Education et scolarité
01 août 2019

L'éducation à la confiance, coeur de la mission d'Apprentis d'Auteuil

Comment éduquer des enfants, des adolescents, filles et garçons, qui, pour beaucoup, souffrent de ruptures familiales, de difficultés sociales, voire, de carences éducatives ? Cette question traverse la fondation depuis ses origines. De l’intuition de son fondateur, l’abbé Roussel, et de ses successeurs, est née une approche éducative qui prend en compte toutes les dimensions de la personne. Illustrations.

Il y a quelques années, Amélie, 16 ans, arrive dans une maison d’enfants d’Apprentis d’Auteuil, après huit années de placement dans d’autres institutions ou familles d’accueil. Problèmes de comportement, exclusions à répétition, errance, addictions : sa situation familiale est très douloureuse et Amélie le traduit de multiples façons. Les mois passent, ponctués de crises, de progrès, de retours en arrière avec des fugues, des violences. L’équipe ne baisse pas les bras. Elle continue de dialoguer, avec fermeté et bienveillance. Au fil du temps, Amélie finit par se rendre compte de l’impasse où elle se trouve. Le responsable éducatif met alors cartes sur table en lui proposant d’intégrer un service où les jeunes sont plus autonomes, gèrent leur budget, font leurs courses et cuisinent. Pour y rester, il faut mériter ce dispositif, bien se comporter.
« Le passage dans ce service a été un révélateur, souligne Thierry Danos, le directeur. Amélie a été responsabilisée et a pris sa vie en main. Nous sommes partis de là où elle était, sans la juger. En faisant confiance sans a priori. En tablant sur la capacité de chacun à rebondir, à évoluer. Le nœud du problème était la confiance si souvent trahie par les adultes. Une fois qu’Amélie a pu repérer les adultes ressources, fiables, elle s’est libérée de sa carapace de jeune fille agressive et blessée. »

Révéler le jeune à lui-même

Ce récit d’un parcours résilient, pour édifiant qu’il soit, n’est pas unique à Apprentis d’Auteuil. Il éclaire le cœur de la mission de la fondation, qui est l’éducation. Et ses grandes lignes : prendre le jeune là où il est, le mettre en sécurité, s’appuyer sur ses atouts, établir ensemble des objectifs, faire confiance, recommencer, encore et encore, sans perdre courage.
Car l’éducation est une course d’endurance et non un sprint. Jean-Pierre Sauvageot, directeur de la Maison d’enfants La Providence à Montcuq (46), résume : « La fine fleur du travail de l’éducateur est de révéler au jeune ce qu’il est lui-même, c'est-à-dire, ses talents, ses beautés, son originalité. De lui permettre d’en prendre conscience pour qu’il gagne ensuite en confiance. Ainsi, il pourra  trouver sa place, conscient de sa valeur au sein de notre société, et mettre ses talents au service des autres. »  

Youssef Harouchi, avec les jeunes de la section football du collège Saint-François (c) Apprentis d'Auteuil
Youssef Harouchi, avec les jeunes de la section football du collège Saint-François (c) Apprentis d'Auteuil

L’éducation, elle, est essentielle dans le projet de la fondation, dès ses origines, en 1866. L’abbé Roussel, comme le père Brottier presque soixante ans plus tard, a une vision très moderne de ce qu’elle doit être. Bienveillante, tout d’abord.
Fondée sur la confiance (il lui arrive de confier les clés de l’institution au plus indiscipliné des jeunes, qui s’acquitte de sa mission avec le plus grand sérieux). Épanouissante, ensuite (une large place est laissée au sport, à la musique). Ce qui n’empêche pas l’abbé Roussel d’être ferme et de poser un cadre. Des principes révolutionnaires pour l’époque, avec déjà, entre les lignes, ce principe caractéristique de la fondation, qui est d’envisager l’enfant, le jeune, comme une personne aux multiples dimensions qu’il s’agit de développer avec respect.

Un projet éducatif formalisé

D’année en année, ces principes éducatifs sont transmis, étoffés et affinés par l’expérience, au gré du développement des établissements de la fondation. En 1975, Apprentis d’Auteuil les formalise pour la première fois. Dix ans plus tard, une nouvelle donnée y est incluse : la fondation s’est ouverte à la mixité. L’année dernière, son projet éducatif est réécrit, afin de clarifier les missions au regard de la complexité grandissante de l’environnement et des problématiques vécues par les jeunes et les familles. Le projet éducatif 2018 s’organise autour de quatre axes : la personne, considérée dans toutes les dimensions de son humanité (physique, psychologique, psychique, spirituelle…) ; la communauté de vie éducative (jeunes, familles et professionnels) qui pense et agit ensemble ; le chemin éducatif et pastoral, qui permet de découvrir la valeur de sa vie et de trouver sa voie ; la rencontre, pour faire l’expérience de l’altérité et s’enrichir mutuellement dans la relation. Au cœur du projet éducatif, le jeune, qu’il s’agit de faire grandir et progresser.
Youssef Harrouchi, responsable de la vie scolaire au collège Saint-François et de la section football, explique : « Nous essayons toujours de valoriser ce qui fonctionne pour faire progresser le jeune, avec un objectif scolaire, mais aussi éducatif et humain. Pour ces jeunes qui ont des difficultés de concentration ou qui s’ennuient, rester une journée entière assis en classe est tout simplement impossible. Le sport est un levier éducatif formidable ! Le but étant de transférer leur réussite du terrain vers la classe. Nous valorisons au quotidien le respect de soi, des autres et des règles, la persévérance… »

L’importance du quotidien

A la maison d'enfants Le Havre Rose de Lima, le travail éducatif auprès des jeunes (c) Apprentis d'Auteuil
A la maison d'enfants Le Havre Rose de Lima, le travail éducatif auprès des jeunes (c) Apprentis d'Auteuil

