
L'art de bien parler, un enjeu porteur de sens pour les jeunes
Pour la première fois au programme du nouveau bac, l’art de bien parler a le vent en poupe. Un enjeu porteur de sens pour les jeunes. Découverte.
D’évidence, l’apprentissage de l’expression orale est dans l’air du temps. Après avoir longtemps été la grande oubliée du cursus scolaire en France, la discipline vient de retrouver ses lettres de noblesse avec l’épreuve du grand oral du nouveau bac général et technologique, un exposé-entretien de 20 minutes face à un jury, qui se déroule jusqu'à la fin de la semaine. Cette initiative de l’Éducation nationale s’ajoute à la demi-heure supplémentaire de français consacrée depuis la rentrée 2019 à un enseignement hebdomadaire d'éloquence en classe de troisième. Sans oublier la vogue grandissante des concours d’éloquence en collège et lycée, longtemps réservés aux grandes écoles et aux universités.
Une compétence utile
Mais qu’est-ce qu’au juste que l’art de bien parler ? "C’est l’art de développer une pensée propre, et non la simple déclamation d’un savoir reçu", précise Pablo Martin-Paneda, professeur d’histoire-géographie en lycée et cocréateur de Mon oral sur la plateforme Projet Voltaire, numéro 1 de la remise à niveau en expression et en orthographe, une application pour aider les enseignants à entraîner leurs élèves. "J’ai eu la chance de pouvoir m’entraîner toute l’année à l’exercice avec mes professeurs de spécialité, confie Paul, 17 ans, en terminale générale. Au début assez réservé, je reconnais que j’ai fini par trouver l’exercice plaisant et surtout très utile." Partager ses convictions, défendre son point de vue, apprendre à construire sa pensée, capter la bienveillance de son auditoire, autant d’ingrédients qui font de l’art oratoire une aventure aussi intéressante que nécessaire. "En plus de montrer l’étendue de ses connaissances, celui qui s’y adonne doit prétendre à un discours clair, structuré et qui donne envie", souligne encore Pablo Martin-Caneda. "L’éloquence est un enjeu fondamental pour tous les jeunes dès l'âge collège, voire même avant, non seulement pour qu’ils réussissent leur bac, mais pour qu’ils intègrent la formation de leur choix, trouvent du travail et plus important encore, vivent de manière la plus libre et authentique possible, en ayant appris à s’affirmer."Parler en public, ça s'apprend

Reste que s’adresser à un auditoire est souvent perçu comme une des plus grandes peurs partagées au monde. Pourtant les spécialistes s’accordent pour le dire, parler en public s’apprend. Laurent Delvolvé, avocat au barreau de Paris et et animateur de sessions à la prise de parole et Paul, élève de terminale, l'attestent.
"Même si certains tempéraments ont plus de prédispositions de départ que d’autres, souligne Laurent Delvolvé, tout le monde peut progresser à l’oral à force d’entraînement, de conviction et de confiance en soi. Dans nos vies, tout passe par la parole. Elle peut changer le monde !"
Pour ce faire, l'avocat invite d'abord à se faire confiance – ce n’est pas grave de trébucher - et à donner le meilleur de soi en s’exprimant avec ses mots propres. "J'invite ensuite, poursuit-il, à être le plus enthousiaste possible et à accepter le regard de l’autre en s’ouvrant à lui et en le prenant en compte en tant que personne. Plus notre parole est vraie, plus on rejoint son auditoire et la magie opère. À condition d’assumer sa légitimité à prendre la parole et d’accepter que la personne qui nous écoute puisse ne pas être d’accord avec notre manière de penser !"
"Dans mon lycée, deux oraux blancs de préparation m'ont bien aidé, confirme de son côté Paul, élève de terminale. Ils m'ont permis d'apprendre à parler moins vite, à bien articuler et à regarder le jury dans les yeux. Ce qui, au départ, n'était pas gagné. Je me sens, du coup, beaucoup plus en confiance."
L'art de se faire confiance
Car, paradoxe apparent, apprendre à parler en public développe l’art de se faire confiance. Jusqu’à en devenir un vrai plaisir, même pour les plus réservés. C’est en tous les cas un des arguments forts du programme Eloquentia, créé en 2012 en Seine-Saint-Denis par Stéphane de Freitas, entrepreneur social et réalisateur. L’association s’est fait connaître en 2017 avec le film « À voix haute », qui retrace le parcours de cinq jeunes participant à un concours d’éloquence. Bac à préparer ou pas, Eloquentia propose différents types d'ateliers de prise de parole à l’attention de tous les jeunes, dès le début du collège, et également, de plus en plus, de leurs enseignants. Le but ? Apprendre à être soi, développer son imaginaire ou encore lever sa timidité... "Nous intervenons essentiellement dans le cadre scolaire et dans tous les quartiers, souligne Romain Van Den Brande, responsable pédagogique, grâce à une centaine d’animateurs formés par nos soins. La salle de classe n'est-elle pas le premier endroit où on apprend à s'écouter et à argumenter ? Avec notre pédagogie spécifique - différents exercices progressifs, très ludiques et qui mettent à l'aise -, nous permettons aux élèves de prendre confiance en eux, en débattant dans le respect et la bienveillance. Pour réussir à vivre ensemble, il faut se parler !"Faire briller sa lumière

C’est aussi ce que pense Eunice Assamoi, étudiante en sociologie et désormais formatrice : "Se former à la prise de parole peut transformer l’existence. Élevée en Seine Saint-Denis, j’ai toujours aimé m’exprimer, mais au fond de moi, je me sentais illégitime. Bouleversée par une rencontre avec Stéphane de Freitas, j’ai décidé, poussée par l'une de mes enseignantes, de me présenter en 2018 au premier concours Eloquentia HEC, organisé par la Fondation HEC pour des lycéens. À ma grande surprise, je l’ai gagné. N’ayez pas peur d’assumer qui vous êtes et faites briller votre lumière. On a tous quelque chose à transmettre !"
- Permettre aux élèves d’apprendre à s’exprimer à l’oral fait partie des engagements des équipes enseignantes d’Apprentis d’Auteuil en primaire, au collège et au lycée. Et notamment au groupe scolaire Saint-Gabriel de Bagneux, avec ses ateliers de prise de parle en public "Parcours oral, même pas peur" qui remportent un vif succès.
- La fondation propose également des formations à la prise de parole à des jeunes en MECS ou en parcours d'insertion courts. Comme la quarantaine d'adolescents et de jeunes adultes accueillis dans les Maisons d’enfants Sainte-Thérèse (75) et Saint-Philippe (92) et dans les dispositifs Boost d’Ecouen et Propulse Prépa apprentissage de Paris, qui viennent de bénéficier d’un programme Eloquentia, grâce à un mécénat de la fondation Lacoste.
- La parole est un don de soi - l’art de parler en public
Laurent Delvolvé, éd. Téqui
- Porter sa voix - S’affirmer par la parole
Le guide du grand oral du bac avec le film « À voix haute »
Stéphane de Freitas, éd. Le Robert
- La parole est un sport de combat
Bertrand Périer, éd. JC Lattès
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