Plaidoyer

Protéger les mineurs non accompagnés

D’année en année, de plus en plus de jeunes venus de pays hors union européenne, sans soutien familial, arrivent sur notre territoire. Particulièrement vulnérables, les mineurs non accompagnés (MNA), comme on les appelle, nécessitent une attention et une prise en charge particulières. Explications, à l'occasion de la campagne de sensibilisation d'Apprentis d'Auteuil pour les MNA.

Amadou est Malien. Arrivé en France sans savoir lire ni écrire, il prépare actuellement le concours « Un des meilleurs apprentis de France » catégorie peintre en bâtiment au lycée Saint-Michel (Priziac, 56), et est accompagné par la plateforme d’orientation de Vannes au quotidien. Il se souvient de ses premières impressions, arrivé en Bretagne : « C’était l’hiver. Au début, je croyais que la ville n’était pas habitée, car il n’y avait personne dans les rues. Il faisait froid… »
Amadou comme Ahmed, Ali ou Imran, sont des mineurs non accompagnés (MNA). Au prix de tous les dangers et d’un long périple, les voici en France, où ils doivent raconter leur histoire d’exil, prouver qu’ils sont bien mineurs et isolés, avant que la France ne les protège et ne les mette à l’abri, au titre de la protection de l’enfance et de la convention internationale des droits de l’enfant que notre pays a ratifiée.
Apprentis d’Auteuil a accueilli 1500 MNA l’année dernière, que ce soit dans une de ses Maisons d’enfants ou dans un de ses dispositifs dédiés. Soit 10 % du total des MNA accueillis en France, ce qui fait de la fondation le premier opérateur privé de cette prise en charge. Au regard de la situation critique des jeunes MNA en France, la fondation lance Jeunesse sans voie, sa campagne de plaidoyer, pour alerter le grand public.

Un accueil inscrit dans l'ADN d'Apprentis d'Auteuil

Antoine, éducateur, avec Gift, au DAEOMIE des établissements sociaux Saint-Martin (72) JP Pouteau / Apprentis d'Auteuil
Antoine, éducateur, avec Gift, au DAEOMIE des établissements sociaux Saint-Martin (72) (c) JP Pouteau / Apprentis d'Auteuil

La fondation et les MNA, c’est une longue histoire qui remonte… à ses tout débuts, en 1866. L’abbé Roussel, ému par le sort des jeunes battant le pavé à Paris, commence à accueillir un, puis, deux, puis trois garçons. Poulbots parisiens, Canaque, Berrichon, mais aussi adolescent venu de Russie ou de Chine, rien de plus naturel pour le prêtre qui répond à la détresse extrême des enfants de son époque… Au début des années 1980, ce sont des jeunes de l’Asie du sud-est, des boat-people, fuyant la guerre et les exactions.

Aujourd’hui, en 2018

Presque quarante ans plus tard, ces jeunes, à 95 % des garçons, viennent majoritairement d’Afrique, mais aussi d’Asie (Pakistan, Afghanistan, Bangladesh) et dans une moindre mesure, d’Europe (Albanie, Kosovo). Avec des histoires, des parcours, des motivations différentes, de la fuite de persécutions ethniques, politiques, religieuses, ou d’un milieu familial maltraitant, en passant par l’injonction à poursuivre des études ou à travailler en Europe. (1)
EN CHIFFRES
  • 1500 Mineurs non accompagnés (MNA) en 2017, soit 10 % du total des MNA pris en charge sur le territoire français
  • 23 mois : durée moyenne de l'accompagnement
  • Âge moyen : 16 à 18 ans
  • 37 établissements d'accueil dont 15 dispositifs ciblés, avec le soutien de partenaires, dont la Fondation BNP Paribas

L'engagement d'Apprentis d'Auteuil

Des jeunes MNA accueillis au dispositif Malala Yousafzaï de Thiais (94) (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil
Des jeunes MNA accueillis au dispositif Malala Yousafzaï de Thiais (94) (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

Du fait de sa longue expérience, Apprentis d’Auteuil est régulièrement sollicité par les services départementaux et par le gouvernement pour partager son expérience de terrain. En début d’année 2018, la fondation a affirmé ses principes d’accueil et d’action concernant la prise en charge des MNA. « Ils ont besoin d’un véritable accompagnement éducatif, adapté à leurs spécificités et à leurs besoins, souligne Isabelle David-Lairé, directrice nord-ouest. Notre engagement à leur égard, c’est de leur donner les clés pour qu’ils puissent réussir leur vie et tisser du lien avec leur environnement. » 

Objectif autonomie et insertion

Au dispositif d’accueil Malala-Yousafzaï (Thiais, 94), du nom de cette jeune Pakistanaise, prix Nobel de la Paix 2014, 27 garçons originaires du Mali, de Côte d’Ivoire, de Guinée, de Tunisie et d’Inde, travaillent leur projet personnel et professionnel, accompagnés par l’équipe. « Différents ateliers sont mis en place, explique Stéphane Da, le directeur. Par exemple, sur l’insertion professionnelle, la gestion de la vie quotidienne, l’intégration citoyenne, la cuisine… » Beaucoup de points essentiels à travailler, durant le temps très court de prise en charge, avant la majorité. « Ici, on m’a aidé à résoudre mes problèmes de santé, confie Abdoulaye, jeune Guinéen de 17 ans. Les éducateurs m’ont aussi aidé à trouver un patron pour mon contrat d’apprentissage en mécanique auto. Je commence une nouvelle étape de ma vie. »

