Société

Jean Jouzel : "La mobilisation de la jeunesse pour le climat est porteuse d'espoir."

Climatologue, ancien vice-président du GIEC (1), Jean Jouzel a été l’un des premiers scientifiques à prouver le lien entre gaz à effet de serre et réchauffement climatique. S’il alerte sur les conséquences du changement climatique, notamment pour les plus fragiles, il garde néanmoins espoir sur notre capacité, avec la jeunesse en tête, à évoluer vers une société plus vertueuse.

Quel bilan faites-vous de la Cop 26 (2) qui s’est tenue à Glasgow au mois de novembre ?

Parmi les points positifs, on peut citer les engagements des États pour la diminution des émissions de méthane de 30 % (qui contribuent également au réchauffement climatique, ndlr) d’ici 2030, pour la fin de l’exploration des combustibles fossiles ou des véhicules thermiques en 2040 (un engagement qui n’a pas été signé par la France). On peut également saluer l’accord entre les États-Unis et la Chine, les deux plus gros émetteurs de C02. Parmi les points négatifs, on peut déplorer le manque d’engagements des Etats sur d’autres sujets. En 2030, nous aurons encore deux fois trop d’émissions de CO2 pour pouvoir tenir les objectifs des accords de Paris. Enfin, la promesse des pays développés de mettre chaque année 100 milliards d’euros à disposition des pays en développement pour lutter contre le réchauffement climatique, n’a pas été tenue. Il y a donc une perte de confiance entre pays en développement et pays riches.

En 1987, vous avez été l’un des premiers à mettre en évidence le lien entre gaz à effet de serre et réchauffement climatique.

C’était d’abord un travail collectif. Grâce aux carottes de glace réalisées à Vostok dans l’Antarctique, nous avons pu démontrer qu’il y avait moins de gaz à effet de serre en période glaciaire et plus en périodes chaudes. C’était la première fois que l’on démontrait l’impact des gaz à effet de serre sur le climat sur une période de 150 000 ans. Cette découverte a été déterminante dans la prise de conscience du réchauffement climatique par le grand public et par les décideurs politiques. C’est notamment ces courbes qu’Al Gore (vice-président américain de 1993 à 2001, ndlr) a utilisées dans son documentaire Une vérité qui dérange en 2006.

En 2007, le GIEC a reçu le prix Nobel de la paix. En tant que vice-président, qu’avez-vous ressenti ce jour-là ?

Nous avons été très heureux de recevoir le prix Nobel. Cela a marqué une étape dans la prise de conscience de la réalité du réchauffement climatique. Même si cette prise de conscience ne s’est réellement concrétisée que depuis que l’on constate réellement les effets du réchauffement sur notre climat. J’ai été aussi très fier de recevoir le prix Vetlesen en 2012, l’équivalent du prix Nobel pour les sciences de la Terre et de l’Univers. Ces prix représentent une reconnaissance de la communauté scientifique pour mes travaux.

Pourquoi est-ce crucial de limiter la hausse de la température à 1,5°C ?

Il s’agit d’une température moyenne sur la planète et pas de la température qu’il fait dans un lieu donné, comme on peut le constater le matin sur le thermomètre à notre balcon. Nous avons pris un degré depuis le début du XXe siècle et l’on voit déjà les répercussions sur le climat ces dernières années : plus de pluies violentes, plus de sécheresses, plus de pics de chaleur... Au-delà de 2°C, les récifs coralliens seraient en danger. Cela obligerait 10 millions de personnes à quitter leur habitat à cause de l’élévation du niveau de la mer. Ces petites variations de la température, qui semblent minimes, ont des impacts considérables sur nos modes de vie, y compris sous nos latitudes.

Parmi les impacts du réchauffement climatique, on parle peu des impacts sur les inégalités sociales.

