Séance d'EARS au lycée professionnel Saint-Joseph de Blanquefort (33).
Education et scolarité
06 avril 2023

Défis et enjeux de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle

Accompagner chaque jeune dans le développement de sa personne - corps, cœur, esprit - pour qu’il puisse devenir un adulte épanoui, responsable, est au cœur de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EARS). Structurée au fil des années, cette démarche globale d’Apprentis d’Auteuil se déploie dans les établissements, portée par des équipes formées à aborder des thèmes aussi délicats qu’essentiels. Illustration au sein d’une école primaire, d’un lycée professionnel et d’une Maison d’enfants.

Séance d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EARS) pour les enfants de CM1 et CM2 scolarisés à l’école primaire Poullart-des-Places d’Orly. « Moi, lance Moussa, 10 ans, j’ai appris le corps, comment on fait des bébés. Je ne connaissais pas le mot cordon ombilical. » « Et moi, renchérit Souleymane, 9 ans, je prends plus soin de mon corps. J’ai déjà appris du vocabulaire. C’est bien pour quand je serai grand. »

L’EARS, lancée il y a presque vingt ans à Apprentis d’Auteuil, s’est étoffée au fil du temps, enrichie par les constats des équipes, les questions et les besoins des jeunes, dans un contexte sociétal en pleine transformation. « Notre approche est ancrée dans le projet éducatif de la fondation qui place la primauté de la personne, dans toutes ses dimensions, et la relation au cœur de son action, explique Éliane Nguyen, coordinatrice Éducation à la relation à Apprentis d’Auteuil. Notre mission est d’accompagner chaque garçon ou fille, pour qu’il ou elle réfléchisse sur sa vie, s’épanouisse et trouve ce qui le rend heureux, cœur, corps et conscience "alignés". »

Cours d'EARS à l'école Poullart des Places avec la professeure Bénédicte Sultan
Lors d'une séance d'EARS à l'école Poullart-des-Places, un jeune est accompagné dans sa découverte d'un livre sur la grossesse et la naissance par la professeure Bénédicte Sultan. (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil

Se former pour mieux répondre aux missions de l’EARS

Une multitude de thèmes s’inscrivent dans ce sujet éducatif : le biologique et le médical, les domaines psychologiques et affectifs. Ou d’autres à la croisée du juridique et de la sociologie. Au fil des échanges avec les jeunes, les professionnels qui portent l’EARS dans les établissements – infirmières, psychologues, animateurs et animatrices pastorales, éducateurs, etc., sont ainsi amenés à parler de physiologie, de grossesse et de contraception, de sentiments, de l’identité sexuée, de l’orientation sexuelle. Et aussi du consentement, de l’exposition à la pornographie, des violences sexuelles et de la prostitution... « Autant de thèmes qui percutent la société et aussi Apprentis d’Auteuil », reconnaît Éliane Nguyen.

Pour relever ce défi, des formations sont proposées aux équipes (1). Car non seulement elles doivent se sentir suffisamment à l’aise pour aborder ces thèmes, accueillir la parole des jeunes, parfois très crue ou provocatrice, sans tabou ni jugement. Mais aussi pouvoir répondre aux différentes missions de l’EARS : informer les jeunes avec des éléments fiables et scientifiques, favoriser la réflexion et l’échange entre pairs, faire de la prévention face aux différents risques et les protéger. Un immense chantier.

Cours d'EARS à l'école Poullart des Places
Chaque séquence d'EARS est adaptée à l'âge de l'enfant. Ici, à l'école Poullart des Places, les élèves de CM1 et CM2 choisissent un livre parmi une sélection. (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil

Faire réfléchir en groupe de pairs

Pour les adolescents, les séances d’EARS se déroulent en groupes non mixtes, afin de libérer la parole. « Les relations amoureuses ont une place importante pour les adolescents, souligne Béatrice Geoffroy, infirmière et référente EARS aux établissements Saint-Joseph, près de Bordeaux. C’est un âge où les jeunes sont en pleine construction. Ils ont un besoin d’appartenance, sont en recherche d’identité et d’affection. L’EARS est là pour les aider à se construire. Ils ont généralement assez peu confiance en eux. »

Cet après-midi-là, au lycée professionnel Saint-Joseph, ce sont huit grands adolescents qui réfléchissent sur la notion de consentement. Les avis sont partagés et c’est l’occasion d’un échange animé. « Ces séances sont l’occasion de faire réfléchir les jeunes, reprend Éliane Nguyen. Par exemple, sur cette question du consentement. Quand on leur pose la question « Comment savoir si la personne est d’accord ? », certains répondent : « Ça se voit ! » Il faut alors emmener la réflexion plus loin. » Les jeunes y sont sensibles, comme Clarisse, de la Maison d’enfants Jean-Bosco : « Ces ateliers sont utiles pour moi, j’aime écouter ce qui se dit. Moi, je ne peux pas parler de ces sujets avec ma mère... » Ou Dimitri : « Oui, ça donne des infos, et surtout, ça fait réfléchir. »

