Société
07 janvier 2015

Philippe Jeammet : aider nos enfants face à la crise

À partir de sa longue pratique auprès d’enfants et d’adolescents en très grande difficulté, le pédopsychiatre Philippe Jeammet veut alerter les adultes sur leur rôle éducatif en temps de crise. Interview par Amicie Rabourdin

Votre dernier ouvrage aborde l'éducation des enfants dans le contexte de crise. Pourquoi ce sujet ?

Philippe Jeammet : Parce que l’enfant se développe dans un échange permanent avec l’entourage, en particulier avec le climat émotionnel : au-delà des faits et des paroles, la charge affective est l’élément moteur essentiel. Un évènement n’a pas le même impact s’il est bien contenu émotionnellement, ou si l’entourage se laisse "déborder" par lui.
Ainsi, la crise de notre société est une réalité. Mais il faut la remettre en perspective par rapport à notre situation. Notamment par rapport aux drames qu’a connus le XXème siècle et dont nous sommes sortis avec l’espoir de construire un monde nouveau. La déception que nous connaissons aujourd’hui à cet égard aggrave d’ailleurs le sentiment de crise.

Les émotions jouent-elles un rôle si important ?

L’être humain ne peut vivre sans émotions. Ce sont elles qui lui donnent l’énergie. Il ne les choisit pas. Par contre, il peut choisir ce qu’il en fait.
Quand les contraintes émotionnelles deviennent intenses, elles poussent aussi bien vers la création et l’ouverture que vers la destruction. Et sont, dès lors, porteuses de beaucoup plus de dangers que d’éléments positifs. L’enfant a donc besoin d’être guidé pour utiliser ses émotions dans un sens constructeur et aller vers son épanouissement.

Mais comment aider son enfant quand on vit soi-même des difficultés concrètes… ?

Les adultes sont des générateurs d’ambiance. Il leur appartient, non pas de nier la réalité, mais, encore une fois, de réfléchir à la charge émotionnelle qui accompagne ce qu’ils vivent. Sans dénier ces difficultés, faisons un effort collectif pour un "devoir d’optimisme", je n’hésite pas le dire, à l’égard de nos enfants. Car ils ont besoin d’être nourris dans une ambiance où la confiance, le plaisir d’être ensemble et de l’échange dominent.
Il faut savoir aussi être des filtres. La façon dont nous vivons "le verre à moitié plein ou à moitié vide" contribue à les faire grandir dans la confiance, ou au contraire dans la peur et le sentiment que rien de bon ne les attend. Confiance et peur, ce sont les deux émotions fondamentales autour desquelles se joue notre rencontre avec le monde qui nous environne.

Que produit la peur chez des enfants ?

Comme pour tout être humain, elle provoque un repli sur soi et un agrippement afin de se rassurer, de retrouver une forme de maîtrise. L’enfant de deux ans, qui a peur d’aller à la crèche ou dans son lit, s’agrippe à sa mère, ce qui entrave sa capacité à se développer. Plus il grandira, plus cette dépendance à la mère lui sera insupportable.
Ce repli, cette fermeture dans les trois domaines nécessaires à la vie - prendre soin de son corps, développer ses compétences, développer la sociabilité - l’empêche de se nourrir d’échanges avec les autres et est source de nombreux troubles de comportement.

Comment faire pour éviter ce repli ?

Au contexte actuel difficile, s’ajoutent l’absence de l’autorité verticale d’autrefois et l’interrogation des parents sur la légitimité à poser des limites ou à ne pas laisser l’enfant s’enfermer. Mais il s’agit pour eux de saisir qu’en aidant leur enfant à s’ouvrir aux échanges, en l’accompagnant pour surmonter sa peur, ils ne lui font pas violence. Qu’ils lui permettent de prendre confiance en lui, de s’épanouir et de développer ses potentialités. C’est un travail d’accompagnement que les parents peuvent faire avec d’autant plus de détermination qu’ils en comprennent le sens. Il me semble important de ne pas se cramponner sur les valeurs du passé mais d’en tirer la substance essentielle, c’est-à-dire de choisir ce qui permet la vie, elle-même en perpétuelle évolution. Nous savons d’expérience que l’agrippement, le repli sur soi et la destructivité conduisent progressivement à quelque chose de mortifère. D’ailleurs, il n’y a pas d’exemple de société qui se soit enfermée sur elle-même, qui ne finisse par exploser.

Quel message transmettre aux enfants ?

Le premier message serait qu'on ne peut maitriser la vie. Tout ce qui est de l’ordre de la vie demande une confiance, au risque de la déception. C’est le propre de la vie, et elle en vaut la peine !
D’autre part, comme dans les époques précédentes, le monde sera ce que nous en ferons. Expliquons à nos enfants pourquoi c’est important de "faire ce monde", de vivre une valeur créatrice, d’échange, et non pas d’enfermement, qui peut apparaître comme protecteur au départ, mais qui est en fin de compte asphyxiant.
Enfin, tout être vivant est porteur d’une beauté potentielle, d’un potentiel d’épanouissement, comme une graine contient en puissance l’arbre, la fleur et le fruit. Et comme la graine a besoin d’un milieu favorable, de nutriment et d’eau, l’être vivant ne peut se développer que dans l’échange avec l’environnement. Et si les parents sont l’un des premiers acteurs de cet échange, l’ouverture à des tiers est essentielle. À LIRE
Grandir en temps de crise
Comment aider nos enfants à croire en l’avenir
Philippe Jeammet, Éd. Bayard

Philippe Jeammet Bio express

1968 : Interne en médecine, il rencontre des adolescents au service de psychiatrie de l’Institut mutualiste Montsouris (Paris), point de départ d’un nouveau regard sur les pathologies.
1976 : professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université René-Descartes
2002 : création du diplôme universitaire sur l’adolescent difficile, approches éducatives et psychopathologiques
2012 : 50 ans de mariage avec Nicole et parution en duo de Lettre aux couples d’aujourd’hui, (éd. Bayard)

Philippe Jeammet Bio express

1968 : Interne en médecine, il rencontre des adolescents au service de psychiatrie de l’Institut mutualiste Montsouris (Paris), point de départ d’un nouveau regard sur les pathologies.
1976 : professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université René-Descartes
2002 : création du diplôme universitaire sur l’adolescent difficile, approches éducatives et psychopathologiques
2012 : 50 ans de mariage avec Nicole et parution en duo de Lettre aux couples d’aujourd’hui, (éd. Bayard)