Petits enfants en crèche
Petite enfance
12 décembre 2025

Christine Schuhl, la petite enfance et les « douces violences »

Éducatrice de jeunes enfants, chercheuse en sciences de l’éducation, formatrice, conférencière et auteure, Christine Schuhl partage volontiers son expérience et ses connaissances acquises auprès des tout-petits dans les crèches. Parallèlement, elle développe son concept de douces violences pour permettre à chacun de les connaître et de les éviter. 

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Dans cette interview, Christine Schuhl, éducatrice de jeunes enfants et chercheuse en sciences de l’éducation, partage son expérience et ses connaissances acquises auprès des tout-petits dans les crèches. Elle présente aussi son concept de douces violences pour permettre à chacun de les connaître et de les éviter.

Comment accompagner au mieux les tout-petits dans leur développement ? Notamment dans les crèches qui accueillent des enfants issus de foyers en situation de précarité. 

Il n’existe pas de recette miracle ! Il convient, en premier lieu, de travailler autour de la sécurité affective de chaque enfant. Sans remplacer le ou les parents, une ou deux personnes doivent prendre le relais et devenir les référentes de l’enfant lors des temps forts de sa journée : repas, endormissement, soins. 

L’espace de vie doit être spécialement aménagé pour que chaque enfant ait des repères, se sente bien, en sécurité. Un univers particulier doit également être créé pour qu’il ait envie d’essayer, d’imaginer, de réussir, de découvrir le monde qui l’entoure. Un univers où des jeux sont à disposition et des adultes présents, visibles, prêts à stimuler l’enfant dans son envie d’apprendre

Car, même si la vie a inscrit un enfant dans une histoire très compliquée, les adultes ne doivent pas l’étiqueter « Toi, tu n’as pas eu de chance ! », encore moins lui proposer des temps ou des activités spécifiques. Les adultes doivent l’inclure dans un environnement porteur où cet enfant va être porté comme tous les autres enfants. Aucune histoire ne limite le champ des possibles

Quelle place laisser à ses peurs, à ses pleurs ? 

Qu’il soit ou non issu d’un foyer en situation de précarité, un enfant qui pleure tire un signal d’alarme : il a quelque chose à nous dire. À nous de le consoler, de le rassurer, d’essayer de comprendre ce qu’il a. 

Un enfant plus fragile, plus sensible à ce qui se passe autour de lui - moins secure – va peut-être tirer plus rapidement et plus fréquemment ce signal d’alarme. S’il ne comprend pas ce qui se passe autour de lui, s’il a besoin de son papa ou de sa maman, nous devons lui offrir tout ce que nous pouvons pour le rassurer : un doudou, du portage, nos bras. 

Cet enfant comme tous les autres a besoin de la disponibilité, du regard, des bras de l’adulte, du contact peau à peau pour lui permettre de recréer de l’ocytocine, l’hormone du lien affectif et de calmer le cortisol, l’hormone du stress, qui s’affole.

Christine Schuhl
Pour Christine Schuhl, aucune histoire aussi compliquée soit-elle ne limite le champ des possibles. © DR

Vous avez élaboré le concept des douces violences. Pouvez-vous l’expliquer ?

Ce concept tourne autour de la communication verbale et non verbale : les paroles au-dessus de la tête d’un enfant, les jugements, les étiquettes, les soupirs, les gestes, le rythme... C’est le point de bascule où, à un moment donné, l’intention d’une personne bienveillante prend le dessus sur la posture ou l’intention de l’enfant. L’adulte impose un geste à l’enfant. C’est le moucher le nez, le sentir les fesses sans prévenir l’enfant. C’est le « Assieds-toi ! » une fois, deux fois et à la troisième fois l’adulte prend l’enfant par le bras et l’assoit. L’enfant n’a pas compris, il est très surpris. Les douces violences ne sont pas un acte unique mais des actes cumulés. Nous les retrouvons de la naissance à la gériatrie.

Quelles sont les causes de ces douces violences ?

Le souci d’efficacité, les organisations, le manque de personnel, le manque de temps, le peu d’estime accordée aux professionnels, la fragilité de l’encadrement... Les douces violences résultent des institutions et des personnes : chacun a un degré de tolérance plus ou moins élevé.

Petits enfants en crèche
Un univers particulier doit être créé autour de l'enfant pour qu'il ait envie de découvrir le monde qui l'entoure. © iStockPhoto

Comment les prévenir ? 

En s’assurant, dans un premier temps, que tout le monde comprend qu’il ne s’agit pas de maltraitance avec son côté pervers de vouloir faire mal à l’autre. En réalité, tout le monde est bienveillant mais peut, à un moment donné, basculer dans les douces violences

Nous pouvons en parler dès l’instant où nous sommes en présence d’une personne qui, quel que soit son âge, se trouve en situation de vulnérabilité : un salarié dans une entreprise, une personne en situation de handicap, une personne malade, une personne âgée... 

Vous avez participé comme personne ressource au rapport de l’IGAS 2022 sur la « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches ». Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Les institutions bougent ! Les douces violences ont été identifiées et analysées. Le plus marquant pour moi est que ce concept que j’ai élaboré il y a des années, est quasiment entré dans le langage commun car il concerne tout le monde. Les professionnels relaient leurs connaissances et compétences sur le terrain et dans leur sphère privée. Une question demeure : comment pouvons-nous aller encore un peu plus loin ?