Education et scolarité
10 mai 2016

Qui sont les jeunes en difficulté aujourd'hui ?

En 2016, qui sont les jeunes les plus vulnérables dans notre pays ? Et que faudrait-il faire pour que leur situation change ? Nous avons posé ces questions à des sociologues, spécialistes de l’éducation, de l’entreprise ou de la protection de l’enfance. Voici leurs réponses.

Quand on évoque les jeunes en difficulté aujourd’hui en France, sait-on bien de qui on parle ? Est-ce une catégorie bien cernée ? Ou les profils sont-ils aussi variés que les situations individuelles ? « La question est complexe tant les réalités que vivent les jeunes en difficulté aujourd'hui sont diverses, avec souvent un cumul de problématiques différentes, prévient d’emblée la Défenseure des enfants, Geneviève Avenard. Je retiendrai d'abord les enfants pauvres (près de 3 millions aujourd’hui en France, ndlr), en augmentation constante depuis 2008, soit 440 000 enfants de plus. Un jeune de moins de 18 ans sur 5 vit aujourd'hui dans une famille dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Avec des conséquences durables sur leurs chances d'insertion sociale et professionnelle. Car la précarité et la pauvreté s'accompagnent d'un isolement préjudiciable à l'épanouissement des enfants. »   « Les jeunes en difficulté ? Ce sont aussi les 1,5 million de jeunes qui sont ni en emploi, ni en formation, ni en scolarité, et que l’on appelle aujourd’hui les NEETS (Not in Education Employment or Training, ndlr) », ajoute Antoine Dulin, qui travaille sur les questions de jeunesse au Conseil économique social et environnemental (CESE). Pour le jeune conseiller, auteur d’un rapport sur le sujet, les difficultés sont multiples : « Elles sont d’ordres matériel, financier mais aussi relationnels car ces jeunes souffrent d’isolement ou sont en échec scolaire. Leurs difficultés peuvent aussi être d’origine familiale, s’ils vivent dans une famille monoparentale ou si la précarité économique ne permet pas à leurs parents de les aider. »  Les difficultés des jeunes tiendraient également au rapport que ceux-ci entretiennent avec le monde de l’entreprise, selon Abdellah Mezziouane, secrétaire général de la CGMPE qui représente les petites et moyennes entreprises en Ile-de-France : « Aujourd’hui, il existe un fossé important entre les générations précédentes qui avaient comme objectif de se former, d’avoir un diplôme et de trouver un emploi. Et la jeunesse d’aujourd’hui qui n’a pas le même rapport avec le travail et pense d’abord à son bien-être et à son épanouissement personnel. »

Agir dès les premières années d’école

Pour la sociologue Marie Duru-Bellat, spécialiste des questions d’éducation, la réponse est d’abord à chercher du côté de l’école : « La jeunesse en difficulté, c’est d’abord la jeunesse qui ne sait pas lire. Ces inégalités naissent dès l’apprentissage de la lecture à l’école primaire et augmentent année après année. À l’entrée au collège, environ 1 jeune sur 5 ne maîtrise pas les fondamentaux. Lorsque les élèves ne comprennent pas ce qu’ils lisent, cela engendre des difficultés dans toutes les matières. En fin de 3e, ils quittent l’école ou sont orientés, souvent contre leur gré, dans des filières professionnelles qu’ils n’ont pas choisies. Une partie d’entre eux vient ensuite grossir les rangs des 110 000 décrocheurs qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme et se retrouvent très vite sans travail. » 
Pour la sociologue, chercheuse à l’Institut de recherche sur l’éducation (IREDU), au-delà des résultats scolaires, le facteur psychologique est à prendre en compte également : « Le trait commun de ces jeunes en difficulté est d’avoir eu une scolarité marquée par l’échec, mais aussi d’avoir été humiliés à l’école. Ces jeunes ont souvent été relégués au fond de la classe et considérés tout au long de leur scolarité comme des "bons à rien". Ce qui va les marquer durablement. Ils ne réussissent pas, car ils finissent par ne plus avoir confiance en eux. Or, tout être humain a besoin de se construire une image positive de lui-même. Ces jeunes vont donc souvent trouver d’autres façons, plus déviantes, de se valoriser dans notre société : délinquance, violence routière, consommation de produits illicites… Le fait de braver les codes habituels leur permet d’exister autrement que par la traditionnelle réussite scolaire ou professionnelle. C’est un moyen pour eux de dire : "Je ne suis pas simplement l’élève en échec que l’on a voulu voir en moi ! " »

Du côté de la protection de l’enfance 

« Aujourd’hui, 284 000 mineurs sont pris en charge au titre de la protection de l’enfance en France, indique Marie-Paule Martin-Blachais, ancienne directrice du Groupement d’intérêt public Enfance en danger (2). Ils représentent presque 2% des mineurs dans notre pays. »  Ces enfants font l’objet d’une mesure de protection « si les questions de santé, de moralité, d’éducation ne leurs permettent pas de grandir et de s’épanouir dans de bonnes conditions dans son environnement familial », ajoute Marie-Paule Martin-Blachais. Si ces mesures de protection de l’enfance touchent tous les milieux socio-économiques, « des études confirment qu’un nombre important d’enfants sont issus de milieux défavorisés, précise-t-elle. Ces enfants cumulent souvent des facteurs de vulnérabilité (difficultés éducatives et mises en danger), en plus des questions de précarité économique et matérielle. Ce constat est le même dans d’autres pays similaires au nôtre. » 

La jeunesse en difficulté en chiffres

110 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme (Source DEPP/Ministère de l’Education nationale) - 284 000 mineurs sont pris en charge dans les départements au titre de la  protection de l’enfance (Source ONED) - Entre 1,5 million et 2 millions de jeunes âgés de 15 à 29 ans sont ni en emploi, ni en formation et ne suivent pas de scolarité (NEETS) (source Conseil d’analyse économique)

Quelles solutions ?

