À la Maison d’enfants Jean-Bosco du Havre, Elodie Dupont, psychologue clinicienne (à g.) et Isabelle Delarue, animatrice pastorale (à dte.) (c) Apprentis d'Auteuil
Education et scolarité

Une Maison d’enfants face aux enjeux de l’éducation à la vie affective et sexuelle

À la Maison d’enfants foyer Jean-Bosco, au Havre, un binôme, Élodie Dupont, psychologue clinicienne, et Isabelle Delarue, animatrice pastorale, porte l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Un travail tout en délicatesse dans l’écoute et l’accompagnement de ces jeunes en construction.

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Dans une Maison d'enfants, deux adultes accompagnent les jeunes dans leur questionnement sur la vie affective et sexuelle.

Comment s’est développée l’éducation à la vie relationnelle et sexuelle (EARS) dans votre MECS ?

Élodie Dupont : Voilà six ans que je travaille à la MECS Foyer Jean-Bosco du Havre comme psychologue clinicienne.

Lors des rendez-vous individuels, je rencontrais des ados qui me parlaient de ces sujets. Il y a pour eux des questions difficiles à poser, qui requièrent de la délicatesse. Me remontaient aussi les nombreuses questions des équipes éducatives. Tout cela méritait plus, d’où la mise en place de l’EARS dans l’établissement, avec le soutien de notre directrice.

Quels sont les profils des jeunes accueillis ?

E. D. : La MECS accueille des adolescents, garçons et filles, avec tout ce que cela implique : le passage de la puberté, les transformations corporelles, un certain mal-être, parfois une hypersexualité, qui peut s’expliquer au regard de leur vécu, des blessures de l’enfance. Certains ont des parcours écorchés, des troubles psychiques. De nombreux jeunes entrent dans la pratique de la sexualité alors qu’ils méconnaissent leur propre corps. Pour certains, il s’agit de rechercher des expériences, d’ouvrir le champ des possibles, d’explorer des pratiques sexuelles, de vérifier son orientation sexuelle.

E. D :  l’EARS est un sujet de fond, un enjeu dont on ne peut pas faire l’économie. Le fait de traiter ces questions aussi en groupe est très important car les jeunes se comparent entre pairs. Le regard des autres est très important. Un regard de bienveillance peut soigner bien des maux. L’EARS peut être un outil précieux.

À la Maison d’enfants Jean-Bosco du Havre, des jeunes débattent, accompagnés par Élodie Dupont, psychologue clinicienne (à g.) et Isabelle Delarue, animatrice pastorale (à dte.)
À la Maison d’enfants Jean-Bosco du Havre, des jeunes débattent, accompagnés par Élodie Dupont, psychologue clinicienne (à g.) et Isabelle Delarue, animatrice pastorale (à dte.) (c) Apprentis d'Auteuil

Comment se passent les séances d’EARS ?

Isabelle Delarue : Les séances ont lieu environ toutes les six semaines dans un endroit neutre, le salon, avec huit jeunes au maximum, souvent non-mixtes. Sur un thème donné, nous partons des connaissances. Avec les garçons, il nous faut accepter le vocabulaire et les blagues crues faites pour nous choquer, avoir de l’humour, montrer qu’on n’est pas candide et employer les vrais mots. Après 30 à 40 minutes, ils sont vrais, ils laissent parler leur cœur et sortent apaisés. L’EARS permet aussi aux jeunes de déposer des choses intimes, d’échanger entre pairs. On fait parfois le constat de choses difficiles, ils nous disent ce qu’ils ont subi. Il faut être armé. Les séances nous demandent un esprit d’analyse, une mise en situation construite.

Comment se positionne-t-on en tant qu’adulte sur ces questions qui touchent à l’intime ?

É. D. : L’adulte qui accompagne les jeunes doit en effet se poser la question quand on aborde ces thèmes : suis-je à l’aise ? Car ce domaine de l’intime est profondément lié à ses propres représentations, à ses projections d’adulte. Le discours entendu, souvent cash et cru, peut gommer notre perception de ce qui se passe dans le cœur des jeunes. Or, ils restent sensibles. Le décalage entre leurs propres pensées, leurs usages et leurs aspirations peut être vertigineux et faire peur. Il faut créer la rencontre, échanger. J’ai senti le besoin de me former sur ces sujets, ce que nous avons fait, ma collègue Isabelle et moi.

Au-delà des différents thèmes que vous abordez, de l’aspect pédagogique auprès des jeunes, quel est l’objectif de l’EARS ?

I. D. L’EARS désigne pour moi tout ce qui a trait aux relations entre les êtres humains et aux émotions qu’il faut apprendre à comprendre et à gérer. À l’adolescence, cela peut faire peur. Nous ne sommes pas là pour donner un règlement aux jeunes, mais pour leur permettre de devenir des adultes capables d’aimer l’autre, de le respecter, et de se respecter soi-même. Il y a aussi une méconnaissance de ce qu’est une relation sexuelle. Les jeunes découvrent qu’on peut attraper des IST (infections sexuellement transmissibles).

Quels sont les sujets que vous abordez le plus fréquemment ?

É. D. Parmi ceux qui reviennent souvent : les IST, le rapport à la sexualité, la consommation de pornographie sur écran, l’accueil de la vie et l’interruption volontaire de grossesse, les dangers sur les réseaux, la pornographie, la pédopornographie, la prostitution. Un sujet émerge, celui de la transidentité.


I. D. : Nous abordons cette question, par exemple : comment fonctionne votre corps ? On introduit du factuel pour parler à la fin de leurs désirs profonds. C’est un public souvent déscolarisé, qui n’est pas au même niveau de connaissances que d’autres jeunes du même âge. Ils sont issus de familles où, souvent, l’on se parle ou pas. Les jeunes vont chercher des informations sur Internet et sur les réseaux sociaux, avec leur lot d’images trafiquées, de fausses informations. Nous pouvons leur parler de la logique de l’industrie du porno, des représentations qui y sont véhiculées, du rapport à l’image faussé. En abordant ces aspects, nous sentons que nous les rassurons. Il y a une dissociation entre le corps et le cœur. Il nous faut refaire l’unité de tout cela. Leur faire prendre conscience de la beauté de l’unité, que ce sont des personnes aimables.

Quelle est votre priorité ?

I.D C’est l’écoute inconditionnelle. Nous allons d’abord à leur rencontre. Nous leur parlons de cœur et de sentiments. Avec au-delà, une mission d’éveil des consciences. Le jeune a son libre arbitre. La question du consentement est primordiale pour tous les groupes. C’est un sujet à creuser. Nous l’avons abordé plusieurs fois et nous nous sommes aperçues que les jeunes filles acceptent parfois la relation sexuelle pour ne pas faire perdre la face aux garçons. Quelque chose a démarré, un flirt un peu poussé. Elles pensent alors qu’elles sont allées trop loin et qu’elles n’ont plus le droit de refuser. La question de la liberté doit être discutée, approfondie.

La Maison d'enfants Foyer Jean-Bosco

Historiquement Maison d’enfants accueillant des filles, l’établissement est passé à la mixité depuis trois ans. Il accueille dans une première maisonnée des jeunes de 15 à 18 ans, et dans une seconde, de 12 ½ à 16 ans. L’établissement dispose aussi d’appartements en semi-autonomie et d’appartements en colocation.