Société

Marie Rose Moro : "Le difficile passage à l’âge adulte"

Marie Rose Moro, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, directrice de la Maison des adolescents à Paris (Maison de Solenn) explore dans un ouvrage collectif le difficile passage à l’âge adulte aujourd’hui.

Pourquoi ce livre collectif sur le passage à l’âge adulte ?

Livre Marie Rose Moro

Marie Rose Moro : Parce que les spécialistes de l’adolescence que nous sommes ont constaté qu’il n’était pas si facile, pour les ados d’aujourd’hui, de devenir adultes. Ils ne voient pas toujours le monde des adultes comme un moyen d’accéder à l’autonomie, à la liberté, aux responsabilités, mais comme une difficulté… Et cela ne concerne pas seulement nos patients, mais les ados en général.
Les parents trouvent également cette période de l’adolescence interminable. On en est même à vouloir créer un nouveau statut pour ces jeunes adultes encore dépendants de leurs parents ! C’est un vrai phénomène de société : aujourd’hui l’adolescence commence tôt, autour de la puberté vers 10-11 ans, et se termine plus tard, quand les adolescents n’ont plus de dépendance, ni psychologique, ni économique ou sociale avec leurs parents. Les sociologues ont d’ailleurs inventé un mot, "adulescence", pour qualifier cette période où l’adolescence se poursuit à l’âge adulte. 

Est-ce dû à l’image du monde que les adultes renvoient aux adolescents ?

Les adultes considèrent que les ados évoluent dans un monde difficile, qu’il faut se battre contre tout. Ils ont une vision pessimiste de l’avenir. Ils doutent également de la capacité de leurs ados à avoir une vie plus facile que la leur. Ce qui ne donne pas envie aux adolescents d’y entrer. De leur côté, ces derniers ont une nostalgie de l’enfance. Et la société tolère très bien ces nouveaux "adulescents". 

Ce temps de passage est-il plus difficile aujourd’hui qu’hier ? 

Oui, j’ai ce sentiment qu’il est plus difficile de devenir autonome aujourd’hui pour un certain nombre d’adolescents. Nous voyons apparaître de nombreuses pathologies au seuil de l’âge adulte : phobie scolaire ou universitaire, dépression et suicide, prise de risques, anorexie… Nous avons l’impression que ces pathologies ne sont pas simplement liées à une souffrance individuelle mais également à une composante sociétale. Les adolescents ont le sentiment de ne pas trouver leur place dans la société. Il est donc important de les aider à voir notre monde comme une chance, et pas uniquement comme un lieu de souffrance.

Comment changer cette vision pessimiste ?

Cela passe par beaucoup de choses. En ce qui concerne les ados soignés dans nos consultations, outre leur pathologie, nous nous intéressons à leur destin en les aidant à construire un projet qui ait un sens pour eux. D’un point de vue sociétal, nous devons comprendre les besoins spécifiques des adolescents. Or, la société n’y consacre pas beaucoup de moyens. Elle a même parfois une vision négative de ces jeunes. Ils n’ont pas les engagements que nous avions à leur âge, mais ils en ont d’autres. 

Vous parlez également de l’adolescence des mineurs arrivés sans représentant légal en France.

Ces enfants ont fui la guerre, des situations familiales ou politiques compliquées dans leur pays. Ils ont traversé l’Europe, vécu des choses que la plupart des adultes n’ont jamais vécues. Ces mineurs isolés étrangers (MIE) arrivent en France avec un désir d’apprendre et de se former tout à fait extraordinaire ! Ce qu’ils ont vécu les a fait devenir adultes plus rapidement et en même temps, ils restent des enfants. Des enfants arrachés trop tôt à leur monde, à leurs parents. Ils ont souvent besoin d’être consolés, mais ne le disent pas. Ils ne veulent pas prendre le risque de s’effondrer. Notre rôle est de les aider, sans les fragiliser, à reconstituer leur cheminement et leur histoire. Pour en savoir plus Devenir adulte, chances et difficultés
Sous la direction de Marie Rose Moro
Éd. Armand Colin