
Comme mon fils : le parcours de Ludovic Guittet, ancien d'Apprentis d'Auteuil, à retrouver en replay sur TF1
Ludovic Guittet, ancien des établissements Saint-Jean, à Sannois, a connu plusieurs vies. De son parcours hors normes sont nés un livre, L’Enfant de la cavale, et un téléfilm, Comme mon fils, à voir en replay sur TF1. Ils racontent son histoire, celle d’un petit garçon de 2 ans, abandonné par sa mère, élevé par le compagnon de celle-ci devenu son « père de cœur », Jean-Marie Drouet, un braqueur.
Au téléphone, il est d’emblée chaleureux, direct, précis. Ludovic Guittet, 42 ans, ne se lasse pas de partager son incroyable parcours et surtout, les quatre années qui ont pesé si fortement dans sa trajectoire, de ses 2 à ses 6 ans. Quatre années qui lui ont construit un socle assez solide pour qu’il se sente aimé et grandisse malgré toutes les épreuves. L’histoire débute en 1982 lorsque Ludovic a 2 ans. Du jour au lendemain, sa mère quitte son foyer. « Ma mère m’a eu à 18 ans à peine, elle était très instable, violente. Mon père biologique s’est sauvé assez vite. Puis elle s’est mise en ménage avec Jean-Marie Drouet, qui est alors dans les trafics. Il braque des banques, des postes, des supermarchés... »
Le soir même, quand Jean-Marie Drouet revient à l’appartement, il découvre Ludovic tout seul, et le mot que sa mère a laissé sur la table : « Je m’en vais, occupe-toi de Ludo. » L’homme passe une nuit blanche et se résout le lendemain matin à laisser Ludovic à une assistante sociale qu’il connaît. « Arrivé devant chez elle, il n’a pas pu, et a redémarré, raconte Ludovic. Lui-même venait d’un monde de misère, il avait grandi à Nanterre, à la cité des géraniums. Il m’embarque dans sa cavale, un mandat international lancé contre lui. »
La cavale du braqueur
Poursuivi pour ses braquages, Jean-Marie Drouet confie dans un premier temps l’enfant à sa tante, puis le récupère lorsqu’il rencontre sa nouvelle compagne, Joëlle. « Je les appelle assez vite papa et maman. Tout le monde pensait que j’étais leur fils. Personne ne s’inquiétait, car il n’y avait pas eu de signalement de disparition. » Suivent quatre années de bonheur pour le petit garçon, ponctuées de changements de domicile, au gré de « l’activité » de son père. Ludovic grandit, entre à l’école. « Je suis bien nourri, bien habillé, bien soigné. J’ai des souvenirs de courses poursuites, de déménagements incessants d’un lieu à l’autre, mais cela ne me perturbe pas. Je me sens en sécurité. Je suis aimé. »
Un père de substitution
Le périple prend brutalement fin en 1986 à Enghien-les-Bains quand Jean-Marie est arrêté par le GIGN. Le juge ordonne le retour de l’enfant chez sa mère biologique, en couple avec un nouveau compagnon et leurs enfants. « Cela se passe très mal. Je suis battu, privé de nourriture, privé d’amour, constamment surveillé et brimé. Ce sont dix ans de pain noir et d’eau croupie. » Ces années sont ponctuées de brèves éclaircies, les parloirs avec son père de cœur, les sorties dont celui-ci bénéficie et dont il profite pour aller voir Ludovic, les courriers qu’il lui envoie et que Ludovic reçoit grâce à la complicité d’un camarade. « Je planquais les lettres dans le local poubelle, derrière une conduite. Mais un jour, j’ai mis un peu trop de temps à remonter à l’appartement et j’ai été pris sur le fait, les lettres à la main. Et à nouveau brutalisé et insulté. »
Ludovic est pris d’émotion quand il évoque ce père de substitution, qui, de sa prison, s’inquiète de son protégé, lui envoie régulièrement un peu d’argent et une carte téléphonique pour l’appeler en cachette. Qui remarque les traces de coups lors de ses sorties et s’interroge. Disparu en 2021, il laisse un trou béant dans le cœur de Ludovic : « Je n’ai pas encore fait le deuil. C’est toujours très compliqué pour moi. »

(c) DR
De l’échec scolaire au placement
Au niveau scolaire, c’est la catastrophe. Ludovic redouble le CP, le CE1, la 5e. Il est envoyé dans une maison familiale rurale pour devenir garde forestier mais l’expérience tourne court, faute de règlement de la scolarité. « J’ai ensuite travaillé un peu à Saint-Ouen-L’Aumône pour l’industrie nautique qui sous-traitait pour le chantier naval de Saint-Nazaire. J’étais encore mineur. »
L’histoire se répète. En 1994, sa mère biologique quitte son foyer pour un nouveau compagnon, et abandonne Ludovic et les enfants nés entretemps. Le jeune adolescent tente un moment de donner le change, de s’occuper des petits, mais craque et contacte les services sociaux.
