Plaidoyer

Liban : le rapport d'Apprentis d'Auteuil à l'ONU

Apprentis d’Auteuil et ses partenaires - Tahaddi et la congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur - ont déposé un rapport sur le Liban auprès du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Interview de Sabine Mengue, chef de projets Bassin méditerranéen et de Catherine Mourtada, directrice de Tahaddi.

 

Apprentis d’Auteuil et ses partenaires libanais ont déposé le 22 mars un rapport à l’ONU. Que représente cette opportunité pour la fondation ?

Sabine Mengue : Les constats et les recommandations présentés dans ce rapport, sont écrits et partagés par nos trois organisations : l’association Tahaddi, les Sœurs de la congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur et Apprentis d’Auteuil. Notre statut consultatif spécial auprès d'ECOSOC, le conseil économique et social de l'ONU, nous donne la possibilité de participer à l'Examen périodique universel (EPU) de l'ONU (voir encadré).
Notre présence à l’international nous permet de porter plus haut la cause des jeunes et des familles les plus fragiles, et leur droit à l’éducation, à la formation et à l’insertion. C’est aussi une opportunité d'échanger avec d'autres ONG internationales à Genève, acteurs de la prévention et de la protection de l’enfance.
 

Vous abordez en premier lieu, les droits des femmes. Quels sont vos constats ?

Enfants des rues ©Sylvie de Muizon/Apprentis d'Auteuil

S. M. : Nous avons abordé le droit des femmes sous deux aspects, la violence conjugale et l’alphabétisation, deux questions cruciales aujourd’hui. Une loi sur la protection des femmes a été adoptée en 2014 au Liban. Nous aimerions qu’elle aille un peu plus loin, en reconnaissant et en pénalisant par exemple, le viol dans le cadre conjugal. Nous recommandons également des enquêtes nationales sur la violence domestique pour sensibiliser le grand public. Nous préconisons de poursuivre les efforts en matière d'alphabétisation, de formation des femmes et des jeunes filles, afin qu’elles puissent être autonomes.

Concernant les enfants, que remarquez-vous ?

Catherine Mourtada : Nous sommes dans une région extrêmement pauvre. Il est fréquent que les enfants travaillent pour soutenir les parents, et en particulier les enfants réfugiés syriens, en raison de la situation financière catastrophique des familles réfugiées et l’interdiction qui leur est officiellement faite de travailler. L’âge légal du travail est de 14 ans, mais nous constatons sur le terrain que les enfants travaillent bien avant. Il faudrait que ces enfants – en particulier syriens - puissent aller à l'école. Au décrochage scolaire, s’ajoutent les abus ou le racisme dont ils peuvent être victimes. Cependant, malgré les phénomènes de rejet, au regard de l’afflux des réfugiés (plus d’un quart de la population libanaise), il y a aussi un élan d’aide et de solidarité dans le pays.

Vous pointez du doigt l’âge légal du travail des enfants ?

Enfant et sa mère au Liban ©Sylvie de Muizon/Apprentis d'Auteuil

S. M. : Nous proposons de relever l’âge légal de 14 ans qui nous semble trop précoce. Nos partenaires nous disent la difficulté de condamner le travail des enfants, seule source de revenus pour certaines familles, mais affirment la nécessité de mieux l’encadrer et d’en garantir la sécurité. Autre point soulevé dans le rapport, l’accès à l’éducation des enfants syriens. Ceux-ci ne sont pas allés à l’école pendant un an, deux ans, à cause de la guerre. Ils ont des difficultés d’apprentissage, des traumatismes de guerre. Les écoles ne sont pas préparées à les accueillir.
On essaie de trouver des solutions, par exemple, l’école à mi-temps. Il y a encore du travail à faire. L'Etat libanais n'a pas assez d'argent, d'infrastructures, ni d'enseignants formés. Le problème du travail des enfants  concerne aussi les enfants libanais, mais les réfugiés sont les plus exposés. Nous invitons donc le Liban à adhérer à la Convention de 1951 relative aux réfugiés.

Dernier grand domaine évoqué, très méconnu en France, celui de la population dom. 

S. M. : Cette population est très peu connue, elle est marginalisée partout. Et pourtant elle existe, elle est là. Ce sont les marginalisés parmi les marginalisés.  C. M. : On pense que les Doms sont originaires d’Inde. Ils voyageaient un peu partout dans les pays arabes, en Jordanie, en Palestine, au Liban, où beaucoup se sont sédentarisés. Une bonne partie d’entre eux a la nationalité libanaise. On compte environ 15 à 20 % de sans-papiers, qui n’ont pas d’existence officielle. Ils vivent dans une extrême pauvreté et sont un groupe complètement discriminé au Liban. Ils n’ont pas accès à l’éducation, à la santé. Il y a urgence à informer et sensibiliser le grand public, pour que le regard change et que  les mentalités évoluent.

Dates clés : Apprentis d’Auteuil à l’ONU

2013 : Rapport alternatif d’Apprentis d’Auteuil et de ses partenaires sur la République démocratique du Congo
2014 : Apprentis d'Auteuil obtient le statut consultatif spécial auprès d’ECOSOC, le conseil économique et social de l’ONU
2014 : Rapport d’Apprentis d’Auteuil et de ses partenaires sur Madagascar
2015 : Rapport d’Apprentis d’Auteuil et de ses partenaires sur le Liban

À l’ONU, les droits de l’Homme à la loupe

Depuis 2006, l’ONU organise trois fois par an l’Examen périodique universel (EPU), sous l’égide du Conseil des droits de l’homme. Tous les quatre ans environ, chacun des 193 États membres dresse un état des lieux de la situation de son pays dans le domaine des droits de l’homme et du respect de ses obligations légales. Les ONG qui ont obtenu le statut consultatif auprès du Conseil économique et social (ECOSOC) de l’ONU, peuvent aussi y participer en soumettant un rapport et des recommandations.
L’ONU dispose ainsi de trois sources différentes pour examiner la situation de chaque pays : ses propres renseignements, le rapport de l’État concerné, et le résumé des recommandations faites par les ONG et la société civile.