Après ce constat, que faire pour changer la situation de la jeunesse en difficulté dans notre pays ? Pour Antoine Dulin, il s’agit d’abord d’une question de confiance : « Les jeunes en difficulté souffrent d’abord d’une perte d’estime de soi, souligne-t-il. Elle peut se regagner par une confiance individuelle, mais aussi par la confiance collective que la société doit culturellement leur apporter. Il faut changer le regard que porte la société française sur les jeunes, leur permettre de se rencontrer, d’agir ensemble. Il faut aussi aller vers ceux qui sont rebutés par les institutions sociales, éducatives et politiques. En France, 75% des 18-24 ans ne votent pas. »  S’agissant de l’école, la sociologue Marie Duru-Bellat estime qu’elle doit avant tout assurer la réussite de tous les élèves, dès les premiers apprentissages. « C’est tout de même incroyable que dans notre pays, qui reste riche, on soit incapable d’apprendre à lire correctement à tous les enfants !, s’insurge-t-elle. Il faudrait "mettre le paquet" sur les premières années. Les mesures annoncées par la ministre de l'Education nationale - mettre plus de maîtres que de classe, avoir des classes plus mixtes socialement, accompagner individuellement les élèves - me semblent aller dans le bon sens. » 

Soutenir les familles

« L’école ne peut pas tout, il faut aussi intervenir auprès des familles », propose de son côté la sociologue Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS. Selon elle, la solution réside aussi dans une plus grande implication des parents dans la scolarité de leurs enfants. « Cela peut se traduire par exemple par des temps de rencontres réguliers dans les établissements scolaires. Et, dans les quartiers, par des temps de rencontre entre mères de famille pour rompre leur isolement. Agir auprès des familles est primordial, car elles représentent la première instance de socialisation des enfants. Ce sont elles qui assurent à l’enfant son équilibre, sa protection, son bien-être psychologique. » Reste qu’être parent est difficile, reconnaît Marie Duru-Bellat. Le soutien à la parentalité doit s’accompagner d’aides concrètes. « Il ne faut pas qu’un accompagnement psychopédagogique dispense de soutenir ces familles sur le plan économique. Si vous ne savez pas comment acheter à manger à vos enfants, vous n’êtes pas très disponible pour leur éducation. Il faut donc doubler une politique sociale traditionnelle de soutien économique à un accompagnement sur le "métier" de parents. Ce que font les associations depuis longtemps, mais cela reste encore trop timide dans notre pays. » Un axe de prévention que défend également Marie-Paule Martin-Blachais : « L’intervention précoce, le soutien à la parentalité figure à nouveau dans la loi réformant la protection de l’enfance adoptée au mois de mars dernier. Car plus on intervient tôt, plus on a de chances de faire évoluer favorablement la situation des enfants. »

Quelles solutions du côté des entreprises ?

L’insertion des jeunes dans la vie professionnelle est une des difficultés majeures. Pour Abdellah Mezziouane, il s’agit d’abord de démystifier le monde de l’entreprise, trop éloigné des jeunes. « Les grands groupes ne sont pas les seuls à recruter. Les petites et moyennes entreprises vivent dans les quartiers et ont besoin de recruter sur place. Notre confédération fait donc beaucoup d’interventions dans les établissements scolaires, les missions locales, les structures d’insertion et de formation, car jeunes et entreprises sont des mondes qui ne se connaissent pas ! Nous avons également créé des postes de "développeurs-emplois". Leur rôle est d’aider les entreprises à exprimer leur besoin et à trouver des jeunes à la recherche d’un stage, d’un emploi ou d’un contrat en alternance. L’année dernière, nous avons créé plus de mille emplois en Ile-de-France. » 
La confédération patronale souhaite également une politique de lutte contre les discriminations plus volontariste, en particulier, celles qui touchent les jeunes issus de l’immigration. « Avec le Comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (CREFOP), nous sensibilisons les CFA, les chefs d’établissement, nous développons les structures d’information et d’orientation, et mettons en place un accompagnement beaucoup plus précis. Car le désarroi de ces jeunes peut les pousser vers l’exclusion totale, voire la radicalisation. »

L’intérêt supérieur de l’enfant 

Alors que l’on a fêté en 2015 les 25 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, Geneviève Avenard fait de son côté une proposition audacieuse : « Il faut rappeler sans cesse, c'est d'ailleurs ma mission, que l'intérêt de l'enfant doit primer, dans les faits, sur toutes les autres considérations. Pour ce faire, le Défenseur des droits et moi plaidons pour que pour tout projet ou proposition de lois, les études d'impact sur les droits des enfants soient enfin rendues obligatoires. En adoptant la Convention internationale des droits de l’enfant en 1989, les Nations avaient fait une promesse aux enfants du monde. Vingt-cinq ans après, il appartient à notre société de la respecter pour permettre aux enfants de se construire et de s'épanouir dans les meilleures conditions possibles. » (1) Le GIP Enfance en danger regroupe l’Observatoire national de l’enfance en danger et le 119, le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger. Félix LAVAUX

Crédits photos : Istock photo, Phovoir, Fotolia.com