École : apprendre autrement dans la nature

Un jeudi tous les quinze jours, Laurent Duffieux, professeur à l’école primaire Jean d’Ormesson à Saint-Jean-de-Védas (34), emmène les 27 élèves de sa classe de CM2 dans un parc public. Pour une pause détente ? « Pour apprendre hors les murs, s’enthousiasme-t-il. Recenser les espèces végétales, observer leur évolution au fil des saisons, identifier les oiseaux par leur chant, leur habitat, leur migration, découvrir les petites bêtes qui vivent dans le sol... Et à partir de là, s’intéresser au français, aux mathématiques, aux sciences, etc. Pas besoin d’aller bien loin pour découvrir la nature. »

Une porte d’entrée vers la (sa) nature

Cette pédagogie alternative, dite « par la nature », où les enfants apprennent des savoirs scolaires et autres hors d’une classe, est apparue au début du XXe siècle aux États-Unis (dans les Forest schools, écoles en forêt), au Danemark, en Suède, en Allemagne et en Grande-Bretagne, avec la volonté d’associer nature et éducation. « Notre tradition est différente, relève Sylvain Wagnon, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montpellier. Les lois Jules Ferry, votées en 1881-1882, cadrent l’enseignement en salle de classe, face à un maître, avec des manuels scolaires. Mais déjà, certains enseignants ont voulu garder un lien avec l’extérieur en proposant des « classes promenades » à l’air libre. »
Aujourd’hui dispensée dans l’enseignement public ou privé et par des associations, cette pédagogie est encore peu expérimentée en France - on compte, par exemple, 40 Forest schools (maternelle et primaire), mais elle tend à se développer. La pandémie Covid-19 a changé la donne. « Lors du premier confinement, une grande majorité de la population, à commencer par les enfants, a ressenti un manque de nature, note Laura Nicolas, enseignante et chercheure en sciences de l’éducation à l’Université Paris Est/Créteil, également enseignante à l’école-forêt Sologna, dans le Cher. Le ministère de l’Éducation nationale a redécouvert le bien-fondé des pédagogies dites « alternatives » : Montessori, Freinet, éducation dans et par la nature. » Toutes cultivent le tâtonnement expérimental et l’observation pour comprendre le monde et vivre en harmonie avec soi, ses pairs et son milieu naturel.

En confiance et en liberté

« À la levée du confinement en mai 2020, j’ai tout de suite adhéré à l’idée de découvrir et d’apprendre avec les élèves dans la nature, confie Laurent Duffieux. De construire ensemble notre savoir et nos projets. Lorsqu’une question se pose, nous cherchons la réponse en utilisant toutes les ressources humaines et digitales à notre disposition. »
Le monde de l’éducation se montre encore frileux face à cette tendance. Les principaux freins : les contraintes liées à la sécurité et l’hygiène des enfants dans un espace ouvert, le programme scolaire à suivre en temps et en heure. Pourtant, celles et ceux qui se forment à l’école à ciel ouvert, reconnaissent ses atouts. « En construisant une cabane, un enfant apprend non seulement le calcul, la hauteur d’un arbre, le poids d’une branche, énumère Laura Nicolas. Mais aussi l’histoire et la géographie du lieu, le monde végétal et animal qui l’habitent. Dans un espace ouvert, il se sent moins stressé, entre moins en conflit, développe ses aptitudes motrices et sociales, renforce son système immunitaire. Il se responsabilise en évoluant dans un univers vivant qu’il veut protéger. L’enseignant ressent une fatigue physique, mais plus que tout, un bien-être qui le fait renaître à la pédagogie ! »