Christophe André, l'éloge du lien
Psychiatre, auteur de livres à succès, Christophe André publie "Ces liens qui nous font vivre", coécrit avec Rébecca Shankland. Un livre où il rappelle, aux êtres humains que nous sommes, l'importance de cultiver du lien dans la petite enfance, en famille ou à l'école. Interview.
Pourquoi consacrez-vous un livre au lien ?
Une des grandes avancées de la psychologie au XXe siècle a été d'aider les personnes à devenir elles-mêmes, à se libérer des entraves intérieures (névroses, complexes, angoisses) et extérieures : les femmes se soumettaient aux hommes, les hommes aux patrons, les citoyens à leur pays, etc. Aujourd'hui, nous avons atteint les limites. À partir des années 1970-80, est apparu une épidémie d’égoïsme, de narcissisme. Ce qui pose problème, car dans une société, il faut un équilibre entre les intérêts de la personne et ceux du groupe. De nombreux travaux de recherche démontrent que, d'un point de vue psychologique, le bien-être intérieur nécessite une dose d'altruisme. J’appartiens à une communauté de soignants et de chercheurs qui souhaite promouvoir les vertus de l'interdépendance dans notre société.
Pourquoi les liens tissés durant l'enfance sont-ils si importants ?
Toutes les données en matière de psychologie scientifique montrent que la proximité et la sécurité affective des enfants leur permet de devenir des êtres plus curieux, plus ouverts, plus autonomes. Pendant des années, tout un courant de pensée prônait une certaine distance affective. On incitait les parents à laisser pleurer leurs enfants plutôt que de les prendre dans les bras ! Aujourd'hui, on sait que pour être autonome et capable de solidarité, il faut aussi être épanouis d'un point de vue affectif. Or, ce qui construit cet épanouissement, c'est la sécurité émotionnelle et affective. Il est important qu'un petit enfant se sente compris, aimé, qu'il puisse faire ses expériences, se tromper sans être ni bridé, ni surprotégé par ses parents.
Vous rappelez notamment l'importance de la notion d'attachement popularisée par Boris Cyrulnik
La question de l'attachement a représenté une étape historique dans la compréhension des besoins de l'enfant. Jusqu'au milieu du XXe siècle, on pensait que les besoins de l'enfant étaient avant tout physiologiques : boire, manger, être propre et au chaud. Les chercheurs comme John Bowlby ont démontré que dans les établissements où l'on était attentif à l’épanouissement affectif des enfants, où ils avaient des repères parmi les adultes avec qui ils créaient des liens affectifs durables, ils tombaient moins malades et le taux de mortalité diminuait. On a compris que, parmi toutes les nourritures dont l'enfant avait besoin, il fallait prendre en compte aussi les nourritures affectives.
Pourquoi la qualité du lien a-t-elle des répercussions sur la réussite scolaire ?
Pendant longtemps, le dogme était de dire que l'attachement à une figure pédagogique parasitait les apprentissages. Mais l'être humain ne fonctionne pas comme cela ! Au contraire, les sources de la motivation pour apprendre ne sont pas logiques, mais affectives. Nous faisons des efforts pour apprendre, car nous sommes attachés à nos enseignants dont on sent qu'ils nous aiment en retour, qu'ils sont bienveillants. C'est dans le cadre d'une interdépendance émotionnelle que les apprentissages se font le mieux. Toutes les études et des spécialistes comme le Dr Catherine Gueguen (pédiatre, spécialiste en neurosciences) le démontrent aujourd'hui. Les écoles qui ont un fonctionnement collaboratif où les grands aident les petits, où l'on travaille à plusieurs pour résoudre un problème, donnent de biens meilleurs résultats et favorisent l'acquisition des compétences sociales des élèves.
Vous incitez les parents en difficulté à demander de l'aide. Pourquoi ?
Notre société valorise à outrance l'indépendance, érige le fait de ne pas avoir besoin des autres en vertu psychologique. Pour beaucoup de personnes, demander de l'aide s’assimile à une preuve de faiblesse. Ce qui est ennuyeux quand on en a réellement besoin. Il faut plutôt être conscient de ses limites et accepter cette interdépendance positive qui valorise l'entraide mutuelle. C’est l’esprit de notre livre : « Tout seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin ». C’est une évidence, mais cela n'est pas suffisamment pratiqué dans notre société qui prône la compétition, plus que la collaboration. Notamment via les réseaux sociaux qui promeuvent les liens virtuels et les comparaisons toxiques (nombre de likes, de followers...). Privilégions donc les vraies relations sociales, car ces réseaux sont au lien social ce que sont les fraises Tagada comparées aux vraies fraises. Une pâle copie !
Comment construire ces relations positives ?
Cela peut se faire notamment par la gratitude, c'est-à-dire en reconnaissant que l'on doit quelque chose à quelqu'un. Tout en en étant content. Il faut savoir se réjouir d’être aidé lorsqu'on ne sait pas faire quelque chose. Ce qui nous arrive tous ! Or, les gens ne cultivent pas assez cette dimension positive de la gratitude. Ils se sentent dépendants, en dette vis-à-vis des autres. Nous proposons donc ce petit exercice qui consiste à réfléchir chaque jour aux moments de la journée où l'on a reçu des bonnes choses de la part d'autrui, des mots gentils, des coups de main, un conseil... Et tout simplement s'en réjouir car l'aide n’est ni une honte, ni un dû, mais une marque d'humanité.
"J'ai eu un coup de foudre pour la psychanalyse"
J'étais un enfant issu d'un milieu modeste avec des parents très angoissés par les aspects matériels de la vie, car ils avaient été très pauvres. Ils étaient fragiles, anxieux, dépressifs.... La relation était compliquée avec eux mais j'avais une très bonne relation avec mon grand-père. Un militant du parti communiste qui m’a appris ces notions de solidarité, d'interdépendance. Il me faisait lire Vaillant, une BD pour les Jeunesses communistes où les héros, comme le Dr Justice, partaient sauver les déshérités à l’autre bout du monde. Ces notions ont dû m'imprégner assez tôt. Mes liens dans l'enfance se sont aussi forgés à l'école de la République qui permettait à l’époque une ascension sociale. J'étais heureux avec mes maîtres et mes copains. Je devais devenir ingénieur, mais en terminale j'ai étudié Freud et j'ai eu un coup de foudre pour la psychanalyse. J'ai donc décidé de faire médecine pour devenir psychiatre.
Les dates clés de Christophe André
- 1956 Naissance à Montpellier
- 1980 Soutient sa thèse de doctorat en médecine à Toulouse
- 1992 Commence à exercer comme psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris où il introduit la méditation en psychothérapie
- 2007 Son livre Imparfaits, libres et heureux reçoit le prix Psychologies-Fnac
- 2020 Publie avec Rébecca Shankland Ces liens qui nous font vivre Éloge de l’interdépendance aux éditions Odile Jacob
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