Séance d'EARS au lycée professionnel Saint-Joseph de Blanquefort (33).
Un débat sur la notion du consentement lors d'une séance d'EARS au lycée professionnel Saint-Joseph de Blanquefort (33).
(c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

Protéger les jeunes et prévenir les risques

Dernier volet de l’EARS, celui consacré à la prévention et à la protection des jeunes. « Depuis le lancement de ce programme, différents faits de société sont montés en puissance : les questions sur le genre, les dangers sur les réseaux sociaux, la pornographie, la prostitution des mineurs », explique Éliane Nguyen.

Le défi, pour les équipes, est d’accompagner les jeunes et de leur donner les informations et les clés pour qu’ils fassent leurs propres choix éclairés. La question de la pornographie revient de façon récurrente, tous établissements confondus. « On se rend compte qu’ils sont nombreux à y être exposés, constate Béatrice Geoffroy. Il faut souvent déconstruire les représentations sur les rapports sexuels, les relations hommes/femmes... »

« Nous leur disons que les sites pornos, ce n’est pas de l’affection, c’est la fausse vie, précise Isabelle Delarue, En leur parlant de la logique de cette industrie, des représentations qui y sont véhiculées, nous sentons que nous les rassurons. Notre rôle est de donner des repères pour permettre à chacune et à chacun de devenir un adulte capable d’aimer l’autre, de le respecter, et de se respecter soi-même. 

A la MECS Jean-Bosco du Havre, débat dans le cadre de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle
A la MECS Jean-Bosco du Havre, débat dans le cadre de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, encadré par les responsables, Elodie Dupont, psychologue (à g) et Isabelle Delarue, animatrice pastorale (au milieu). (c) Apprentis d'Auteuil

Aucun thème n’est éludé, et parmi les plus délicats, celui de la prostitution. Des jeunes particulièrement fragiles y sont exposés et se mettent en danger. « C’est un phénomène qui existe et est difficile à repérer, déplore Béatrice Geoffroy. Certains comportements nous alertent : les fugues, les cadeaux inexpliqués, le fait d’avoir plusieurs téléphones. » « Certains jeunes ont une fragilité émotionnelle, des carences affectives et éducatives énormes qu’ils cherchent à combler à tout prix, explique Élodie Dupont. Ce sont des proies pour des manipulateurs. »

Au fil d’une séance d’EARS, constatent les animatrices, les barrières tombent, les échanges se font plus vrais. Les sensibilités et les aspirations s’expriment. « Le décalage entre leurs propres pensées, leurs usages et leurs aspirations peut être vertigineux, insiste Élodie Dupont. Il faut créer la rencontre, échanger, dans un accueil inconditionnel. »

 (1) Comme celle d’éducateur à la vie, dispensée par l’association Couples et familles, association reconnue d’utilité publique, agréée par le ministère des Solidarités et de la Santé, agréée Éducation populaire, et qui intervient aussi auprès des jeunes dans les établissements. Ou Regards et positionnement organisée par la fondation.

A la Maison d'enfants Jean-Bosco du Havre, débat sur le sujet de l'EARS entre une jeune et une psychologue
A la Maison d'enfants Jean-Bosco du Havre, les échanges peuvent se poursuivre comme ici avec Elodie Dupont, psychologue, en entretien individuel. (c) Apprentis d'Auteuil

Audrey Courbin-Béasse, vice-présidente de la fédération Couples et Familles

« Lors de nos interventions auprès des jeunes dans les établissements d’Apprentis, ou auprès d’autres jeunes, nous proposons une approche globale et positive de la relation affective et amoureuse, en déconstruisant les stéréotypes et les généralités. Les adolescents d’aujourd’hui manquent cruellement d’informations fiables dans ce domaine et vont chercher des réponses, totalement déformées, sur Internet. Nous les aidons à mettre du sens, à parler intimité, confiance, affectivité. L’intérêt de ces interventions est aussi qu’elles ouvrent la porte à la parole. D’autant plus que les parents sont souvent démunis face à ces sujets. Les questions sur la pornographie, les angoisses de performance, l’inquiétude quant à la première fois, le consentement, reviennent souvent. Mais aussi celles sur les partages de photos intimes, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, etc. Mais les jeunes nous parlent aussi d’amour, de respect, de fidélité, et démontrent, pour un grand nombre d’entre eux, leur envie de vivre des relations amoureuses stables. »