Education et scolarité

A l'école, pourquoi la punition n'est pas la solution

La recherche est aujourd’hui formelle : la punition à l’école est contre-productive. Elle freine les apprentissages et nourrit le sentiment d’injustice des élèves. Heureusement, des solutions alternatives existent. Explications

Le 30 novembre dernier, l’Assemblée nationale votait à la quasi-unanimité une proposition de loi pour interdire « les violences éducatives ordinaires » que sont les fessées ou les gifles utilisées parfois comme mode d’éducation. Si les châtiments corporels ont heureusement quasiment disparu aujourd'hui à l'école (1), qu'en est-il des punitions qui peuvent aussi être qualifiées de « violences ordinaires » ?  Les punitions, qui peuvent aller de simples lignes à copier à la privation de récréation en passant par la mise au coin, sont théoriquement interdites à l'école depuis la fin du XIXe siècle (2). Mais sont-elles réellement bannies dans les classes ? Ont-elles un lien avec le climat de violence au sein d’un établissement ?

L’exception française

C’est à ces questions qu’ont tenté de répondre les chercheurs Éric Debarbieux et Benjamin Moignard en interrogeant plus de 16 000 élèves du CE2 au collège dans plusieurs académies, lors d’une grande enquête baptisée ADHERE. Résultat : deux tiers des élèves disent avoir été punis au cours de l’année scolaire ! « Ces chiffres indiquent que les punitions sont encore très pratiquées dans notre pays, et beaucoup plus répandues que dans d’autres pays comme l’Angleterre ou l’Allemagne où la proportion d’élèves punis tourne autour de 25 à 30%, précise Benjamin Moignard. En France, il existe également des différences très fortes d’un établissement à l’autre : cela peut aller d’un rapport de 1 à 10 dans des établissements pourtant socialement comparables. »

Comment expliquer cette particularité française? « En France, on a cette idée forte que la sanction est efficace et que pour cela, il faut beaucoup sanctionner, cadrer et “tenir” les élèves. Or, toutes les études montrent que lorsque la sanction n’est pas comprise, elle est perçue comme une injustice. » Ce qui engendre du ressentiment chez les élèves et alimente in fine les violences que le corps enseignant souhaitait combattre au départ. Un mode d’enseignement basé sur la punition est également contre-productif pour les apprentissages. C’est ce que démontre la pédiatre Catherine Gueguen grâce aux dernières recherches en neurosciences affectives et sociales auxquelles elle consacre son dernier livre (lire son interview ci-dessous).

Les alternatives à la punition

Alors existe-t-il des alternatives à la punition à l’école ? Parmi les nombreuses pédagogies et approches existantes aujourd’hui (communication non violente, justice restaurative, pédagogie coopérative…), le développement des compétences psychosociales (CPS) semble faire son chemin auprès des enseignants.
Promues à partir de 1986 par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) comme un élément essentiel de la promotion de la santé, le développement des compétences sociales, cognitives et émotionnelles que sont par exemple l'empathie, la gestion du stress, la coopération ou la pensée critique permet aux enfants d’apprendre à mieux gérer leurs émotions et leurs relations aux autres. Des notions – pour le moins importante dans la petite société qu’est une école – qui figurent désormais dans le socle commun des connaissances et des compétences de l’Éducation nationale. « Nous offrons aux enseignants une alternative à la sanction car nous agissons en prévention, explique Sandrine Lamétairie, directrice de l’association Plus fort qui forme enfants et enseignants à Marseille. Plus les enfants développent leurs compétences psychosociales, moins il y a de problèmes en classe et donc de sanctions. Au lieu de mettre un enfant au coin pour qu’il se calme, l’enseignant essaye plutôt de comprendre quelle compétence lui a manqué pour lui apprendre à faire autrement. »

Du punitif à l'éducatif

Développer les compétences sociales, émotionnelles et civiques des élèves, c’est précisément le credo de la discipline positive. « Le terme de punition suggère qu’il faudrait infliger une peine à un élève pour qu’il apprenne mieux. Or, on sait aujourd’hui que si la punition stoppe un comportement, elle n’est pas efficace sur le long terme, explique Béatrice Sabaté, psychologue et membre fondateur de l’association
Discipline positive
. Pire, la punition fait entrer l’élève dans l’univers de la rébellion et de la revanche, au risque de favoriser le sentiment d’injustice des élèves, qui fait le lit de la violence contre soi, contre l’institution et contre les autres. La discipline positive ne propose pas d’être laxiste, mais de faire d’une erreur d’un élève une opportunité pour apprendre à mieux être en lien avec les autres, pour basculer d’une action punitive à une action éducative. Pour enseigner plutôt que contrôler. » Et si on essayait ? (1) En 2017, 1,6% des élèves déclaraient avoir été frappés par un enseignant ou un adulte à l'école. Source : L'impasse de la punition à l'école. Ed. Armand Colin
(2) Arrêté du 2 juillet 1890

Deux questions à Catherine Gueguen, pédiatre, spécialiste des neurosciences affectives et sociales

Que dit la recherche quant aux effets des punitions chez l’enfant ?

Catherine Gueguen. Photo : Sylvain Gripoix

C’est une révolution éducative qu’amènent les études scientifiques en neurosciences affectives et sociales, car elles prouvent que les punitions et l’humiliation freinent les apprentissages. Considérées au niveau international comme étant de la maltraitance émotionnelle, elles abîment une des structures cérébrales les plus importantes de notre cerveau : le cortex orbito-frontal. Une étude de chercheurs de Harvard montre également que les humiliations verbales diminuent le volume de l’hippocampe, une structure cérébrale qui nous permet de mémoriser et d’apprendre. De nombreuses autres études montrent les impacts négatifs de l’éducation punitive et sévère qui rendent les enfants agressifs, anxieux ou dépressifs et entraînent des troubles du comportement.

Que faire en classe ?

L’adulte doit poser un cadre, des limites, mais il doit le faire sans humilier, en encourageant les progrès. C’est en donnant confiance que l’élève progressera moralement et intellectuellement. Une étude américaine réalisée auprès de 271 000 élèves montre que ceux qui ont développé leurs compétences sociales et émotionnelles progressent sur tous les plans : ils s’épanouissent, ont de meilleures relations avec les autres et réussissent mieux scolairement même s’ils viennent de milieux défavorisés. Les enseignants doivent donc apprendre à travailler ces compétences psychosociales. Cela permet aux enseignants de mieux gérer leurs émotions et celles des élèves et de prévenir les conflits. 
Propos recueillis par F.L Catherine Gueguen vient de faire paraître Heureux d'apprendre à l'école. Comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l'éducation. Ed. Les Arènes