Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, fondatrice de l’Association Les Pâtes au Beurre
Société
27 juin 2024

Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste : « Les enfants m'ont énormément appris. »

Psychologue et psychanalyste, Sophie Marinopoulos est une spécialiste reconnue de l’enfance et de la famille. Elle a fondé en 1999 des lieux d’accueil parents-enfants atypiques baptisés les Pâtes au beurre. Dans son dernier ouvrage, elle se penche sur ce que les enfants lui ont enseigné au cours de ces années et sur notre relation à l’environnement qu’elle nous encourage à réinventer. Propos recueillis par Félix Lavaux.

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Sophie Marinopoulos, psychologue, explique ce qu'elle a appris des enfants après avoir travaillé tant d'années auprès d'eux.

Vous consacrez votre dernier livre à ce que vous avez appris en travaillant auprès des enfants. Pourquoi ?

En tant que psychologue et psychanalyste, je travaille depuis quatre décennies auprès d’enfants. Ils m’ont énormément appris : leur façon de regarder le monde, de le comprendre, de lui donner du sens.... Les enfants ont aussi la très grande qualité de nous ramener à l’essentiel. Le vivre-ensemble, la qualité de la relation, le temps nécessaire pour grandir sont des thèmes centraux dans la société d’aujourd’hui qui va trop vite. Il était temps que je dise à quel point les enfants m’ont aidé à le comprendre.

Quel est le plus grand enseignement que vous avez pu recevoir en les côtoyant ?

Les enfants sont des modèles de courage et de confiance. Ils doivent accepter en permanence d’aller vers l’inconnu car ils ont besoin de l’autre pour grandir. Ils le font avec beaucoup de courage et de confiance. Grâce à cette confiance, un enfant peut prendre appui sur l’adulte qui l’accompagne dans la vie.

Dans votre livre, vous dites « L’enfance et la terre souffrent des mêmes maux ». Pourquoi ?

J’ai voulu démontrer que les enfants ont besoin d’écoute et d’attention, tout comme la Terre. Nous avons oublié qu’elle nous abritait, qu’on vivait en lien avec elle. Le pillage de la Terre aboutit aujourd’hui à la crise climatique et environnementale que nous connaissons. De la même manière, nous ne prenons plus le temps d’observer nos enfants et de comprendre leurs besoins fondamentaux. Nos enfants sont aujourd’hui culturellement malnutris. Or, la culture qui permet de construire des liens entre nous, nous est indispensable. Elle nous caractérise en tant qu’êtres humains car nous naissons dépendant. C’est ce que j’expliquais dans mon rapport en 2019 sur la malnutrition culturelle.

Qu’entendez-vous par « malnutrition culturelle » ?

Dans ce rapport, j’alertais sur le fait que je voyais dans mes consultations des enfants malnutris dans leurs relations. Et sur la nécessité de réinjecter de la dimension sensorielle dans l’éducation via la musique, la danse, le théâtre, la nature... J’ai donc fait des proposions pour que l’on prenne mieux en compte l’éveil culturel et artistique des tout-petits dans le lien avec leurs parents. Certaines propositions ont été reprises par les DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) et par la commission Les 1000 premiers jours, notamment via la formation des professionnels de la petite enfance.

Selon vous, on ne laisse plus suffisamment les enfants explorer leur environnement. Pourquoi ?

Les bébés comprennent le monde grâce à tous leurs sens en éveil. C’est pour cette raison qu’ils mettent tous les objets à la bouche pour en mesurer la forme, le poids, la texture... Cette façon de regarder le monde avec tous ses sens est une immense qualité que nous perdons petit-à-petit. Le fait de dire à un enfant de regarder son environnement et non pas de l’écouter avec son corps change son appréhension du monde et le fragilise. Je prends comme exemple ces quatre enfants Amérindiens qui ont réussi à survivre en pleine jungle colombienne alors que tout le monde les croyait morts. Ils s’en sont sortis car le peuple amérindien donne une éducation sensorielle de l’environnement à ses enfants. 

Vous regrettez que la peur guide nos choix en tant que parent.

Aujourd’hui, les parents ont peur en permanence pour leur enfant. Cette peur colore leur éducation et finit par affaiblir les enfants. Le fait de demander à un enfant de ne pas trop bouger a aussi des effets néfastes sur son développement, sur sa manière de penser, de parler et d’interagir avec son environnement. C’est un véritable sujet de société auquel nous devrions réfléchir. 

Vous abordez aussi la question des écrans.