Effectivement, il faut rappeler que les premières victimes du réchauffement climatique sont les populations les plus fragiles. En 2018, le projet d’augmentation de la taxe carbone aurait eu trois fois plus d’impact sur les personnes aux revenus les plus modestes. C’est d’ailleurs ce projet de taxe carbone qui a été à l’origine du mouvement des gilets jaunes. Les habitants des territoires ont eu le sentiment, justifié d’ailleurs, d’une injustice. Il faut donc être très attentif aux mesures que l’on prend pour qu’il y ait une justice climatique. J’ai d’ailleurs fait des propositions dans ce sens lorsque j’étais membre du CESE (Conseil économique social et environnemental). Avant de voter toutes nouvelles lois, on pourrait par exemple évaluer son impact sur les 20 % les plus pauvres. Je suis favorable à la taxe carbone, mais il faut l’accompagner de compensations pour les plus modestes pour qu’elle soit juste.

Malgré le réchauffement climatique que l’on constate déjà, vous restez optimiste sur notre capacité à évoluer. Pourquoi ?

D’abord parce que cette transition vers une société sobre en carbone est inéluctable, que nous le voulions ou non. Ensuite, parce que cette transition est aussi synonyme de création d’emploi, de dynamisme économique. Ce sont les secteurs d’activité et les régions du monde qui réaliseront les premiers cette transition qui gagneront économiquement. Pour les jeunes, ce nouveau modèle de développement représente de formidables opportunités en matière d’inventivité, de créativité. C’est une transition vers un monde plus vertueux.

Faut-il aller vers un nouveau modèle de développement ?

Une société neutre en carbone en 2050, comme cela est inscrit dans la loi, devrait nous faire entrer dans une société très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Les propositions des 150 citoyens de la Convention pour le climat ont fait des propositions qui touchaient tous les domaines de la vie quotidienne : se loger, se nourrir, se déplacer... Nous pourrions aller vers une société qui privilégie l’usage des biens plutôt que leur possession. Il y a beaucoup de choses à faire dans tous les domaines.

Que pensez-vous de la mobilisation des jeunes sur les sujets liés au réchauffement climatique et à l’écologie ?

Je suis impressionné par la mobilisation de la jeunesse sur ces sujets. Elle a joué un rôle très important dans la prise de conscience de l’ensemble de la population. Les jeunes sont doublement concernés. Si l’on ne fait rien, ce sont eux qui prendront de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique dans la deuxième partie de ce siècle. D’autre part, ils ont compris qu’il fallait agir aujourd’hui pour leur vie de demain. Cette mobilisation est porteuse d’espoir.

(1) GIEC : groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(2) COP 26 : la Conférence des Parties des Nations Unies sur le climat s'est tenue du 1ᵉʳ au 13 novembre 2021 à Glasgow.

Les dates clés

  • 1947 Naissance à Janzé (Ille-et-Vilaine)
  • 1987 Publication dans Nature de la première étude sur le lien entre CO2 et réchauffement climatique
  • 2002 Médaille d’or du CNRS avec Claude Lorius
  • 2007 Prix Nobel remis au GIEC et à Al Gore
  • 2012 Prix Vetlesen (corécipiendaire Susan Solomon), l’équivalent du prix Nobel pour les sciences de la Terre et de l’univers
  • 2017 Membre de l’Académie des sciences
  • 2021 Sortie du documentaire "Jean Jouzel dans la bataille du siècle", un film de Brigitte Chevet

L’enfance de Jean Jouzel

Je suis né dans une famille d’agriculteurs bretons. J’ai eu une enfance heureuse mais frugale. J’ai dû voir la mer pour la première fois à 8 ou 10 ans. Nous n’avons jamais eu la télé. L’électricité est arrivée dans les années 1950. Les vacances d’été étaient consacrées à faire les moissons. Mon enfance a donc été très différente de celle des enfants d’aujourd’hui. Mes parents m’ont toujours soutenu dans mes études. J'ai eu le bac à 16 ans et je suis devenu ingénieur à 21 ans. J’étais bon élève mais, je peux le dire maintenant, je ne travaillais pas beaucoup. J’avais des facilités. Je préférais le foot et le théâtre.