Education et scolarité

Les jeunes et le confinement observés par un psychologue à la Maison d’enfants Saint-Jean

En ce début de septième semaine de confinement, François Bernard, psychologue à la Maison d’enfants (MECS) Saint-Jean à Sannois (95), partage ses premières réflexions. Chaque jeune peut préserver l’essentiel : la réflexion et l’ouverture.

Qu’avez-vous observé durant ces semaines ?

Durant ce temps, certains jeunes se sont montrés insouciants voire enjoués. Très vivants. D’autres ont semblé angoissés. Les éducateurs et moi-même avons dû être extrêmement vigilants. Quitte à s’isoler et à s’entretenir avec quelques-uns.
 Le 14 avril, au lendemain du discours du président de la République, nous avons organisé un groupe de paroles. J'ai perçu de la déprime et de l’ennui chez les jeunes. Cela pouvait s’expliquer par le non-renouvellement des activités proposées. Cela révélait aussi, d’une part la passivité dans laquelle le confinement plongeait chacun et, d’autre part, une très forte attente de solutions fournies par l’autre.

Avec leurs mots, les jeunes nous disaient : « Qu’est-ce que vous nous proposez ? On ne peut rien faire ici ! » Comme si chacun se refermait sur lui-même et espérait tout de l’extérieur. Les deux éducatrices présentes et moi-même, nous leur avons renvoyé la balle : « Ok ! Et vous, que pouvez-vous faire ? Rien ? » Au bout d’un moment, un jeune adepte du Parkour (acrobaties en ville) a dit : « Je peux apprendre aux autres à tomber sans se faire mal ». Un autre a suggéré : « On prépare, nous-mêmes, le dessert ! » Banco ! On le fait ! Oui, vous êtes confinés. Mais, oui, vous avez du ressort ! Les visages fermés se sont illuminés de larges sourires.

Avez-vous été confronté à d'autres phénomènes ?

À la place démesurée prise par le virtuel ! En ce temps de confinement, le virtuel est devenu une évidence, un mode de communication parmi d’autres. Via les réseaux sociaux notamment, des images de soi ou d’un partenaire - dégradantes parfois - ont été agrégées et diffusées. Certains de nos jeunes ont été pris dans cette « tourmente ». Par le virtuel, ils voulaient, comme les autres, échapper à l’ennui et fuir le quotidien. Sans imaginer - ou mal - l’effet que cela pourrait produire. Le virtuel fait écran entre soi et l’autre.
Le seul moyen d’échapper à ce phénomène et de ré-installer la communication en vis-à-vis pour susciter la controverse en direct. Oui on peut faire mal à quelqu’un en mettant en circulation toute sorte d’image, toute sorte d’information. Oui, on prend des risques. Les jeunes avaient les ressources nécessaires pour s’extraire du monde virtuel. Nous les avons réunis en groupes de paroles pour leur permettre de réfléchir, de discuter entre eux et de constater par eux-mêmes, dans l’instant, l’effet produit sur l’autre.

Tirez-vous des premiers enseignements ?

Nous devons, par tous les moyens, maintenir les liens avec le monde extérieur. Suivre un cours scolaire, écrire une rédaction sur un thème précis, regarder un film, peindre un tableau avec différentes techniques et lui imaginer un destin en dehors de la Maison d’enfants, organiser une visioconférence entre une fratrie et la maman, entre des jeunes et les personnes importantes de leur réseau… pour mobiliser la pensée, faire émerger des idées.
Oui, nous sommes en relation les uns avec les autres. Ce n’est pas parce que nous sommes confinés que les autres cessent d’exister. Non, nous ne sommes pas un vaisseau spatial coupé du monde dans le trou noir du coronavirus. Parallèlement, il est essentiel de favoriser des espaces-temps de réflexion intérieure. Si, nous adultes, nous nous laissons emporter par le besoin d’activités des jeunes, nous pouvons vite oublier de leur demander : À quoi penses-tu ? Qu’est-ce qui t’anime, t’angoisse ? Le confinement permet d’aller à l’essentiel - sans chercher le sensationnel - juste passer d’un mouvement d’ouverture à l’autre et au monde à un mouvement de retour sur soi. La condition de la résistance et de la résilience.
Le conseil du psy  : un conseil en ce temps de pré-déconfinement ? Carpe diem !
Si nous voulons avoir une chance de rebondir dans la vie de l’après confinement, savourons l’instant présent. Ma tante de 92 ans l’a compris. Un jour où je la réprimandais alors qu’elle cueillait des kiwis en haut d’une échelle, elle m’a répondu : « Fiche-moi la paix, tant que je pourrai le faire. Je le ferai ! » Carpe diem !