Témoignages
01 juillet 2016

Jean-Paul Ruault, L'enfant courage

Goût du travail, force de caractère, adaptabilité… Pour Jean-Paul Ruault, ancien apprenti ajusteur à Apprentis d’Auteuil à Thiais, ces qualités viennent de son expérience de la vie en groupe durant son enfance et sa jeunesse. Évocation.
Par Amicie Rabourdin

Lorsque Jean-Paul Ruault se retourne sur son jeune âge, le souvenir de l’orphelinat des sœurs de Saint-Jacut, à Auray, surgit aussitôt : « J’y suis arrivé à six ans. C’était une période très dure. Je voyais ma mère une fois par an pour une permission d’une heure ! Elle était partie à Paris chercher du travail. Elle a fait des ménages, puis est devenue manœuvre chez Citroën avant de monter en grade. Ma sœur était dans une pension de filles, on ne se voyait pas. Cette éducation m’a appris à vivre en communauté, à me battre constamment et à m’adapter dans n’importe quelle circonstance. Le côté négatif, c’est l’absence de tendresse et de culture familiale… »

Apprenti ajusteur

Son histoire débute en 1944 près de Ploërmel en Bretagne. Jean-Paul devient très vite orphelin de père : « Je n’ai aucune souvenance de lui. Après la guerre, si un orphelin voulait rester dans le cocon familial, il fallait un tuteur pour le soutenir moralement et financièrement…, malheureusement, on n’a trouvé personne. » 1958, Jean-Paul passe brillamment son certificat d’études, il aime acquérir des connaissances. En septembre, sa mère le confie aux Orphelins Apprentis d’Auteuil (1), à la Maison du Sacré-Cœur, à Thiais (94), pour qu’ils puissent se voir plus souvent : « J’avais déjà l’habitude de la pension et je n’ai pas été dépaysé par les dortoirs, les réfectoires, la douche une fois par semaine… Mais une chose m’a marqué : le directeur, le père Joseph, ne tolérait pas les groupes, il avait aménagé la cour pour qu’on fasse du sport toute la récréation, football, basket, handball, ping-pong. Tous les matins au lever, on faisait aussi quatre-cinq tours de cour pour nous tonifier. » La pratique du sport, Jean-Paul l’a conservée toute sa vie. Aujourd’hui encore, pas une semaine ne passe sans qu’il ne fasse deux à trois séances de natation ! À Thiais, Jean-Paul est apprenti ajusteur, même si la mécanique ne lui convient pas trop. Avec les cours généraux dispensés par les pères spiritains, et l’enseignement professionnel, par des ingénieurs et cadres de la SNCF, les élèves obtiennent pratiquement tous le CAP. Mais la discipline est exigeante : « Chaque semaine, il y avait un contrôle, avec obligation d’avoir la moyenne. Sinon, au lieu de la séance de cinéma, on se retrouvait à l’étude… Dommage pour nous ! Et si les notes étaient trop basses, la sortie mensuelle était annulée ! » Cette sortie mensuelle du dimanche, moment tant désiré, se passe en famille, ou bien quand sa mère ne peut le recevoir, chez des bienfaiteurs à Choisy-le-Roi et Ivry-sur-Seine. En dernière année, à 18 ans, Jean-Paul est nommé surveillant des premières années, une fierté ! « Quand le père Joseph me l’a demandé, c’était la reconnaissance qu’on pouvait me faire confiance, et cela s’est très bien passé. Apparemment, j’avais une autorité naturelle ! » Sa responsabilité couvre les dortoirs, les repas, les études, les promenades. Durant ces dernières, une chose l’agace fortement, le regard de pitié des autres promeneurs : « On sentait qu’ils pensaient : "Les pauvres, ils n’arriveront à rien. Ils sont tellement malheureux qu’ils le resteront toute leur vie." Mais ce n’était pas le cas ! »

En avant la musique !

Un match de basket à la "Maison" du Sacré-Coeur à Thiais dans les années 60
Un match de basket à la "Maison" du Sacré-Coeur à Thiais dans les années 60

Reprenant une tradition ancienne à la fondation, le père Joseph organise, ces années-là, une fanfare et la confie à M. Manches, un ancien de l’Harmonie de la Garde républicaine. Jean-Paul, qui aime la musique, n’hésite pas à s’inscrire : « J’ai appris à jouer du tambour, du clairon, de la trompette de cavalerie et du cor de chasse. On avait deux à trois cours par semaine… Combien de fois j’ai eu envie d’abandonner, car c’était difficile. Mais le père Joseph m’encourageait. Il avait une force pédagogique importante. Il savait orienter et s’adapter à tout type de comportements. »
1964, service militaire, au 5ème génie à Satory. Après son mois de classes, considéré comme soutien de famille (de sa mère et de sa sœur), Jean-Paul ne part pas en Algérie. C’est alors qu’il réussit le concours de la fanfare de son régiment. Il y sera clairon, puis trompette de cavalerie et apprendra le solfège. Grâce à ces connaissances, il est promu adjoint de M. Manches à la fanfare de son adolescence, à laquelle il était resté fidèle : « À 22 ans, c’est moi qui assurais le rôle de chef de musique quand il n’était pas là. »
Après le service militaire, le jeune homme entre dans sa première entreprise. Il veut intégrer le bureau d’études, mais c’est impossible avec son seul CAP d’ajusteur. « Ma chance, alors, c’est d’avoir rencontré le dirigeant de cette entreprise. Il m’a dit : "Apparemment, tu en veux. Passes un brevet d’études industrielles et dès que tu l’auras, tu intégreras le bureau d’études, mais pas avant." Ce monsieur m’a donné un but, il a trouvé les mots adéquats pour m’impliquer et me dépasser. »

Une vie professionnelle intense

Et là, autre opportunité : Jean-Paul étant toujours en lien avec la fanfare de la fondation, le père Joseph l’autorise à venir tous les samedis travailler ses devoirs dans la salle, bien équipée, de dessin industriel. Aidé à l’occasion par les professeurs techniques, il réussit ce fameux brevet ! « À mon époque, il fallait en vouloir pour réussir. Orphelins, en sortant de la fondation, on était livrés à nous-mêmes. C’était les rencontres qui comptaient. Avec de bonnes personnes, cela se terminait bien… » Il intègre le bureau d’études, y devient projeteur, puis va dans une filiale comme directeur de production, puis dans une autre entreprise, où il sera directeur industriel d’une usine de plus de 100 personnes fabriquant des dispositifs médicaux. Jean-Paul Ruault travaille énormément pour que sa famille, sa femme et sa fille, ne manquent de rien. À la retraite en 2004, pas question de s’arrêter : il crée un cabinet de consulting destiné à l’élaboration des dossiers techniques pour obtenir le marquage CE et l’autorisation de mise sur le marché des dispositifs médicaux. S’il a stoppé aujourd’hui son activité de conseil, il demeure auditeur. « Ma devise a toujours été "travailler, m’informer et me former". Sans travail, on n’a rien. S’informer, c’est pouvoir faire des choix. Se former permet d’avancer. Une autre devise : "écouter d’abord, agir ensuite". Grâce aux Orphelins Apprentis d’Auteuil, j’ai appris un métier qui a été un tremplin pour faire autre chose. Je n’ai pas commencé sans rien. C’est le message que je voudrais dire aux jeunes d’aujourd’hui », conclut Jean-Paul Ruault.
(1) Ancien nom d’Apprentis d’Auteuil