Société
12 septembre 2017

Interview d'Olivier Ayache-Vidal, réalisateur du film Les grands esprits

Mercredi est sorti le film "Les grands esprits", l’histoire d’un professeur du lycée Henri IV (joué par Denis Podalydès) parachuté dans un collège de banlieue classé REP+. Entretien avec Olivier Ayache-Vidal, son réalisateur, qui signe une fiction très documentée sur l’univers de l’école.

Comment est né le film ?

Je devais faire un long métrage en Chine. Et les producteurs m’ont parlé de cette autre idée de film sur un professeur d’un établissement bourgeois qui partirait en banlieue. J’ai trouvé l’idée intéressante mais je voulais d’abord me plonger dans le sujet pour être au plus près de la réalité.

Vous vous êtes ensuite immergé pendant deux ans dans la vie d’un établissement. Ce n’est pas banal !

Effectivement, j’ai passé deux ans dans un collège de Stains où j’ai assisté à toute la vie de l’établissement : les cours, les formations pédagogiques des nouveaux enseignants, le bureau du CPE, les entretiens avec les parents, les visites d’inspecteur, les voyages scolaires, les conseils de discipline… J’ai été accepté partout ! Ce qui est extrêmement rare pour quelqu’un qui n’appartient pas à ce monde. J’étais là en simple observateur pour nourrir mon scénario. Comme je n’avais aucun pouvoir, les langues se déliaient. J’ai aussi creusé les questions sur la pédagogie en lisant des livres de Rousseau à Philippe Merieu en passant par André Antibi et les publications du café pédagogique. La quasi-totalité des élèves et des enseignants qui jouent dans le film sont d’ailleurs issus du collège de Stains où j’ai fait mes repérages.

Quel enseignement avez-vous tiré de ces deux années en immersion au collège ?

Que la pédagogie est essentielle ! Je suivais une même classe toute une journée avec des enseignants différents. Et avec certains, les élèves étaient calmes et concentrés. Et avec d’autres, c’était le bazar. Ils leur arrivaient même de jouer au foot dans la classe ! Certains réussissaient à intéresser les élèves, et d’autres non. Je ne jette pas la pierre aux enseignants car c’est un travail extrêmement difficile. Être dix-huit heures face à des élèves en essayant de capter leur attention, c’est énorme ! Je fais actuellement des débats pour accompagner la sortie de mon film. Heureusement, ils ne durent qu’une heure, sinon je serais épuisé ! Mon film est d’abord un constat. C’est un métier qui apporte beaucoup de satisfaction, mais qui est difficile.

Selon vous, il faudrait notamment revoir la formation des enseignants.

Les enseignants ont une formation pointue dans leur matière. Ils sont allés à l’école, puis ils ont passé le concours pour devenir enseignant. Pour la plupart, ils n’ont pas connu l’échec au cours de leur propre scolarité. Difficile donc pour eux de comprendre la situation de ces jeunes en difficulté. Tout n’est pas noir pour autant. Je me souviens avoir assisté à des formations avec des enseignants plus expérimentés, devenus formateurs, qui étaient pédagogues et accompagnaient leur collègue dans une démarche bienveillante vis-à-vis des élèves.
 

Au cours de votre immersion au collège, vous avez également été frappé par la question des conseils de discipline récurrents.

Un an après mon arrivée, j’ai découvert qu’un élève que je connaissais avait été viré pour une broutille. Il avait dit à un autre élève : « J’ai croisé le principal dans la cité ce week-end, et comme il a peur de moi, il a changé de trottoir ! » Un enseignant l’a entendu et s’est empressé d’aller le répéter au principal pour se faire bien voir. Le gamin était un peu difficile, il ne s’est pas bien défendu lors du conseil de discipline et il a été viré définitivement. Les bras m’en sont tombés ! Le pire, c’est que cet élève a été totalement déscolarisé, traînait dans la cité et a fini par basculé. J’ai creusé le sujet des conseils de discipline depuis. On compte 17 000 exclusions scolaires définitives par an en France. Ce qui fait 100 élèves par jour de classe ! Un véritable massacre ! D’autant que ces exclusions, comme le dit l’un des personnages dans le film, ont lieu plutôt l’hiver quand les enseignants sont fatigués. Certains élèves sont effectivement difficiles à gérer et empêchent le reste de la classe de travailler, mais on pourrait trouver des solutions à l’Education nationale sans arriver à ces extrêmes. L’internat peut parfois être une solution. Il faut faire du cas par cas. Le but in fine est de les insérer dans la société, de leur donner l’éducation et les outils pour qu’ils s’en sortent. Ces jeunes vivent aussi souvent des situations personnelles très dures qui ne les aident pas. Lors d’un de mes précédents documentaires, j’ai rencontré des familles qui étaient entassées à six dans un appartement insalubre de 12 m2 ! Les enfants faisaient leur devoir dans les toilettes !!

Vous regrettez également le manque de mixité sociale dans ces établissements.

Oui car l’intelligence est la même dans les quartiers riches et dans les quartiers défavorisés. C’est bon de le rappeler. On ne leur donne simplement pas la même éducation, car on ne croit pas suffisamment en eux, à leur potentiel. L’environnement et le capital culturel jouent également un rôle important. Pour l’anecdote, deux élèves qui jouent dans le film ont été acceptés à Louis Le Grand et à Henri IV. Mais le film n’y est pour rien…

D’où vous vient cet intérêt pour le monde de l’école, de la pédagogie ?

Personnellement, j’ai beaucoup suivi la scolarité de ma fille. Je suis allé à toutes les réunions parents-profs, les sorties scolaires… Au moment où je tournais le film, mon fils était en 4ème au collège. Lui étant moins scolaire que ma fille, j’ai cherché des moyens pour lui donner le goût de la lecture. Ce qui rejoignait le sujet de mon film. Les questions d’éducation sont des sujets qui me passionnent. Ce sont des enjeux fondamentaux pour la société.

Pourquoi avoir fait une « fiction documentée » plutôt qu’un documentaire ?

J’ai toujours voulu faire du cinéma. Le cinéma a une réelle puissance, une manière d’intégrer la culture, de faire réfléchir, d’interpeller. Même au plus haut niveau de l’Etat. Je sais par exemple que certaines personnes à l’Education nationale ont vu le film. Ils l’ont trouvé réaliste. J’espère bien que le chef de l’Etat et sa femme le verront également. En tant qu’ancienne enseignante, Brigitte Macron est très intéressée par toutes ces problématiques.