Société
07 janvier 2019

Stéphane de Freitas : "Être un bon orateur, ça s'apprend !"

Dépasser la confrontation stérile pour entrer dans un vrai dialogue au-delà des différences de points de vue ou d'expériences est une urgence majeure à l'aube de cette année 2019... Artiste et entrepreneur social, Stéphane de Freitas forme depuis 2012 des élèves et des étudiants à cette prise de parole. Le film, À voix haute, présentait le concours Eloquentia issu des ateliers lancés en Seine-Saint-Denis. Son livre, Porter sa voix, partage le contenu de cette formation. A découvrir !

Quel est le propos de votre livre Porter sa voix ?

Concours d'éloquence (c) Eloquentia Saint-Denis
Concours d'éloquence (c) Eloquentia Saint-Denis

Stéphane de Freitas : C’est un manuel qui détaille comment on se forme à ce que j’appelle la prise de parole éducative, comment prendre confiance en soi et faire confiance aux autres, comment s’affirmer par la parole, en individuel comme en groupe. Ce livre est aussi un témoignage sur Eloquentia, un concours d’éloquence créé en 2013 à l’université de Paris 8 Saint-Denis à partir de ma trajectoire personnelle : j’ai moi-même grandi en banlieue et j’ai gagné en confiance par la prise de parole.
 

Par quoi commencer quand on veut se faire entendre ?

Plutarque explique dans un texte étonnant, Les Œuvres morales, que pour être un bon orateur, il faut d’abord apprendre à écouter l’autre. Pour qu’une parole ou un dialogue soit juste, et c’est cela qui est en jeu, l’écoute active de l’autre dans sa sensibilité, ses idées, ses convictions, voire ses préjugés, est fondamentale. Et si vous l’écoutez, il vous écoutera en retour !

Quel est l’objectif de la formation dispensée par l'association Eloquentia ?

L’objectif n’est pas l’éloquence, mais la recherche de ce que j’appelle notre congruence : l’alignement entre la pensée, le ressenti, la parole et la posture corporelle. Lorsqu’on est en congruence, on devient éloquent, parce que notre parole sonne juste. On peut avoir la voix aigüe, des difficultés d’expression, venir d’un quartier difficile, ne pas être Français d’origine… Dès lors qu’on trouve cet alignement, c’est gagné. On se fait comprendre.

De quoi est faite sa pédagogie ?

Cette démarche engage d’abord un questionnement personnel, introspectif, l’expression de notre ressenti, de nos désirs, de nos idées. Elle propose ensuite un travail de logique et de technique argumentaire (c’est là qu’intervient la rhétorique) pour organiser notre propos. Enfin, elle demande une implication de la voix et du corps qui accompagnent toute parole. Il s’agit d’habiter ce que l’on dit !
L’objectif est d’apprendre à prendre la parole, mais aussi à se questionner, à stimuler nos connaissances, à les confronter avec celles de nos interlocuteurs, à développer la créativité et l’intelligence émotionnelle.

L’enseignement de la prise de parole est une urgence selon vous…

Il y a d’abord un enjeu politique. La société s’est crispée sur la liberté d’expression et le dialogue devient difficile. Quand les gens n’arrivent plus à se parler au-delà de leurs différences, ils ne se comprennent plus, et le pacte de société n’est plus possible, c’est le délitement avec tous les dangers que cela entraîne… Apprendre à la nouvelle génération à dialoguer, à s’écouter et se parler, à faire preuve d’empathie au lieu de se juger, est une urgence majeure. L’autre enjeu, notamment pour les jeunes en difficulté est de savoir que même ceux qui n’ont pas fait de hautes études, peuvent écouter leurs rêves et leurs ambitions, les décortiquer et les exprimer. Je milite depuis longtemps pour le retour de l’oralité à l’école : apprendre aux élèves à s’affirmer par la parole pour se révéler aux autres et à eux-mêmes, apprendre également à écouter et accueillir l’autre.

Porter sa voix
Stéphane de Freitas
Éd. Le Robert