Témoignages
09 juillet 2021

Niamkey Aboua, la cuisine du partage

Une cuisine généreuse, aux accents mâtinés d'Afrique, d'Asie et d'Europe, c'est tout ce qu'aime Niamkey Aboua, 35 ans, ancien des établissements Daniel-Brottier de Bouguenais, près de Nantes. Heureux patron du restaurant Timebox, il raconte ses années turbulentes et son attachement à la fondation.

De l'énergie, Niamkey Aboua, à la tête du restaurant Timebox à Bouguenais, aux portes de Nantes, n’en manque pas. Il a traversé avec courage la délicate période des confinements et restrictions sanitaires. Entre deux démarches administratives, il a participé en mars 2021 à la première session du concours culinaire Best chef Afrika, où il a terminé deuxième. Et depuis quelques semaines, a retrouvé avec joie son équipe, son rythme trépidant entre le restaurant et les commandes à préparer et à livrer de son service traiteur.

Il est loin le temps où Niamkey faisait les 400 coups à la Maison Daniel-Brottier, à Bouguenais, où il a été confié à 16 ans. « J’ai eu une enfance très difficile, confie-t-il. Je suis orphelin sans l’être. Je suis arrivé en France à huit ans, avec ma grande sœur, chargée de m’élever. Elle avait juste 18 ans. J’ai fini par être placé par l’Aide sociale à l’enfance. C’est à la Maison Daniel-Brottier, au lycée professionnel, que j’ai appris le métier de cuisinier, et bien d’autres choses… Des personnes ont cru en moi, alors que j’étais tellement en colère. Mes parents m’ont donné les bases de l’éducation en Côte-d’Ivoire, puis ma sœur, et c’est la fondation qui les a fait grandir. J’ai encore un peu de turbulence en moi, mais j’ai gagné en sagesse ! »

Un parcours semé d'épreuves

Des éducateurs qui le cadrent, ne se découragent pas face à cet adolescent à vif, qui jette le mobilier et n’en fait qu’à sa tête, Niamkey Aboua peut en citer de nombreux, dont Philippe Petit, qui ont imprimé leurs marques en lui. « Tous montraient un attachement à leur boulot. J’ai pris tout ce qu’ils ont pu m’apporter : le sens de l’écoute, le savoir-vivre, la confiance. »
Une nouvelle épreuve marque l’adolescent un an après son arrivée à Daniel-Brottier. Sa sœur, qui l’a en partie élevé, décède de maladie à 27 ans. « C’était comme si le monde s’effondrait. Mes amis et les éducateurs m’ont beaucoup soutenu. Et Estelle, la psychologue de la fondation, qui a su me faire parler, me dire que j’avais le droit d’avoir mal et de pleurer. Mais encore aujourd’hui, je n’ai pas réussi à faire mon deuil. La dernière parole de ma sœur a été : « Sois fort, aide-toi et le ciel t’aidera. » J’y pense souvent. »
C’est à une éducatrice, aujourd’hui directrice d’établissement, qu’il doit sa soudaine prise de conscience, quelques mois plus tard. Lors d’une nouvelle crise de rage de l’adolescent, Sylvie Blanlœil lui dit : « Tu cherches à te faire virer, mais tu sais, on ne va pas te lâcher ! » « Ça a été pour moi un véritable déclic, reconnaît-il. J’ai fini mon apprentissage. Et puis un jour, je me suis dit, je m’en vais. Les éducateurs m’avaient trouvé une saison à Méribel et à Courchevel. Il fallait que je coupe le cordon, car je me maintenais dans ma zone de confort. »

L'équipe de Timebox (de g à dte) : Jean-Louis, second de cuisine, Bernard, chef, Niamkey Aboua, Mathias, en apprentissage, ancien élève des établissements Daniel Brottier lui aussi (c) Apprentis d'Auteuil
L'équipe de Timebox (de g à dte) : en cuisine, Jean-Louis, le second, Bernard, le chef, Niamkey Aboua, Mathias, jeune en apprentissage, et lui aussi ancien élève des établissements Daniel Brottier (c) Apprentis d'Auteuil

Une deuxième famille

Les années suivantes, Niamkey Aboua s’investit dans son travail, multiplie les expériences en stations balnéaires, va également à Paris travailler. Dans un coin de sa tête, il pense déjà à ouvrir un restaurant, et investit chaque sou économisé dans du matériel pro. Puis il revient dans la région nantaise et engage les démarches pour trouver un local.
Il tombe gravement malade. Une période délicate qui lui permet de prendre du recul. Il concrétise enfin, en 2017, son rêve d’établissement, épaulé par la mairie de Bouguenais et Nantes Métropole. Ses amis et de belles rencontres, architectes, webmaster, lui permettent de transformer le local en restaurant et d’en élaborer l’identité graphique et le site Internet.
La carte, patiemment élaborée, propose un burger africain dans son petit pain togolais, sa madeleine, spécialité de sa mère, qui lui rappelle son enfance. « Au début c'était dur, confie-t-il, j’assumais tout, tout seul, je faisais la cuisine et le service. Et des mariages aussi, comme traiteur. Je suis un lion affamé ! » Avant que la pandémie ne mette son activité en veille, le restaurant jouissait d’une belle reconnaissance au-delà de Bouguenais et de notes élogieuses sur les sites culinaires.

Une priorité : l'accompagnement des jeunes majeurs de l'ASE

Il se penche à présent sur son passé et mesure le chemin parcouru : « Avec le recul, je reconnais que je n’étais pas évident. Si j’avais été éduc, je me serais viré ! Mais je savais aussi reconnaître mes torts. Je suis très admiratif du père Brottier et des valeurs qui sont l’âme de la fondation. Être auprès des jeunes, ne pas baisser les bras et se battre pour eux, c’est ça Apprentis d’Auteuil. »
Un dernier message qu'il tient à partager : la situation des jeunes sortant des dispositifs de la protection de l'enfance : « Tellement de dangers les guettent, la rue, la prostitution, les trafics en tous genres, en l'absence d'aide pour s'insérer, de contacts et de revenus, souligne-t-il. L'accompagnement à la sortie des établissements, ça doit être une priorité. » Il reste très attaché à la fondation, à tous les éducateurs qui l'ont soutenu et aidé à devenir autonome et responsable. Il le résume dans une formule qui lui ressemble : « Auteuil un jour, Auteuil pour la vie ! »
 

TIMEBOX
Restaurant et service traiteur

4 bis rue Aristide Briand
44 340 Bouguenais
Tél. 06 09 76 59 27
site Internet : timebox-nantes.fr