Grâce à Joëlle, la compagne de son père, il est d’abord orienté à la Maison Sainte-Jeanne-d’Arc, à Loches, près de Tours. « Enfermé et surveillé dans un appartement pendant 10 ans, ce petit rat des villes que j’étais devenu s’y est senti très mal. La rupture était trop brutale, même si j’étais dans un cadre paisible et protégé. » Le directeur d’alors lui remet une brochure répertoriant tous les établissements de la fondation en lui proposant de choisir lui-même celui qui lui conviendrait. « Tu seras bientôt un jeune adulte, tu dois apprendre à te prendre en main. »
La découverte d’un cadre et d’un métier
Le garçon choisit la Maison Saint-Jean qui regroupe lycée horticole et maison d’enfants, à Sannois, dans le Val-d’Oise, ce qui le rapproche de ses attaches familiales.
« Ça m’a plu tout de suite. J’ai aimé travailler dehors au grand air, et le côté carré des jardins à la française me plaisait particulièrement. J’avais un peu de mal à mémoriser la botanique, mais j’ai très bien appris mon métier, et j’ai eu un très beau rapport de stage que j’ai conservé. » Le jeune homme y découvre surtout un cadre rassurant, contenant, sécurisant et se souvient aujourd’hui, avec sa maturité de quadra, de la patience et de la bienveillance des équipes, du directeur, Éloi Damervalle, des professeurs, dont celui d’horticulture, Christian Jacquemin, aujourd’hui directeur régional Nord-Ouest. Et de la présence sur le site de l’ancien directeur général de la fondation, Jean Gosselin, figure paternelle qui veille également sur lui. « C’était un adolescent facile, qui avait un très bon contact, de l’humour, l’envie d’apprendre, se souvient Christian Jacquemin. Il cherchait à créer de vraies relations. Et s’il s’est parfois battu, ce qui n’est pas inhabituel chez les jeunes que nous accueillons compte tenu de leurs blessures, il n’était pas violent. La gestion des émotions, c’est compliqué pour tous les ados. Ludo était exigeant avec lui-même. Quelle force il a eue ! Personne ici ne connaissait son histoire avant la parution de son livre. »
Une famille de cœur
Différence de perception, Ludovic Guittet se rappelle, lui, de l’adolescent bouillant qu’il était, partant au quart de tour. Après un ultime coup à un camarade, il est exclu de cours et demande de l’aide pour rompre avec cette violence contenue. Le directeur lui met le marché en main : « Tu te tiens à carreau pendant un mois et tu peux ensuite entamer une thérapie avec un professionnel. » L’adolescent tient. Sa thérapie, selon ses propres termes, lui permet de poser une partie de son lourd bagage. Aujourd’hui, il se rappelle : « J’en ai fait des âneries ! Mais je n’ai pas été mis à pied ou viré. Après mon CAP obtenu en 1999, je suis parti travailler. J’ai eu du mal à décrocher de Saint-Jean, pour moi, c’était un vrai bout de famille, des gens aimants et patients. J’ai été choisi pour remettre sa médaille de l’ordre national du mérite à M. Damervalle, ce qui a beaucoup représenté pour moi. J’ai gardé beaucoup de contacts là-bas et je suis toujours en lien avec eux. »
Le début de la vie active
Grâce aux contacts de ses professeurs, il part travailler comme jardinier pour l’Assemblée nationale, puis pour des jardins de personnalités (Guy Lux, la chanteuse Patachou, Bruel). Les CDD s’enchaînent. Et aussi les domaines d’activité : l’horticulture, la grande distribution, le bâtiment... « J’ai toujours eu la bougeotte et très peu de CDI. Maintenant, je suis dans la région de Bordeaux depuis 20 ans environ. Je n’en bouge plus ! Je me plais bien là-bas. »
