Plaidoyer

Quel accueil pour les mineurs non accompagnés ?

Apprentis d’Auteuil, comme 13 autres organisations, a soutenu samedi 25 mars l’appel lancé par l’association Confrontations aux candidats à la présidentielle sur l’urgence de relever le défi de l’accueil des migrants, en particulier, celui des mineurs non accompagnés. André Altmeyer, directeur général adjoint de la fondation, intervenait à cette occasion. Interview.

Apprentis d’Auteuil accueille environ 1000 mineurs non accompagnés. Pourquoi ?

 À l'instar d’autres pays européens, la France connaît depuis les années 1990 l’immigration de mineurs non accompagnés (MNA). Au début des années 2000, l’État français a mis à l’abri ces mineurs au titre de la protection de l’enfance en les accueillant majoritairement dans des établissements du secteur public et associatif habilités par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). En raison de son savoir-faire, Apprentis d’Auteuil a rapidement été sollicité par les services de l’ASE et a répondu favorablement aux demandes des conseils départementaux.
Le nombre de ces jeunes a considérablement augmenté ces dernières années. L’accueil et la prise en charge de ces jeunes sont un enjeu pour les conseils départementaux. D’autant plus aujourd’hui, quand l’Europe connaît un afflux important d’adultes migrants, seuls ou en famille, dont des  MNA.

Quel est leur parcours ?

Ces jeunes, souvent très déterminés, empruntent au risque de leur vie la route de la migration vers l’Europe, tout en espérant accéder à une vie meilleure. Certains sont envoyés par leurs familles qui s’endettent pour payer les passeurs. Généralement, l’enfant arrivé en France doit rapidement se procurer de l’argent pour rembourser sa dette. D’autres fuient des zones de conflit. Pendant leur trajet, ils connaissent l’errance, la fatigue, la famine, la violence, l’exploitation. Ceux qui ont eu la chance d’arriver en Europe sont souvent traumatisés par leur voyage. 
Leurs difficultés sont loin de s’estomper une fois arrivés en France. Les plus de 17 ans ne bénéficient pas toujours de la prise  en charge des services de l’ASE et se retrouvent souvent en situation de rue, à la merci de toutes les formes d’exploitation. Ceux qui sont accueillis se heurtent aux obstacles administratifs concernant leur entrée en formation et l’obtention d’un titre de séjour, ce qui ne facilite pas leur insertion.

Quelle prise en charge ?

Comme pour tous les enfants que nous accueillons dans le cadre de la protection de l’enfance,  il s’agit d’abord de leur offrir un cadre  protecteur et sécurisant, pour qu’ils se stabilisent et préparent leur projet. Il nous faut aussi pallier leur désenchantement après les premières semaines vécues en France. La réalité est en effet souvent bien éloignée des représentations qu’ils avaient sur l’Europe.
Les MNA sont généralement hébergés dans des Maisons d’enfants à caractère social ou des  logements en habitat diffus en centre-ville, quand ils ont acquis l’autonomie nécessaire dans la gestion de leur quotidien  (scolarité, formation professionnelle, démarches administratives, de santé, etc…). La question de la santé est un vrai casse-tête : ces jeunes souffrent de carences multiples et la plupart n’a aucune couverture vaccinale. L’accent est également mis sur un accompagnement psychologique afin de leur permettre de surmonter l’épreuve de l’exil et les problématiques singulières et douloureuses qui en sont l’expression. Enfin, nous travaillons avec eux les codes culturels.

Comment les préparer à l’insertion socioprofessionnelle ? 

Les contraintes règlementaires impliquent un processus d’insertion rapide. Notre objectif est de  les accompagner dans un parcours d’insertion. Ceux qui le désirent sont informés des modalités de retour dans le pays d’origine. Pour la plupart désireux de rester en France à leur majorité, ils doivent régulariser leur situation administrative. L’apprentissage de la langue demeure pour eux une étape importante. Ceux qui ont bénéficié d’une scolarité dans leur pays intègrent le cursus général. Les autres sont orientés vers un Centre éducatif de formation et d’insertion préprofessionnelle (CEFIP) qui propose remise à niveau, alphabétisation, préformation et mise à l’emploi.
La plupart des jeunes intègre ensuite de manière progressive une formation en CAP. Leur choix de formation se porte le plus souvent vers les "métiers en tension" : bâtiment, mécanique, électrotechnique ou restauration. Leur détermination, leur envie d’apprendre (ils obtiennent généralement de bons résultats scolaires) et de s’insérer en France amènent certains à accomplir des parcours remarquables.

Quelles sont les difficultés ?

