Un ramadan 2020 pas comme les autres
FOCUS. Le ramadan 2020 s’achève ce dimanche 24 mai. Retour sur la manière dont il a été vécu dans trois établissements d’Apprentis d’Auteuil, entre isolement, solidarité et nouvelles formes de partages, à l’épreuve du confinement. Par Agnès Perrot.
Fondation catholique reconnue d'utilité publique, Apprentis d’Auteuil accueille les jeunes sans distinction d'origine, de culture ou de religion. Un certain nombre étant de confession musulmane, la pratique du ramadan est pour eux - et pour tous ceux qui le souhaitent autour d'eux, croyants ou non - l’occasion d’une ouverture à la différence et d’une réflexion sur la foi.
« En conformité avec notre projet éducatif, nous sommes depuis toujours attentifs à ce que chaque adolescent accueilli chez nous puisse faire l’expérience de l’intériorité, précise Amaury de Cherisey, qui coordonne la direction de l’Animation pastorale. Nous veillons en particulier à ce que ces élèves de confession musulmane bénéficient de conditions adéquates pour vivre pleinement leur démarche de foi.
Chaque année, des instructions sont d'ailleurs diffusées à l'intention des éducateurs pour les accompagner dans ce sens. Une expérience rendue cette année plus complexe par le contexte de crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19.
Un moment unique pour questionner sa foi
« Avec le confinement, le mois sacré a pris une tournure inattendue » , relèvent Ousmane, en apprentissage peinture en bâtiment et son ami Coundou apprenti plaquiste, 18 ans tous les deux, accueillis au Foyer de jeunes travailleurs Jean-Marie Vianney.
Ils expliquent qu'ils ont passé beaucoup de temps isolés, ne pouvant plus aller en cours ni en stage. « En plus, covid oblige, on prenait notre repas de rupture de jeûne chacun dans notre chambre. Alors que ce moment se veut, en temps ordinaire, festif et partagé. »
Les deux jeunes ont transformé leur isolement en temps de prière pour les malades et les défunts. « Un ramadan singulier, riche d'une leçon : apprendre à s'organiser autrement et à se décentrer ! »
Une impression saluée et partagée par Karim Ouchemoukh, éducateur, lui même musulman pratiquant, qui s’efforce, en lien avec Didier Garin, animateur en pastorale, de donner du sens à la pratique religieuse des jeunes du FJT.
Comme pour Pâques célébrée dans des conditions inédites, cette édition du mois sacré a été marqué par l'absence des rassemblements et la fermeture des mosquées, soulignent les deux professionnels, qui expliquent que les mosquées, d’habitude particulièrement fréquentées, sont restées fermées. «Les rassemblements pour la rupture du jeûne se sont révélés impossibles à mettre en place. Ces contraintes ont fait du ramadan 2020 un moment propice pour interroger sa foi. »
Et les deux travailleurs sociaux de saluer au passage la bienveillance d'une association de pratiquants voisine, sensible à la situation des jeunes hébergés, qui a distribué des repas améliorés deux soirs par semaine. Tous comptent d'ailleurs se retrouver pour fêter l'Aïd, dimanche prochain, autour d'un barbecue, en respectant les consignes anti Covid-19.
Quand une maison d'enfants s'organise autour du partage
Dans d'autres établissements du réseau, la même créativité pastorale s'est déployée. Comme à la Maison d’enfants Jacques Laval, en région parisienne (95), qui accueille une cinquantaine d'adolescents âgés de 12 à 20 ans, répartis sur 5 unités de vie.
« Je me réjouis, souligne d’emblée Marie-Geneviève Campoy, animatrice en pastorale. Malgré l'absence de liens ’extérieur cette année, plusieurs étudiants ont organisé des repas conviviaux le soir ».
Ainsi en a-t-il été de Mohamed, 17 ans, apprenti en alternance en boulangerie, accueilli depuis deux ans à la MECS. « Je suis très reconnaissant, souligne l’adolescent. Nos éducateurs et la direction ont tout fait pour nous permettre de vivre ce ramadan 2020 dans de bonnes conditions, ce qui n’était pas le cas dans mon précédent foyer. » Trois jeunes non musulmans également ont choisi de dîner plus tard, pour partager le repas de rupture du jeûne avec leurs camarades.
Solidarité et ouverture
Autre fait marquant sur l’établissement, faute de pouvoir cette année se déplacer à la mosquée pour rendre service, les jeunes qui en avaient l’envie, musulmans ou non, ont pu se retrouver tous les mercredis après-midi du ramadan pour confectionner des gâteaux redistribués aux personnes dans le besoin et vivre ainsi un des cinq piliers de l’Islam.
Un esprit d'ouverture et de partage salué par Mohamed Zoujaji, un des éducateurs de la maison d'enfants : « Peu importe leur religion ou leurs croyances, je tiens à souligner que nos jeunes sont disponibles et demandeurs. Rendre service, faire des gâteaux pour les autres, aller servir la soupe à l’extérieur quand c’est possible, c’est pour eux un engagement et un espace de rencontre qui les sort d’eux-mêmes. On gagne toujours à aller vers l’autre. »
Apprendre à découvrir ce qui fait vivre l'autre
Le confinement arrivant, aux établissements Notre-Dame, le plus grand site d’Apprentis d’Auteuil situé en pleine nature à une cinquantaine de kilomètres de Chartres, les pères Calvin et Jean-Edmond, aumôniers spiritains de terrain, et Dalal Godeau, éducatrice interculturelle, ont réfléchi à une proposition pour que les jeunes vivent autrement ce ramadan et puissent lui donner du sens.
« L’idée d’un temps de rencontre hebdomadaire, durant cinq semaines, sur le thème de chacun des piliers de l’Islam, a rapidement pris forme, souligne Dalal, l’éducatrice. Une quarantaine de jeunes nous ont rejoints, ainsi que quelques éducateurs. Le but n’était pas de leur donner un cours, mais de leur proposer un temps d’échange et d’animation. »
« On a écouté et encouragé les jeunes, complète le père Calvin. On a également appris à mieux nous connaître et à découvrir ce qui nous faisait vivre et faisait vivre l’autre, en lien avec nos croyances et le projet éducatif d’Apprentis Auteuil. Un vrai lien de confiance s’est créé au fil des semaines . »
« J’ai vraiment apprécié ces rencontres, témoigne Salou, 17 ans, mineur non accompagné, en première année de CAP cuisine, dont c’était le premier ramadan hors de son pays d’origine. Partager avec des jeunes qui pensent différemment, mieux connaître leurs croyances, cela enrichit énormément. »
Entre intériorité et solidarité, ce mois sacré 2020 aura fait grandir chez les jeunes un regard neuf sur eux-mêmes et sur les autres.
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