Aujourd’hui, en couple avec Tiphaine, Ludovic est un père comblé de trois filles, Léna, 15 ans, née d’une précédente union, Célia, 11 ans et Zoé, 4 ans. « Je suis un papa poule, bienveillant, tranquille, mais plein de principes de partage, de respect, d’écoute. »
Enfin les retrouvailles
Le jeune homme renoue avec son père en 2002, sorti de prison quelques temps auparavant. « Quand je l’ai revu, je me suis mis à trembler, à transpirer. C’était une vague d’émotion, nous avions tant de choses à nous dire. Moi aussi, j’étais dans ma prison les années où il y était. On s’est retrouvés définitivement et on ne s’est plus lâchés. »
Le jeune homme raconte alors à Jean-Marie Drouet les épreuves qu’il a traversées, les sévices subis. Et c’est son père qui lui propose d’écrire un livre à quatre mains, pour enfin se libérer de son histoire. Deux ou trois réécritures après, le temps de remettre en ordre la chronologie, de contacter tous les protagonistes, dont sa mère, l’ouvrage est prêt. « Ma mère est toujours restée dans le déni de l’abandon et des mauvais traitements. Mais je lui ai pardonné et je ne garde pas de rancœur. Je suis allé loin dans les recherches et j’ai découvert ce qu’avait été sa vie d’enfant. Elle est d’une fratrie de 11 enfants tous placés par l’Aide sociale à l’enfance, victimes de viols, d’attouchements. Elle est très malade actuellement et je lui souhaite de partir en paix. Je suis resté proche de mes sept petits frères et sœurs. »

L’apaisement d’un père
Aujourd’hui, Ludovic apprend à composer avec ce passé douloureux, entouré par sa femme, ses enfants, sa famille, fort des liens noués avec Joëlle, devenue sa marraine quand il a demandé le baptême à la Maison Saint-Jean. « L’histoire de mon enfance reste un échec familial. Mon père et moi étions deux plantes mal construites, un peu tordues. Nous nous sommes trouvés et nous nous sommes soignés mutuellement. J’ai été un bâton dans sa roue et pourtant il ne m’a jamais lâché. Je sais ce qu’il a été et je n’excuse en rien ses activités. Mais il m’a transmis le respect, le partage, l’empathie, l’altruisme. Conjugué à ce que la Maison Saint-Jean m’a transmis aussi, cela a fait de moi l’homme que je suis et cela ne m’a jamais quitté. »
Au moment où son histoire va être plus largement connue du grand public, avec la diffusion sur TF1 et Tomer Sisley pour incarner son père, il est à la fois heureux et fébrile.
« Aujourd’hui, je veille à ce que mes enfants grandissent sereinement. Il ne faut pas qu’ils se perdent dans les méandres des conflits familiaux. Le film leur permet de comprendre par quoi je suis passé, même si c’est un peu édulcoré. C’est une grande fierté pour mes filles et un exutoire pour moi. Je repars à zéro sur de bonnes bases, en reconstruisant les racines familiales. Au final, ce lien entre mon père et moi, c’est une histoire d’amour. »
À voir
Comme mon fils, téléfilm de Franck Brett, adapté de l’histoire de Ludovic Guittet et de Jean-Marie Drouet, sur un scénario original d’Edgar Marie.
À lire
L’Enfant de la cavale, 2018, éd. Michel Lafon
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