Société

La littérature en lycée pro : mission possible

Docteur en littérature française et enseignante en lycée professionnel, Stéphanie Lemarchand a publié au printemps, Devenir lecteur, un livre qui rend compte de ses recherches sur l’accès de ses élèves aux œuvres littéraires. Un enjeu !

Enseignante en lycée professionnel, quel est votre constat sur le rapport de vos élèves avec les livres ?

Stéphanie Lemarchand (c) DR
Stéphanie Lemarchand (c) DR

Stéphanie Lemarchand : J'enseigne les lettres et l'histoire depuis 18 ans à Rennes et je rencontre, comme mes collègues, beaucoup d’élèves en échec qui refusent de lire ou abandonnent après quelques pages. Face à cette situation, deux solutions sont adoptées par les profs : l’abandon de la lecture des œuvres intégrales au profit d’extraits ou l’affrontement avec les élèves. Ceux-ci tentent de contourner les exigences scolaires en allant chercher des résumés sur Internet, par exemple. Ils ne donnent pas de sens aux livres et essaient de trouver ce que l’enseignant attend d’eux.

Quel serait pour eux le bénéfice de la lecture ?

Il y en a plusieurs. Nous nous construisons tous à travers le récit. La lecture demande du temps et, par là-même, donne accès à sa propre intériorité. Les livres présentent une vision du monde avec laquelle on peut entrer en dialogue, se confronter, échanger avec d’autres… Les jeunes sont en recherche de tout cela quand ils regardent des films et des séries.

Vous avez mené une expérience pendant trois ans pour aider les non ou les petits lecteurs. De quoi s’agit-il ?

Les élèves qui refusent absolument de lire m’intéressent particulièrement, comme l’enjeu de susciter en eux un intérêt, un plaisir à découvrir ce qu’il y a dans les livres. La première étape est de partir de l’élève, de laisser toute la place à ce qu’il pense d’un livre, - émotions, rejet, incompréhension -, même s’il se trompe ou si sa lecture est décalée par rapport à la demande de l’école. Si lire un livre est trop compliqué, il faut trouver des parades. Je propose aux élèves, par exemple, de tenir des "carnets de lecture", dans lesquels ils écrivent ou dessinent ce qu’ils pensent, au fur et à mesure de leur avancée dans le récit. Et d’échanger les carnets entre eux. Ceux qui n’arrivent pas à lire peuvent connaître l’histoire en découvrant le carnet d’un autre élève et adhérer petit à petit à un livre qu’ils n’ont pas lu. Parfois, en seconde surtout, je leur lis à voix haute des extraits ou même un livre entier, parmi les œuvres que je pense fondamentales pour la suite de leur cursus scolaire, ou je demande à un élève de le faire. D’autres fois, ils se racontent le livre de façon à le connaître en entier. Écouter une voix extérieure nous emmener dans un récit permet de renouer avec le plaisir de la lecture ou de le découvrir. C’est souvent grâce à cela que se construit l’amour des livres. Mais cet accès aux livres ne peut se faire d’autorité, il faut que les élèves le vivent. Au début, ils peuvent être un peu provocateurs et petit à petit, ils écoutent, discutent, réagissent aux personnages et à l’action.

Vous parlez aussi du passage à l’écriture…

Je constate combien c’est important, quand je demande aux élèves d’écrire par exemple la suite de l’histoire ou une opinion personnelle ! L’élève entre en réflexion, prend le temps de revenir sur sa lecture, de s’approprier l’œuvre, comme les débats qui s’en sont suivis. Même si c’est incomplet ou erroné, ce sont ses mots et du coup, il s’en rappelle.

Quelle leçon tirez-vous de ces trois ans ?

Si on fait confiance en la capacité des élèves à s’approprier les œuvres, quels que soient leur niveau de difficultés et leur rapport à l’école, ils y arrivent. C’est pour moi le levier le plus important. Souvent pressé par le temps ou par les exigences du programme, on oublie qu’il se passe énormément de choses pour un jeune lorsqu’il lit. Tenir compte de sa subjectivité (ce qu’il est, son environnement, sa sensibilité…), c’est lui permettre de prendre conscience de l’expérience qu’il fait en lisant.
En conclusion, je retiens deux témoignages que j’ai reçus de leur part : "La littérature au lycée, c’était bien quand même", et "on se sent concerné par les livres" !
Devenir lecteur
L’expérience de l’élève de lycée professionnel
Stéphanie Lemarchand
Presses universitaires de Rennes