Témoignages

Les souvenirs de Pierre Valy, ancien imprimeur formé à Saint-Michel en Priziac

Orphelins de mère, Pierre Valy et son petit frère Joël entrent aux établissements Saint-Michel de Priziac, en plein centre Bretagne, en 1948. Pierre y passera sept ans durant lesquels il apprendra le métier d’imprimeur. Récit d’une vie bien remplie.

Dans son petit bureau, son « boui-boui » comme l’appelle son épouse Marie-Annick, tout l’univers de Pierre Valy : des livres, des journaux, au mur, deux portraits : celui du père Daniel Brottier, directeur d’Apprentis d’Auteuil de 1923 à 1936, et Georges Clémenceau, fondateurs de l’Union nationale des combattants (UNC). Une casse d’imprimeur avec tous ses caractères. Pierre Valy, 82 ans, a exercé sa vie durant le métier d’imprimeur, appris à Saint-Michel, à Priziac, dans le Morbihan, « l’orphelinat », comme il l’appelle encore. 

Une vie simple et rurale

La casse d'imprimeur gardée par Pierre Valy, ancien des établissements Saint-Michel (Priziac, 56) d'Apprentis d'Auteuil (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
La casse d'imprimeur gardée par Pierre Valy, ancien des établissements Saint-Michel (Priziac, 56) d'Apprentis d'Auteuil (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil

Les souvenirs affluent : « J’étais l’avant-dernier de cinq garçons. Nous vivions à Guilligomarc’h, une petite commune du Finistère. Quand vous entriez dans le bourg, vous en étiez déjà presque sorti ! » C’est tout Pierre Valy, mélange d’humour, de retenue et de délicatesse. Ses parents sont tous deux illettrés, son père est ouvrier agricole, sa mère, lavandière. La langue parlée à la maison depuis le berceau, c’est le breton.
« C’était une vie très simple et rurale. Après le décès de ma mère, en 1946, comme mon père ne pouvait pas s’occuper de nous, mon frère aîné nous a placés, mon petit frère Joël et moi, dans une école à Lorient. Et puis, au bout d’un an à l’orphelinat Saint-Michel. Mon frère connaissait bien le père Jézo, le directeur. Mes deux autres frères, Émile et Gustave, nous ont dit : « Vous avez de la chance d’aller à l’orphelinat… » Eux sont devenus ouvriers agricoles. »

Une discipline de fer

1948. Pierre et Joël découvrent Saint-Michel, ses bâtiments en granit austère qui abritent 600 garçons. Les temps sont rudes, et la discipline sévère. « Je me souviens de la faim, du froid dans ces grands dortoirs de 80 lits. La prière, les offices rythmaient la journée. Là aussi, interdit de parler breton. Heureusement que mon frère était avec moi, on pouvait parler ensemble. C’était militaro-religieux ! À cette époque, nous étions tous orphelins, et pas placés comme maintenant pour des raisons sociales. »
Pierre Valy se souvient aussi, non sans émotion, de la rudesse de certains surveillants maltraitant les petits, et de la gentillesse de certains autres. Mais malgré les souvenirs cuisants d’une éducation d’un autre âge, il souligne avec reconnaissance : « Je leur dois tout. La scolarité, l’apprentissage. La fondation était précurseur dans ce domaine, c’était l’objectif du père Brottier : apprendre un métier aux jeunes. Les gouvernements actuels se battent pour ça, lui, il avait déjà tout compris. »

Souvenirs du pensionnat

L'imprimerie à Saint-Michel dans les années 1950 (c) Archives Apprentis d'Auteuil
L'imprimerie à Saint-Michel dans les années 1950 (c) Archives Apprentis d'Auteuil