Dans les établissements d’Apprentis d’Auteuil, qu’ils soient scolaires ou d’accueil, la vie quotidienne, dans tout ce qu’elle a de banal, revêt une importance majeure. C’est là où les principes éducatifs se transmettent, dans les petits gestes du quotidien. « Mon rôle, explique Stacy Manfroi, maîtresse de maison à la Maison d’enfants Le Havre Rose de Lima (Changé, 53), c’est d’accompagner les jeunes du lever au coucher : préparation du petit déjeuner, devoir, rangement de la chambre, repas… Un rôle éducatif comme pourraient le faire leurs propres parents. Nous vérifions les devoirs ou nous leur demandons de mettre un manteau avant de sortir pour qu’ils ne prennent pas froid. Mon rôle est aussi de les rendre autonomes dans la vie de tous les jours pour qu’ils sachent se débrouiller une fois qu’ils auront quitté la maison d’enfants. Nous avons une relation humaine forte, ils peuvent me confier leurs problèmes, leurs difficultés. »
À l’Internat éducatif et scolaire Saint-Paul, Mathilde Étienney, éducatrice de vie scolaire, accompagne les collégiens sur la journée, les aide à trouver leur place dans l’environnement scolaire et à comprendre à quoi sert un cadre : « C’est, par exemple, réapprendre à écouter le professeur, faire ses devoirs, respecter les autres, faire son lit, ranger sa chambre, etc. Mais aussi, vivre ensemble et développer une attitude positive. Mes collègues et moi souhaitons  que les enfants soient heureux de venir au collège. Qu’ils apprennent à y vivre avec eux-mêmes et avec les autres. Je m’adapte à chacun d’entre eux, j’aide à gérer également les conflits. Je crois en leur capacité de réussir. Je mène ce travail avec mes collègues éducateurs, les enseignants et les familles, toute la communauté scolaire. »

Toute une communauté autour du jeune

A la Maison d'enfants Don Bosco, dans les Ardennes (c) Apprentis d'Auteuil
A la Maison d'enfants Don Bosco, dans les Ardennes (c) Apprentis d'Auteuil

Pour relever ce défi de l’éducation globale, en effet, il est essentiel d’avoir une équipe solide, qui se soutient, affirme Patrice Lejeune, directeur de la maison d’enfants Don Bosco (Monthermé, 08) : « Quand un éducateur dit : « Je n’en peux plus, je n’y arrive plus avec ce jeune », un collègue le soutient et prend le relais. Il peut à son tour, porter un regard positif sur le jeune et la situation. D’où l’importance du travail en équipe. Nous restons des humains avec notre sensibilité. »
Car les équipes, où qu’elles soient, sont parfois malmenées par des jeunes à la sensibilité blessée qui, inconsciemment, cherchent la faille chez l’adulte et des limites, en poussant l’éducateur dans ses retranchements. D’où, là encore, l’importance de l’équipe, des temps pour échanger sur les pratiques, relire sa propre expérience. Ounissa Aksas, éducatrice spécialisée, précise : « Ce qui caractérise la mission d’éducation à Apprentis d’Auteuil, c’est l’accueil du jeune, quel qu’il soit. C’est essentiel. On ne juge pas. Même entre professionnels : nous confrontons nos idées, nous avons le droit de ne pas être d’accord. Mais nous respectons ce que l’autre peut dire et penser. Avec les familles et les jeunes, c’est pareil. »
Olivia Rounord est éducatrice à la Maison d’enfants Saint-Jean (Sannois, 91) : « À la fondation, le jeune est au centre. On croit à sa réussite. Le couple pédagogique-éducatif est aussi une autre de nos particularités. Nous faisons régulièrement le point avec les enseignants lors de réunions où l’on on ne parle pas que de scolarité, mais de tout ce qui touche la vie du jeune. Nous travaillons également avec les familles, en les associant autant que possible à toutes les décisions qui concernent leur enfant, car in fine, le but est que les jeunes retournent chez eux. »

TÉMOIGNAGES Issa en 4ème section sportive foot collège Notre-Dame (28)
« Je suis arrivé ici en 5e car j’avais des problèmes de comportement dans mon ancien collège. Je l’ai choisi pour sa section foot, car j’aime bien ce sport. Avant, je ne voulais pas travailler. Aujourd’hui j’ai un comportement normal. Nous travaillons beaucoup les questions de respect, de fair-play sur le terrain. Mes résultats scolaires se sont améliorés : avant j’avais 9 de moyenne. Aujourd’hui, je suis autour de 12 et j’ai des encouragements. Les éducateurs sont attentifs, à notre écoute. Ça évite que les problèmes arrivent. En bref, nous sommes bien accompagnés. »

Madame Lescurier, maman de Mano 14 ans, interne et élève de 3e au collège Saint-Paul (73)
« En fin de 5e, mon fils, que j’élève seule, ne trouvait plus de sens à ses études, et à la maison, il n’en faisait qu’à sa tête. Ce qui m’a séduit dès le départ, c’est qu’à Saint-Paul, les jeunes sont accueillis par toute l’équipe éducative comme des personnes dans leur intégralité, pas seulement comme élèves. Un cadre est posé, rassurant et juste, et les jeunes le réclament ! Mon fils est cette année en troisième. Ses résultats scolaires se sont clairement améliorés, mais l’essentiel, pour moi, c’est ce qui a bougé en lui. Son changement de comportement a été radical et très rapide. En l’espace de 18 mois, il a beaucoup mûri et grandi. Je suis heureuse pour lui et très reconnaissante envers l’équipe éducative qui a su lui faire confiance et le prendre là où il en était, avec ses faiblesses et ses atouts. »