
Une naissance, le soir de Noël
Il y a trois ans, le soir de Noël, Esther a mis au monde Félicité, une petite fille qu’elle et son compagnon élèvent dans la chambre d’un centre d’hébergement de la porte de la Chapelle, avec son jeune frère, Simon, né treize mois plus tard. Au fil des mois, avec le soutien conjoint d’Ici et d’ailleurs, une crèche d’Auteuil petite enfance et de la Maison Bakhita du diocèse de Paris, Esther se reconstruit. Portrait.
Il est 9h. Dans la salle de motricité de la crèche D’ici et d’ailleurs, installée dans les locaux de la Maison Bakhita du diocèse de Paris, Esther (1) regarde son benjamin jouer, assise sur un banc installé à hauteur des enfants. Simon (1), qui aura deux ans en janvier, est le deuxième enfant de la fin d’un long voyage.
La puissance des mères
La confiance s’installe, la mère de famille s'ouvre sans réticences : « J’étais à bout. Cette crèche, c’est tout pour moi, elle m’a tellement aidée et transformée ! Cela va faire bientôt un an que j’ai pu y inscrire mes deux enfants, sur les conseils de la PMI (Protection maternelle et infantile). Ils l’ont fréquentée tous les deux pendant six mois. Depuis la rentrée, ma fille aînée Félicité (1) a intégré l’école voisine en petite section de maternelle. »
Esther, originaire du Cameroun, a 31 ans. La chambre minuscule du centre d’hébergement dans lequel elle et sa famille vivent depuis plus de deux ans est rattaché au 115, le numéro d'urgence sociale pour les personnes sans abri.
« Je m’inquiète facilement car j’ai des soucis de santé, explique-t-elle. Je dois me rendre régulièrement à l’hôpital pour des contrôles, ma maladie, invisible, nécessitant d’être régulièrement suivie. Avec deux enfants en bas âge et un compagnon qui travaille toute la journée, c’est parfois bien compliqué. En même temps, je suis tellement heureuse d’accomplir ma maternité, même si parfois, je rêve de chez moi... Jamais je n’aurais imaginé tout ce qui m’est arrivé. »
Malgré les vicissitudes, Esther se sait puissante. « Mes enfants me portent tellement. Une mère est dotée d’une force incroyable. Elle peut même soulever des montagnes. »
L’espérance au cœur
Quand la jeune femme traverse une période difficile, elle écoute de la musique, médite et prie, apprenant à ses enfants à faire de même, se rendant très régulièrement dans une chapelle du quartier qu’elle aime beaucoup.
« J’ai puisé dans ma foi l’espérance de me sortir de toutes les situations », précise-t-elle, espérant avant tout trouver au plus vite un autre logement. « Avec mon compagnon qui a trouvé du travail depuis plusieurs mois et ma fille désormais scolarisée, nous y croyons ! ».
Rendre grâce
Le jour de Noël, elle est allée à l’église et elle a célébré la naissance du Christ, mais aussi celle de sa fille, qui a vu le jour il y a trois ans à l’hôpital Trousseau, quatre semaines avant terme. Une grossesse très surveillée pour cause de pré-éclampsie - une maladie, notamment liée à des problèmes d'hypertension, qui atteint les femmes enceintes - de la mère.
« J’aurais été au pays, ma mère et mes tantes m’auraient aidée et j’aurais pu davantage me reposer. Là-bas, à Douala, sur l’embouchure du fleuve Wouri, c’est comme ça. Les jeunes accouchées sont très entourées et les enfants pris en charge par la communauté. »
Elle a rendu grâce aussi. Pour la maison Bakhita qui l'écoute, la crèche dans lequel son fils est accueilli, son compagnon, ses enfants, et tous ceux qui l'ont aidée à accomplir l’incroyable odyssée qui l’a conduite saine et sauve jusqu’en France. Une expérience très douloureuse de deux ans, marquée par la prison, la maladie, la faim, le froid et l’insécurité permanente. Mais dont elle est sortie vivante.
Les routes de l'exil
Esther raconte pudiquement. « Après la mort de mon père, tout a basculé. Mon oncle, devenu fou, s’en est pris à moi. Il a tenté plusieurs fois de me violer et a voulu m’imposer un mariage forcé. Exploitée par les miens, j’ai dû fuir de chez moi et me réfugier dans mon village maternel, puis toujours traquée, dans une autre grande ville du pays où j’ai trouvé un travail comme ménagère chez une femme de confiance. Décidée à m’aider et à me protéger, cette dernière a mis de côté l’argent qu’elle me devait, pour que je puisse prendre un billet pour la Turquie. Je ne sortais quasi plus de chez elle, de peur d'être dénoncée ou rattrapée. »
Arrivée en Turquie, seule et sans aucun soutien, Esther est arrêtée, volée, manque plusieurs fois d’être agressée. Mais elle finit par arriver à Paris. Épuisée, vivante, et fière de l’être.
Choisir la vie
Aujourd’hui, Esther se remet à sourire. L’accompagnement de la crèche à la parentalité lui fait du bien. Celui proposé chaque semaine par une psychologue - formée aux traumatismes de l’exil - de la Maison Bakhita aussi. Elle sent un chemin s’ouvrir. Sa plus grande joie ? Ses enfants, qu’elle voit grandir. Et qui l’aident à s’épanouir.
« J’ai osé demander de l’aide. Et compris le bénéfice que j’aurais à confier mes enfants. En un an, mon aînée s’est transformée. Elle parlait très peu. Aujourd’hui, c’est une petite fille vaillante et pleine d’énergie. Mon fils aussi. J’en suis tellement heureuse. Le sommeil revient doucement. Peu à peu, mes blessures s’apaisent et j’ai commencé à prendre des cours de français. Avec l’espoir de me lancer dans une formation de styliste - je suis couturière de formation - le moment venu. »
Une force inébranlable
La jeune femme conclut, pleine de dignité. « Je suis partie pour vivre et j'ai décidé de témoigner de mon histoire, pour aider à faire comprendre le parcours qui a été le mien et qui continue d'être celui de trop de personnes. J'ai failli plusieurs fois sombrer mais Dieu a été présent tout au long de mon chemin. Il m'a accompagnée et relevée. Si je pouvais donner un conseil, je dirais à ceux et celles qui traversent de telles épreuves - ou des épreuves semblables - de ne pas renoncer et de s'appuyer sur les bonnes personnes. Il y a des moments dans la vie où l’on côtoie l'impensable. Je le (re)dis à qui veut l'entendre. Il faut être courageux, faire confiance et rendre grâce. Redonner ce qu'on a reçu et tendre la main, en retour, le moment venu. Nous avons chacun, ancrée au fond de nous, une force inébranlable. C’est cela, être humain. »
(1) Les prénoms ont été changés
Photo d'illustration : (c) iStockPhoto
Les crèches et multiaccueils d’Auteuil Petite Enfance
D’ici et d’ailleurs est le dernier multiaccueil d’ Auteuil Petite Enfance (APE), ouvert en novembre 2021. Fidèle aux principes de mixité sociale d’APE, il reçoit en parité des enfants de parents migrants qui fréquentent la Maison Bakhita, un centre de ressources du diocèse de Paris créé pour les personnes migrantes et les acteurs impliqués auprès d’eux, et des tout-petits du quartier, orientés par la mairie.
Le multi-accueil a à cœur de participer à la construction d’un nouvel équilibre au sein des familles touchées par la migration qu’il accueille, de les soutenir et de les accompagner autant que faire se peut dans leur rôle de parents, avant même de penser formation, travail ou insertion.
À lire dans la même thématique