Leur prise en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance s’arrête généralement à 18 ans s’ils ne bénéficient pas d’un « contrat jeune majeur », octroyé aux 18-21 ans sous conditions, mais de plus en plus difficile à obtenir. Les tensions actuelles à l'entrée du marché du travail, le durcissement des règles de régularisation, l’augmentation des délais d’obtention de titres de séjour, que l'on soit demandeur d'asile ou non, freinent, voire annihilent, les espoirs de ces jeunes de pouvoir rendre à la société française ce qu’elle leur a donné : des compétences, une envie de travailler, de s’insérer, de faire leur vie sur le territoire français.
Ces situations sont « ubuesques » car « formés et motivés, ayant des propositions d'embauche, y compris en intérim sur des métiers en tension, ils sont contraints d'y renoncer et risquent de se retrouver à la rue, de quitter le territoire et de revenir dans leur pays d’origine, où ils n’arrivent pas toujours à retrouver leur place »

Quelles sont les initiatives d’Apprentis d’Auteuil ?

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Un jeune mineur non accompagné accueilli au service Oscar Romero à Paris (c) DR

Au nom de ses valeurs, de son engagement à l’égard des jeunes en difficulté, Apprentis d’Auteuil est fortement engagé auprès mineurs non accompagnés et continuera à l’être dans les années à venir, par le développement de nouveaux dispositifs, parallèlement à une réflexion commune avec ses partenaires européens et internationaux.
Le Service Oscar Romero, par exemple, accueille depuis 2016 des MNA  âgés de 17 ans et plus, référés par l’ASE. Il a pour vocation d’accompagner ces jeunes dans leur insertion globale, sociale, administrative, professionnelle et dans leur recherche de logement, et cela, bien au-delà de leur majorité. Habilité et soutenu par le Département et la Ville de Paris, il a été coconstruit avec des partenaires mobilisés : la Société philanthropique, Savoirs pour Réussir Paris et Parcours d’exil.
Apprentis d’Auteuil engage une réflexion avec ses partenaires européens et internationaux visant à mener ensemble des actions de plaidoyer et à envisager des modalités d’intervention complémentaires, notamment l’accompagnement à l’insertion professionnelle et à la création d’activités des jeunes qui souhaiteraient retourner dans leur pays.
Mais développer ces nouvelles actions revient aussi à pallier les effets négatifs générés jusqu’à présent par  la règlementation.

Quelles recommandations ?

Dans un avis récent, le défenseur des Droits, Jacques Toubon, souligne qu’il est toujours impossible de connaître le nombre exact des MNA en 2016, les chiffres variant, selon les sources, de 8000 à 19 000. Il pointe par ailleurs de nombreux dysfonctionnements dans leur prise en charge en France.
Beaucoup de signalements ne sont pas suivis d’une mise à l’abri, certaines demandes de prise en charge étant parfois purement et simplement refusées au seul « faciès ». Il constate ensuite de fortes disparités dans le traitement des dossiers en fonction des départements.
Le Défenseur dénonce également la lenteur des juridictions, dont certaines ne tiennent qu’une audience dédiée par trimestre, le jeune n’étant pas pris en charge durant ce temps ; des audiences sans assistance d’un conseil (qui n’est pas obligatoire) ; des audiences parfois sans audition ; la violation du principe du contradictoire ; des détournements de procédure, notamment lorsque l’ordonnance de protection a pour seul but de réaliser des examens osseux, un suivi éducatif a minima…
L’avis relève enfin que, malgré l’existence de structures adaptées, le suivi éducatif est souvent opéré a minima ou après une longue période de latence, compromettant la régularisation administrative. A ce titre, le Défenseur souligne avoir été saisi à de nombreuses reprises de refus d’autorisations de travail opposés par la Direccte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), refus qu’il juge illégaux.
Fort de ces constats, il présente plusieurs recommandations, dont :
- une réécriture de l’article 388 du code civil sur les examens osseux, compte tenu de son caractère imprécis conduisant à des pratiques disparates ;
- une clarification des dispositions relatives à la délivrance des autorisations de travail pour mettre fin « aux interprétations problématiques des préfectures » ;
- l’octroi de plein droit d’un titre de séjour pour les mineurs pris en charge par l’ASE ;
- la fin des privations de libertés des mineurs non accompagnés en zone d’attente.
À Apprentis d’Auteuil, nous partons du principe que ce nous devons réserver à ces jeunes doit être équivalent, dans la qualité de sa prise en charge, à celui de tout autre mineur placé sous la protection de l’Etat français. Nous portons un regard et un message d’espérance sur ces jeunes, ces enfants et pensons qu’ils sont avant tout une richesse pour toutes celles et ceux qui les découvrent et les côtoient.