Portrait de Marie Desplechin
Société

Marie Desplechin : "On ne peut se construire sans rêve"

Auteure de littérature jeunesse, journaliste, scénariste, Marie Desplechin met en scène de jeunes héros qui tracent leur voie singulière et cherchent à s'affirmer. Des récits réalistes, fantaisistes, parfois teintés de surnaturel, qui sont des bonheurs de lecture. À l 'occasion du lancement de la nouvelle pub d'Apprentis d'Auteuil, "Rêver à nouveau, c'est tout un apprentissage", elle se livre sur l'importance du rêve à ses yeux.

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Marie Desplechin, auteure de littérature jeunesse, parle du rêve et de son importance pour les jeunes.

Quelle est selon vous l’importance du rêve pour un enfant, un adolescent ?

On ne peut se construire sans rêve. Le manque de rêve vous entrave, vous empêche de vous construire, d’aller là où vous pouvez aller, où vous voulez aller, là où il y a de l’envie. Le rêve va de pair avec le désir. Maintenant, on enferme tellement les enfants, dès tout petit ! On les tanne, on les emmène vers des couloirs tout tracés. Il faut être dans la bonne école, le bon cursus.
Je suis frappée de voir des enfants dont les rêves sont modestes, voire, sans rêve. Les jeunes ne s’autorisent pas à rêver hors du destin auquel on les assigne. Et c’est bien pire dans les milieux défavorisés… Mais même dans les milieux de revenus moyens, je vois aussi des gens qui poussent énormément leurs enfants dans des modèles de réussite tout faits, issus du monde ancien.
Les rêves sont très pauvres. Pourquoi ? Parce que tout le monde a peur. On a l’impression que si on a loupé une étape, tout est fichu, il faut être dans les bons circuits, dans les bonnes cases.  Cela me fait penser à Jan Yoors1, un gamin néerlandais né entre les deux guerres, qui avait fugué pour aller avec une compagnie de Tsiganes dresseurs de chevaux. Et quand ses parents l’ont récupéré, il leur a expliqué qu’il voulait vivre avec ces personnes. Chose incroyable, ses parents l’ont accepté. Comment cela se passerait-il maintenant ?
On a toute la vie pour tracer son chemin. Je vois aussi des enfants autour de moi qui n’ont pas des parcours linéaires, qui tentent des choses, qui s’inventent à chaque étape, qui construisent quelque chose.

Quel est le poids de l’entourage ?

Bien sûr, ce sont les adultes qui freinent souvent les rêves, mais je ne veux jeter la pierre à personne : les parents ont l’angoisse que leur enfant ne s’en sorte pas. La pression sociale est immense. Au-delà de cela, c’est la folie du système qui est en cause. Il faut se méfier des injonctions que l’on fait peser sur les enfants. Nous sommes pris nous-mêmes dans ces mêmes injonctions. À 18 ans, les enfants sont tellement stressés, ils ont l’impression qu’ils vont louper leur vie s’ils ratent Parcours sup ! Mais à côté de cela, il y a aussi des voies différentes, des étudiants qui remettent en question les voies toutes tracées pour aller sur des chemins de traverse, explorer d’autres voies. Le diplôme n’est pas tout.

Que faudrait-il faire ?

Le système de formation, c’est n’importe quoi. C’est difficile d’encourager les mômes dans un tel système. Il ne faut pas avoir peur d’inciter les enfants à faire des choses, encourager leurs réalisations, les petits boulots, différentes pratiques artistiques, la culture des amitiés, le développement de la vie sociale. Tout cela est très important pour faire des adultes épanouis. J’ai fait une école de journalisme avec une copine. Mais elle, ce n’était pas son rêve, qui était de travailler dans une ferme. Elle s’est réalisée professionnellement, a eu une belle carrière et des responsabilités, et puis, à 50 ans, elle a dit, "bon maintenant, je vais faire ce qui me tient à cœur" et a obtenu une formation en ébénisterie à l’école Boulle. Et depuis 15 ans, elle s’épanouit pleinement. Il n’est jamais trop tard ! Il faut se poser la question : quel type de vie donnons-nous en modèle aux enfants ? Est-ce qu’on les entrave dans leurs envies et leurs rêves en leur disant « Tu n’es pas assez bon pour cela, cela ne va pas marcher ? » Nous leur fourrons des choses dans la tête. Beaucoup de jeunes sont un peu paumés, pas assez heureux.

Quel était votre rêve à vous ?

Moi, je voulais être médecin, mais j’étais trop mauvaise en maths et on m’avait dit que ce n’était pas possible. J’ai fait une classe prépa, mais j’ai détesté, je n’avais pas du tout cette mentalité, j’ai fait des études de lettres et une école de journalisme. Puis j’ai démarré assez vite professionnellement, ma mère était fière de moi. J’ai eu des enfants, 10 ans sont passés, mais je n’étais pas heureuse du tout. Après une psy, une séparation, je me suis lancée en free-lance. Et peu à peu, c’est arrivé. J’avais perdu 10 ans à obéir avant de me réaliser.

Vos ouvrages jeunesse sont très ancrés dans la réalité mais font la part belle à la fantaisie et au fantastique.

Le fantastique permet de mieux montrer la réalité, ce qui fait peur. Car la vie, c’est comme un récit qu’on interprète, dont on est le héros agissant. Le but est d’arriver à devenir soi-même. Toutes les vies sont belles, c’est une aventure. Tout cela est dit dans la littérature. C’est fondamental de lire. Cela vous permet d’être libre et de vous construire aussi.

D’où vous vient votre inspiration ? De votre entourage, dans l’observation du monde, de votre imagination ?

Je raconte toujours la même histoire, celle de gens très en colère, qui cherchent à échapper à la voie toute tracée et à trouver leur propre chemin. Ce sont les histoires que j’aime. Même si c’est un peu baroque, c’est toujours lié à une situation concrète. 

Que feriez-vous si vous aviez une baguette magique pour l’école ?

Je ne garderais rien ! Je ferais une école qui donne de l’autonomie aux enfants, style Freinet. Je les ferais travailler par projet, en groupe, il n’y aurait pas de classement. C’est incroyable ce que les gosses sont capables de faire pour peu qu’on leur laisse l’autonomie, qu’on leur permette d’apprendre en faisant. Les êtres humains ont besoin d’être créatifs, inventifs. Énormément de choses reposent sur l’école. Beaucoup de familles n’ont pas accès au livre, qui est pourtant essentiel. Il y a aussi le problème des enfants de primo-arrivants, qui ont plus de difficulté à entrer dans la lecture et l’écriture et doivent être davantage accompagnés. L’enseignement devrait être davantage individualisé et les enfants davantage aimés. Combien d’enfants ont été dégoutés de l’école, cassés par les notes, les sélections, les jugements ! Je me souviens d’une gamine à Moulins disant qu’elle était nulle en espagnol, mais qui parlait un tas d’autres langues et ce savoir n’était pas valorisé. C’est un immense gâchis et pourtant, on est assis sur des mines d’or.
Propos recueillis par Anne Le Cabellec

1. Jan Yoors, Tsiganes, sur la route avec les Roms Lovara, Ed. Phébus Libretto

 

Dernier livre paru :
Pour Lily, collection Neuf, L'École des loisirs