Se préparer à des métiers en tension

Hazifur et Moana en formation de serrurier au LP Saint-Michel (Priziac, 56) JP Pouteau/Apprentis d'Auteuil
Hazifur et Moana en formation de serrurier au LP Saint-Michel (Priziac, 56) (c) JP Pouteau/Apprentis d'Auteuil

Un objectif d’’autonomie et d’insertion similaire pour le service Oscar Romero à de Paris. Cet accueil de jour, ouvert 7 jours sur 7, accueille 30 jeunes logés en appartements à Paris, Vincennes et Clichy, grâce à la Société philanthropique, un bailleur social. Rendez-vous individuels, ateliers collectifs… les jeunes travaillent leur projet personnel de multiples façons. « La plupart sont déjà scolarisés quand ils arrivent chez nous, soit en classe d’accueil, soit dans des lycées professionnels pour passer un CAP, souligne Ulrich Breheret, le directeur. Nous leur recommandons de se préparer à des métiers en tension pour multiplier leurs chances de s’intégrer socialement et professionnellement (restauration, boulangerie, boucherie, etc.). Un important volet est également consacré à la santé avec tout ce qui concerne le traumatisme du parcours migratoire. »

Connaître la culture française

Outre les savoirs scolaires de base et un métier, ces très jeunes gens doivent aussi apprendre à être autonomes dans tous les domaines de leur vie en France, ce qui suppose pour eux d’en intégrer les codes, d’en connaître les valeurs. « Nous essayons de montrer la réalité de la vie aux jeunes et de les mettre face à leurs responsabilités, avec le respect de la parole donnée et de l’engagement, précise Marie-Line Pélisset, éducatrice scolaire aux Fils de Noé, à Dijon. Nous travaillons aussi sur le comportement à adopter en société. Ils sont très réceptifs, car motivés à s’insérer au maximum. »
Pour leur faire connaître la culture et le mode de vie français, l’établissement a ainsi en place un partenariat avec l’opéra de Dijon, des activités en commun avec les scouts de France, l’inscription des jeunes dans des clubs sportifs ou des associations locales. Ahmed, 16 ans : « Ici, on m’aide pour bien apprendre la langue, pour découvrir la culture française pour comprendre comment les choses fonctionnent. Je suis content d’être ici. »

L'importance de la rencontre

M. Philippe, un bénévole, aide Lamarana dans son apprentissage du français à Vannes. (c) Nicolas Lascourrèges/Apprentis d'Auteuil
M. Philippe, un bénévole, aide Lamarana dans son apprentissage du français à Vannes. (c) Nicolas Lascourrèges/Apprentis d'Auteuil

À Vannes, la plateforme d’orientation comporte un service dévolu à l’accueil et l’accompagnement des jeunes MNA, un autre à l’insertion des anciens. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’ambiance d’une vraie maison qui se dégage des lieux. Sur une étagère, bien en vue, toute une ribambelle de peluches à disposition des garçons, plus tout à fait des enfants, mais loin d’être encore des hommes. Des adolescents, en grande demande affective.
Anne Valla, la responsable, a su en quelques années tisser de véritables liens d’amitié et d’entraide avec le voisinage. Des bénévoles qui aident au soutien scolaire, invitent les jeunes chez eux pour les grandes fêtes ou les week-ends, leur apprennent le français… « L’accueil et la rencontre humaine sont primordiaux, affirme Anne Valla. C’est prendre du temps pour parler avec chacun de son projet, manger ensemble, partager des moments de vie. » Mohamed, jeune Guinéen de 17  ans est accompagné par Priscilla Devulder, médecin généraliste qui vient lui donner des cours de français à titre bénévole et l’invite aussi dans sa famille. « Tout va bien, je suis en 1ère année de boulangerie. Les gens sont tous accueillants. » Il apprend actuellement à nager… Une belle victoire sur la peur et le passé

Le point de vue de Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, adjointe du Défenseur des droits

La situation des MNA est plus préoccupante que jamais. Le nombre des mineurs arrivant en France sans soutien familial a littéralement explosé depuis 2017, entraînant un allongement des délais de mise à l’abri, d’évaluation de leur situation et de prise en charge, extrêmement problématique.
Ces jeunes devraient pourtant bénéficier d’une protection immédiate, en vertu des engagements internationaux de la France et de la loi du 14 Mars 2016 portant sur la protection de l’enfant. Or les saisines du Défenseur des droits montrent des problèmes d’accès à une mise à l’abri digne de ce nom, dans l’évaluation de leur minorité et de leur isolement, ou encore dans leur accompagnement éducatif. Toutes ces difficultés conjuguées font des MNA des victimes toutes désignées des réseaux de traite des êtres humains.
De plus, leurs droits fondamentaux ne sont souvent pas respectés, tels que le droit à la santé, en dépit des traumatismes liés à leur parcours migratoire. Ils ont d’abord besoin d’être accueillis, et accueillis dignement. Plus d’hébergement en hôtel pour ces mineurs vulnérables ! Ils doivent aussi pouvoir accéder rapidement à la scolarisation ou à la formation professionnelle, clé de leur insertion. En étant suffisamment soutenus à leur majorité, pour qu’ils trouvent leur place dans notre société.
En 2019, Apprentis d’Auteuil lance une campagne de sensibilisation qui dénonce les préjugés sur les mineurs non accompagnés, à découvrir ici