Les mois passent. Pierre et son frère, comme beaucoup d’autres garçons, restent à demeure à Saint-Michel, vacances comprises, sauf les mois d’été où leur frère aîné les place comme garçons de ferme. « Nous jouions beaucoup au foot, nous partions en promenade. À Noël, nous avions une orange. C’était déjà bien. Comme je chantais faux, j’étais dispensé de chorale, et je suis devenu aide-organiste : j’actionnais les tirettes ! » Les dernières années, enfin, la discipline s’assouplit. « C’était plus vivable. Une fois par semaine, il y avait cinéma. Quand deux personnes s’embrassaient, le prêtre mettait son béret en travers de l’écran. Ça râlait ! Un dentiste du Faouët venait nous voir, et grâce à lui, chacun a eu une brosse à dents. »

Les années d’apprentissage

Après trois ans d’école, en 1951, Pierre Valy entre en apprentissage en imprimerie. Il a quinze ans. Un métier qu’il n’a pas choisi : « Mon souhait, c’était le jardinage. Quand je voyais les fleurs, cela m’émerveillait. Mais mon frère aîné et le père Jézo n’ont pas voulu : « Ce sera électricité ou imprimerie ! » J’imagine qu’ils voulaient que j’apprenne un métier plus technique. Et finalement, je l’ai bien pris. »
À l’imprimerie, le jeune Pierre apprend son métier sous la houlette de professionnels aguerris. L’atelier est rentable, car il bénéficie de commandes privées. « Cela nous stimulait.  Nous imprimions des revues, des livres. Chaque jeune avait un chapitre à monter, ça allait vite. » En 1953, Pierre Valy passe son CAP d’imprimeur et l’année suivante, après un temps de travail dans une imprimerie de La Bernerie-en-Retz, celui de typographe. « On trouvait très facilement du travail. Le patron d’une imprimerie de Pornic, que j’avais connu par mon précédent emploi, m’avait dit : « Si tu veux, moi, je t’embauche ! » C’était un maître imprimeur, qui a eu les palmes académiques. »
En 1957, Pierre part effectuer son service militaire à Saint-Cyr-Coëtquidan où il travaille à l’imprimerie du camp, et puis, c’est le départ pour l’Algérie : « J’ai fait le Constantinois, les Aurès, la frontière saharienne, je suis remonté en Kabylie. J’ai eu la médaille militaire, juste en dessous de la Légion d’honneur. » Enfin, en 1959, Pierre rentre à Pornic après 30 mois sous les drapeaux : « Ces années-là en Algérie m’ont marqué. Et puis on s’en remet, grâce au travail. »

De Gutenberg au numérique

Au mariage d’un ami, à Bouaye, Pierre fait la connaissance de Marie-Annick. Ils se marient en 1962. Trois enfants naissent : Jérôme, Daniel (en hommage au père Brottier) et Véronique. Le couple déménage au gré des différentes places de Pierre et finit par s’établir à Bouaye.
Embauché à l’imprimerie Simoneau à Nantes, il y apprend l’offset. « J’ai eu de très beaux boulots à réaliser. Les revues Ar men et Chasse-Marée. Des travaux pour Chanel, Charles of the Ritz, tous les grands parfumeurs. J’ai appris l’imprimerie à l’orphelinat sur le principe de Gutenberg, et, à la fin, je travaillais sur des commandes numériques. Il y a eu une telle évolution en 50 ans, c’est incroyable.»
Maintenant grand-père, il est fier de ses deux petits-enfants, Aurélien et Josselin, qui apprennent la métallerie, le dernier aux Compagnons du devoir. « C’est un grand plaisir pour moi. On y retrouve l’esprit de Saint-Michel. Au boulot, j’ai aussi formé pas mal de jeunes. C’est ça l’esprit d’Auteuil, transmettre son savoir-faire. »
À la retraite depuis 27 ans, l’ancien imprimeur ne s’ennuie pas, entre le club de basket dont il est… le barman, la présidence des Anciens combattants de Bouaye, celle des Anciens d’Algérie. La retraite, c’est aussi les virées à Noirmoutier avec les petits-enfants qu’il a initiés à la pêche à la palourde, le jardin. « Dernièrement, j’ai été exaucé, je voulais une rue Daniel Brottier à Bouaye, et c’est fait, grâce à l’implantation du lycée agricole. Je suis resté très attaché à la fondation. »