolarité, par strates successives, explique Nathalie Mons, présidente du CNESCO et professeure de sociologie à l'université de Cergy-Pontoise. Inégalités de résultats, d'orientation, d'obtention et de rendement social du diplôme : c'est une longue chaîne de processus inégalitaires, souvent peu identifiés, qui conduit à faire de l'école française un lieu de reproduction sociale. » Une situation qui pourrait sembler paradoxale alors que notre pays mène depuis le milieu des années 1970 des politiques volontaristes de compensation des inégalités : création du collège unique en 1975, de l'éducation prioritaire en 1982, rénovation du collège, multiplication des dispositifs de suivi individualisé des élèves... 

Des répercussions profondes

« Comme le montrent les contributions des chercheurs à ce rapport du CNESCO, ces politiques se révèlent peu efficaces parce qu'elles travaillent à la marge de l'école et des heures de cours, et qu'elles ne changent pas fondamentalement les pratiques pédagogiques et l'expérience scolaire au quotidien des élèves français », analyse Nathalie Mons. Ces inégalités scolaires, qui s'amplifient au collège et déterminent l'insertion sociale et professionnelle d'une partie de la jeunesse française, ont des répercussions profondes : « L'école est l'une des premières institutions de la République avec laquelle les jeunes entrent en relation, souligne Olivier Galland, sociologue et auteur du livre "La machine à trier. Ou comment la France divise sa jeunesse" paru au mois de mars dernier. Si cette institution leur dit qu'ils sont incapables d'acquérir une qualification, une place valorisante dans la société, cela peut avoir des effets très importants sur l'estime d'eux-mêmes, sur leur sentiment d'appartenance à cette société et générer un sentiment de révolte ou d'injustice profond. »

Quelles solutions ?

Pour lutter contre ce particularisme français, les solutions préconisées par nombre de rapports et d'enquêtes vont dans le même sens : prévenir les difficultés lors des premiers apprentissages, individualiser la pédagogie, améliorer la mixité sociale, renforcer l'autonomie des établissements, approfondir la formation des enseignants, donner plus de moyens à l'éducation prioritaire, développer les liens entre familles et école... Si, aux dires des spécialistes, la loi sur la refondation de l'école de 2013 était une première étape, il faut aujourd'hui aller plus loin. Et pourquoi ne pas s'inspirer ce qui marche à l'étranger ? : « Plusieurs pays européens (Allemagne, Royaume-Uni,Pologne) ont engagé des réformes qui ont rendu leur système éducatif moins inégalitaire, note Eric Charbonnier. Au Portugal par exemple, des partenariats avec les municipalités ont permis à des éducateurs d'aider les enseignants en classe. Des enseignants et des chefs d'établissements expérimentés ont été affectés dans les établissements défavorisés. Dans ces pays, la formation des enseignants a été revue en profondeur pour leur permettre de mieux prendre en compte les niveaux hétérogènes des élèves. » 

Les nouveautés de la rentrée

Annoncées par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, les 2500 classes de CP situées en REP+ (réseaux d'éducation prioritaire renforcés qui concentrent les plus grandes difficultés) ont été dédoublées à la rentrée scolaire de septembre. Dans ces classes, le nombre d'élèves doit être limité à une douzaine pour permettre un meilleur suivi de chacun. Cette mesure devrait s'étendre d'ici 2019 aux classes de CP et CE1 situées en REP et REP+. Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, dit attendre les premiers résultats de cette mesure dès le mois de juin prochain. Rendez-vous donc l'année prochaine pour un premier bilan.

Pour en savoir plus

3 questions à Marie-Aleth Grard, rapporteure de l'avis "Une école de la réussite pour tous" du Conseil économique social et environnemental auquel Apprentis d'Auteuil a contribué, vice-présidente d'ATD Quart-Monde. Pourquoi les inégalités scolaires restent-elles très liées aux origines sociales ? 
Dans notre pays, les enfants des milieux défavorisés sont "orientés" dès le plus jeune âge vers des filières spécialisées, voire vers celles du handicap. Le fait que 84 % des jeunes en SEGPA (section d'enseignement général et professionnel adapté) soient issus de milieux défavorisés prouve qu'il existe un déterminisme social affolant dans notre pays.
Dans votre avis, vous préconisez d'ouvrir beaucoup plus l'école aux parents. Pourquoi ?
L'accueil de tous les parents à l'école est un point essentiel pour la réussite de tous. Pour beaucoup d'enfants de milieux défavorisés, il existe un " conflit de loyauté " quand, inconsciemment, ces enfants bloquent les apprentissages parce qu'ils constatent trop de différences entre ce qu'ils vivent à l'école et à la maison. Ils ont alors peur de "trahir" leurs parents.
Vous avez fait un tour de France des établissements scolaires pour recenser les bonnes initiatives. Un exemple ?
Je suis allée dans un collège situé dans un quartier défavorisé d'Amiens où les enseignants mènent une pédagogie de projet qui remotive tous les élèves, même ceux qui avaient baissé les bras. Les équipes éducatives travaillent ensemble. Il n'y a pas de cris, les élèves se respectent. Les portes des classes restent ouvertes. Il existe un espace pour les parents dans l'établissement. Le principal a réussi à emmener tout le monde dans cette transformation. Il existe beaucoup d'endroits dans notre pays où l'école de la réussite fonctionne déjà. Propos recueillis par F.L.