Plaidoyer
11 mars 2016

Lutte contre l'illettrisme : un enjeu pour la France

L’illettrisme, qui concerne 7 % de la population française, a non seulement un impact sur la santé, l’emploi, l’engagement citoyen des personnes, mais aussi l’économie du pays. France Stratégie, institution rattachée au Premier Ministre, livre ses préconisations pour diviser ce taux par deux en dix ans. Le point avec Quentin Delpech.

Quels sont les profils des personnes en situation d’illettrisme ?

Quentin Delpech, de France Stratégie. DR

Quentin Delpech : Nos chiffres s’appuient sur une enquête de l’INSEE menée en 2011 avec l’ANLCI (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme) auprès des 18-65 ans : 7 % de personnes sont en situation d’illettrisme en France métropolitaine (hors DOM TOM), soit 2,5 millions de personnes en 2011. Ce sont des hommes plus que des femmes. Plus de la moitié a plus de 45 ans. Autre population touchée : les jeunes. Lors des Journées défense citoyenneté (JDC), en 2014, on en a dénombré 31 000. D’autres enquêtes montrent qu’en France, plus que dans d’autres pays, une proportion importante d’adultes maitrise mal les compétences de base. Une enquête conduite dans les pays de l’OCDE estime en France à 22 % le nombre de personnes qui ont un faible niveau à l’écrit, et 28 %, celles qui ont un faible niveau en calcul. Ces personnes vivent plutôt dans des zones plus faiblement peuplées, ou dans les ZUS (zones urbaines sensibles). Par contre, contrairement aux idées reçues, elles ne sont pas coupées de la société. Elles ont trouvé des stratégies d’évitement pour s’accommoder de leur situation. Plus de 50 % ont un emploi.

Quelles sont les conséquences sur leur vie ?

L’illettrisme a un impact sur l’autonomie des individus, sur leur émancipation sociale. Il y a des risques plus importants d’enfermement social et professionnel. L’enquête de l’OCDE le pointe, les effets touchent aussi les domaines de la santé, de l’engagement citoyen, de la participation au marché du travail et à des activités associatives. Alors que maitriser les compétences de base est un préalable pour  accéder à d’autres types de qualification.  

Quelles sont vos préconisations ?

Notre analyse préconise de cibler les deux populations, les séniors et les jeunes. Mal maitriser les compétences de base met les personnes en situation d’illettrisme dans un risque de précarisation accrue.

Quels sont les enjeux pour le pays ?

La lutte contre l’illettrisme est un enjeu de cohésion sociale. Les enquêtes de l’OCDE le montrent, l’illettrisme  a des effets sur la participation au marché du travail et sur la productivité des individus, qui plus est, dans la perspective de mobilité professionnelle accrue, de nouvelles méthodes de travail et d’introduction de nouvelles technologies. À l’avenir, ce sera un enjeu crucial pour le capital humain de notre société et pour la croissance à long terme.

Vous parlez également d’enjeu au regard de la révolution numérique. C'est-à-dire ?  

Sur ce thème, nous n’avons pas les données pour la France. Mais les autres pays connaissent la même situation : un faible niveau de maitrise des compétences numériques pour les générations plus âgées. Parallèlement, d’autres enquêtes montrent que les jeunes ont beau utiliser le numérique et les réseaux sociaux, cela n’en fait pas forcément des personnes capables de chercher efficacement du travail ou des données sur Internet.

Le rapport préconise la mise en place d’une politique volontariste pour diviser ce taux par deux. Comment faire ?

De manière mécanique, le taux d’illettrisme va baisser en France dans les prochaines années, du fait du renouvellement générationnel, d’un meilleur taux de scolarisation de la population et d’une formation mieux ciblée. Il a déjà baissé mécaniquement de 2004 à 2011, passant de 9 à 7 %. Cette baisse n’est pas uniquement due au renouvellement générationnel, mais également aux politiques publiques menées et à une prise de conscience générale.
Il faut aller beaucoup plus loin. Cette lutte nécessite des financements supplémentaires (50 millions d’euros en plus par an) par rapport à l’argent déjà alloué. Il faut en effet former tous les ans pendant dix ans 74 000 adultes et 31 000 jeunes. Il faut déjà cibler les jeunes en situation d’illettrisme repérés lors des JDC, leur offrir des formations, les orienter. Dans le cas des jeunes encore scolarisés, leur donner accès à des formations plus en lien avec leurs problèmes, notamment grâce aux Écoles de la seconde chance. Au sein des établissements scolaires, il est nécessaire de s’appuyer sur ce qui existe,  plutôt que de créer des dispositifs ex nihilo.

Comment toucher les adultes, les familles et les jeunes en amont ?

La base d’une détection précoce se situe dans le cadre de l’Éducation nationale. Les efforts faits actuellement grâce à la refondation de l’école, au socle commun de connaissances et de compétences, vont dans le bon sens. Il faut aussi préciser que les 31 000 jeunes détectés lors des JDC font partie des 72 000 jeunes fragiles dans leurs savoirs de base. La politique scolaire vise à aider ces 72 000 jeunes, dont la plupart sont encore scolarisés.
Pour autant, les financements sont une chose, les dispositifs de politique publique en sont une autre, mais tout cela ne marchera que si tous les acteurs sont mobilisés. Dans la sphère scolaire, on peut aussi mentionner les actions familiales éducatives, qui permettent de détecter des situations d’illettrisme chez les parents. Dans la sphère du monde du travail, on peut y travailler dans le cadre des branches professionnelles, via les managers de proximité, les partenaires sociaux. Le problème de la formation professionnelle, qui serait un bon outil dans la lutte contre l’illettrisme, c’est qu’elle bénéficie en France majoritairement à ceux qui sont déjà diplômés. Les personnes qui en auraient le plus besoin y accèdent moins, car il y a des problèmes de diffusion de l’information et d’appétence.
La troisième sphère concerne le monde associatif. Beaucoup d’associations mènent des actions de sensibilisation, de formation, et donnent, par exemple, le goût de la lecture à des jeunes.
Dans le monde du travail et à l’école, on note une mobilisation importante autour de ce phénomène qui reste pourtant tabou. Mais il y a encore beaucoup d’actions à mener pour la sensibilisation du grand public.