En tant que parent, nous avons tendance à confier nos enfants aux écrans pour avoir du temps pour soi. D’abord un dessin animé de cinq minutes pour pouvoir prendre une douche. Puis le temps d’écran augmente petit à petit. Quand on commence à confier son enfant aux écrans pour qu’ils le surveillent à notre place, il y a danger ! J’ai rencontré des jeunes âgés de 13 à 18 ans et j’étais effarée par ce qu’ils me racontaient : harcèlement, exposition aux images violentes, addiction... Les écrans ont tendance à couper les enfants de leur environnement relationnel tout en les rendant immobiles. Ils représentent un danger pour leur santé physique et psychique. 

La question des écrans cristallise souvent les tensions entre parents et ados. Comment faire ?

J’ai conseillé à des parents qui étaient en conflit avec leur enfant à ce sujet de demander à celui-ci ce qui lui paraitrait raisonnable en termes de temps d’écran. Finalement, l’enfant a proposé un nombre d’heures inférieur à ce qu’ils lui auraient proposé ! Ce qui est intéressant, c’est de mettre l’enfant face à ses responsabilités, y compris par rapport aux écrans. L’important, c’est d’instaurer un dialogue. Et d’amener les enfants à réfléchir à leur propre consommation. Reconnaissons que nous, parents, sommes aussi beaucoup sur les écrans...

En 1999, vous avez créé des lieux d’écoute pour les familles baptisés Les Pâtes au beurre. Comment est née cette idée ?

En tant que psychologue et psychanalyste, je travaillais dans les centres médico-psychopédagogiques (CMPP) et les centres d’action médico-sociales précoces (CAMSP). Dans les années 90, un parent pouvait attendre huit mois avant d’avoir un rendez-vous. Ceux qui avaient un bébé avec une problématique autour du sommeil arrivaient complètement exténués ! J’ai donc créé une structure associative, gratuite, où l’on vient sans rendez-vous, de façon anonyme, pour rencontrer des professionnels de la santé : psychologues, psychiatres, psychomotriciens... Les parents peuvent y venir avec ou sans leurs enfants, petits ou grands. Nous avons aussi beaucoup de grands-parents qui viennent nous parler de leurs enfants devenus eux-mêmes parents. Vingt-cinq ans après leur création, Les Pâtes au beurre sont devenues un lieu de grande mixité sociale et culturelle où les parents viennent simplement quand ils en ont besoin.

Pourquoi accueillez-vous les familles dans une cuisine ?

Quand j’ai créé les Pâtes au beurre, je me suis inspirée de Selma Fraiberg, qui était assistante sociale dans le quart-monde aux États-Unis. Elle intervenait dans les familles très pauvres au milieu de la cuisine. Elle est devenue par la suite une grande psychanalyste et elle a continué à travailler dans les cuisines de ses patients. J’ai donc fait la même chose avec les Pâtes au beurre. C’est un lieu de connivence où l’on se parle, où l’on rit, où l’on pleure. Pourquoi les Pâtes ? Parce que c’est ce qu’on fait quand vous avez quelqu’un qui débarque chez vous sans prévenir ! C’est un lieu d’accueil sans rendez-vous, donc on ne sait jamais combien de personnes vont pousser la porte. Et le beurre, parce que je suis Nantaise ! Aujourd’hui, il y a dix-huit Pâtes au beurre en France et deux en Belgique. On doit en ouvrir une à Genève à la fin de l’année. 

L’enfance de Sophie Marinopoulos

« J’étais une enfant plutôt agitée. À l’école, j’avais des difficultés pour me poser, me concentrer... Aujourd’hui, je serais classée parmi les dys. Mes parents étaient inquiets de voir cette enfant en difficulté. Et en même temps, ils avaient une certaine autorité, non pas pour me punir ou m’interdire, mais pour me dire : « Voilà où tu peux grandir en sécurité ». Cela me donnait un cadre et des limites. Aujourd’hui, on a des débats stériles sur l’autorité qui se résument à « pour ou contre punir », alors que la responsabilité du parent est d’accompagner un enfant jusqu’à ce qu’il soit capable de se protéger tout seul. Mon père était psychiatre. Je voyais que son travail comprenait de la douceur, de la présence, du respect et de l’attention à l’autre. Cela m’a certainement nourrie et donné envie de devenir psychologue. »

Bio express

  • 1958 Naissance à Paris
  • 1996 Premier ouvrage consacré au déni de grossesse
  • 1999 Création des Pâtes au Beurre
  • 2020 Participation à la commission Les 1000 premiers jours de l’enfant
  • 2024 Publication de Ce que les enfants nous enseignent. Éd. Les liens qui libèrent