Education et scolarité

Les enfants ont-ils besoin de s'ennuyer ?

Dans ce monde hyperactif, hyper connecté, l’ennui aurait-il des avantages ? Comment l’enfant peut-il le découvrir ? En tirer des bénéfices qui rejailliront sur sa façon d’être, son intériorité, sa capacité à acquérir des savoirs, son devenir ? Des spécialistes nourrissent la réflexion.

Qu’est-ce que l’ennui ? Le Larousse parle "d’une lassitude, d’un abattement, provoqués par l’inaction et le désintérêt". Rien de bien réjouissant. Tout le contraire, même ! Odile Chabrillac, psychothérapeute et auteure du Petit éloge de l’ennui (Éd. Jouvence), y voit la possibilité « d’arrêter de faire et d’apprendre à être ». Etty Buzyn, psychologue-clinicienne et psychothérapeute, va plus loin : « L’ennui est une nécessité pour la santé psychologique de l’enfant. C’est un espace-temps personnel où il peut se sentir vivre, en dehors de toute agitation environnementale, de toute influence extérieure, de toute intrusion parentale. »

Refuser la surstimulation

L’ennui s’apparente donc à une parenthèse, à un moment choisi. « Dans notre société de l’hyperactivité, de la performance et de la réussite, il est compliqué de convaincre les adultes en général, et les parents en particulier, des bienfaits de l’ennui pour l’enfant, poursuit Etty Buzyn. Les sollicitations sont innombrables. La pression extérieure est telle qu’ils multiplient les activités culturelles, sportives ou scolaires pour faire de leurs enfants les premiers. En réalité, ils leur font subir la compétition qu’eux-mêmes endurent au quotidien. Un piège ! »
Comment l’éviter ? Dans son livre Les Trésors de l’ennui, Sophie Marinopoulos, psychologue-clinicienne et psychanalyste, fait de l’ennui un acte parental essentiel : « Créer de l’ennui, c’est refuser la surstimulation et la surexcitation de l’enfant, explique-t-elle. C’est refuser de confondre l’être et l’avoir. Car, dans l’ennui, naît la rencontre avec soi-même, son corps, ses sensations, ses émotions, ses ressources et ses limites. Petit à petit, l’ennui construit. »
Il permet à l’enfant de se recentrer sur ce qu’il porte au plus profond de lui. Il l’aide à se connaître, à s’épanouir, à être plus libre. Etty Buzyn rappelle volontiers que : « Ne rien faire, c’est faire "rien". Autrement dit, c’est apprécier une liberté intérieure qui permet de s’imaginer autrement, pourquoi pas dans des situations héroïques ou fantasques. Libéré de tout, l’enfant dispose des ressources inépuisables de son imaginaire. »

Nourrir son intériorité

À la maison, la psychothérapeute recommande aux parents d’apprendre à leurs enfants à profiter, dès 3-4 ans, de ce temps hors du temps. « Quand un petit dit s’ennuyer, le parent peut lui suggérer : "Ferme tes yeux. Il y a en toi plein de belles idées. Quand tu les auras trouvées, tu ne t’ennuieras plus". En en prenant l’habitude, l’enfant s’ouvre à lui-même, aux autres, au monde… à tout ce qui peut advenir. » Il nourrit son intériorité, élargit à l’infini son champ des possibles et sa capacité de concentration. Sans programme précis, il apprend à observer, à écouter la vie dans toutes ses subtilités. Il acquiert une forme d’apaisement et de désir contemplatif.  
À l’école, Etty Buzyn préconise de ponctuer la journée de cinq à dix minutes de silence et de méditation pour permettre aux élèves de se calmer, de souffler, avant de reprendre pied dans la réalité et de se remobiliser pour les apprentissages.
« Si l’enfant apprend à s’accorder du temps pour lui-même, il vit moins sous le regard et dans la dépendance de l’autre. Pour un temps, il se suffit à lui-même. Peu à peu, il découvre sa singularité et son originalité, s’enthousiasme Etty Buzyn. Ses parents, ses professeurs le redécouvrent. Donnons aux enfants ce bien inaliénable : le droit au rêve, à la curiosité, à la découverte d’aspirations personnelles. »

2 QUESTIONS À
GREGOIRE BORST, directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDÉ) à l’Université Paris-Descartes, à Paris

Que se passe-t-il quand l’enfant "ne fait rien" ?
Les temps "d’ennui complet" sont courts et rares mais indispensables. Car, quand l’enfant n’est plus stimulé par son environnement, quand il expérimente un moment de pause dont il a besoin et qui peut s’apparenter à de l’ennui, il mémorise des connaissances et des savoir-faire acquis durant la journée ou les jours précédents.
Et même s’il peut, sur un long moment, avoir l’impression de s’ennuyer, il "fait" plein de choses : il laisse son esprit vagabonder, repense aux événements passés, se projette dans l’avenir, entre dans une espèce de rêverie éveillée. Il développe ainsi talents et compétences.

Comment favoriser l’ennui ?
Cela passe tout d’abord par une prise de conscience des adultes, des parents notamment : l’enfant ne doit pas toujours être en activité ! Le foot, la musique, le dessin, c’est bien, mais il est bon aussi d’accorder des temps "morts" à l’enfant. Aux adultes de montrer également l’exemple en n’étant pas continuellement rivés au monde extérieur via leur smartphone. Enfin, il incombe aux parents d’expliquer à leurs enfants que ces moments où ils ont l’impression de s’ennuyer sont profitables. Qu’ils permettent d’apprivoiser la solitude momentanée, de s’interroger sur soi, les autres, les choses de la vie. De se découvrir des passions, de développer des idées, son autonomie, sa liberté.