Société
14 mars 2019

« En France, l’ascenseur social est en panne et depuis longtemps ! »

Dans leur dernière étude, les économistes de l’OCDE rappellent, chiffres à l’appui, que la France reste un pays où les inégalités sociales et économiques sont très marquées. Une situation que notre système éducatif ne parvient pas à corriger. Les explications d’Antoine Goujard, économiste au bureau France de l’OCDE.

Pourquoi avoir choisi de travailler sur les inégalités en France ? Au moment de la crise des gilets jaunes, il nous paraissait important de resituer la France dans un contexte international grâce à la somme de données statistiques comparatives dont nous disposons à l’OCDE en matière d'inégalités et d'insertion sociale. Le déterminisme social en France est-il encore très fort ? En France, l'environnement socio-économique familial a un impact très important sur l'avenir d'un enfant. C'est ce que l'on constate dès l'école et que nous mesurons régulièrement à travers notre enquête PISA.  Par rapport aux autres pays de l'OCDE, la part des élèves français ayant de faibles  compétences est plus élevée. Ainsi, 15% des élèves de 15 ans ne sont pas capables d'effectuer des tâches élémentaires en sciences, en lecture et en mathématiques ce qui est supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE. Dans notre pays plus qu’ailleurs, les inégalités des chances se reproduisent à travers le système éducatif qui ne parvient pas à corriger ce inégalités. Une situation d'autant plus inquiétante que la proportion d'adultes très faiblement qualifiés en France est la même de génération en génération. Dans votre étude, vous dites que « l'ascenseur social en France est bloqué ». Comment cela se traduit-il en chiffres ? Nous avons pu mesurer qu'en France, il fallait six générations à une personne issue d'une famille modeste pour atteindre le revenu moyen. Alors qu'en Norvège ou en Suède, il suffit d'une ou deux générations pour y parvenir. En France, la progression économique et sociale des enfants issus de milieux modestes est donc très lente. Ce qui a des répercussions également sur l’intégration sociale au sens large et se caractérise par des entrées sur le marché du travail particulièrement complexes pour ces jeunes notamment s'ils sont peu qualifiés. Comment expliquer cette particularité française de notre système éducatif ? En matière d’éducation, la France dépense plus par élève que la moyenne des pays de l'OCDE à partir du deuxième cycle, mais elle est en dessous de la moyenne dans l'enseignement primaire et pré-primaire. Alors que les inégalités se reproduisent dès le plus jeune âge. Il y aurait donc un investissement important à faire dès le plus jeune âge et les premières années d’école. Les inégalités se jouent également dans les modes d'accueil des enfants ? Seulement 30% des jeunes enfants issus des milieux les moins aisés (soit un tiers de la population) intègrent un mode d'accueil dit « formel » en crèche, halte-garderie ou chez des assistantes maternelles. Contre 60% dans la population générale. Cela peut s'expliquer en partie par un faible accès à l'emploi des populations les plus modestes qui pousse les parents à garder leurs enfants chez eux. Ces modes d'accueil formels sont aussi moins présents dans les quartiers de la politique de la Ville ou dans les zones rurales. L'accès à la formation professionnelle ne permet pas non plus de corriger ces inégalités En France, le taux d'accès à la formation professionnelle des publics les moins diplômés est 50% plus faible que celui de la population générale et l'un des plus bas des pays de l'OCDE. Alors que c'est précisément cette population qui en aurait le plus besoin. Des réformes ont été engagées, notamment par le gouvernement précédent et de nouvelles réformes sont en cours de mise en oeuvre, mais l'accès à la formation semble toujours défaillant.
Cette situation concerne aussi les jeunes. En France, le taux de jeunes NEET (jeunes sans emploi et sans formation) s'élève à 17% des 15-29 ans, ce qui est plus que dans la plupart des pays de l'OCDE. Ces jeunes auraient besoin d'une seconde chance. Ce que le système de formation professionnelle actuel ne leur donne pas. En résumé, les inégalités sont ancrées, à la fois dès le plus jeune âge, mais aussi au moment de l'accès à l'emploi. Pourtant le système de redistribution en France est très important ? Oui mais cette redistribution monétaire par les transferts sociaux et les impôts est très ciblée sur les populations les plus pauvres ou les plus en difficulté. Et donc, elle bénéficie moins aux classes moyennes très présentes dans le mouvement des gilets jaunes. D’autre part, il faut souligner qu’avant redistribution, les inégalités sont particulièrement importantes, c'est ce que l'on voit notamment en terme de chômage de longue durée et de retrait du marché du travail. Que faudrait-il faire ? Mettre davantage l'accent sur le cycle primaire et pré-primaire, à la fois en termes d'accès des populations les plus défavorisées à l’éducation, de qualité d'enseignement et de pratiques pédagogiques adaptées. C’est ce qu’a initié le gouvernement actuel en rendant obligatoire la scolarisation dès l'âge de 3 ans ou en instituant le dédoublement des classes dans les quartiers de l'éducation prioritaire. Enfin, il faut favoriser l'accès des populations les plus en difficulté à des modes de garde et à une éducation de qualité. Il faut maintenant attendre les résultats de ces premières réformes… ce qui est particulièrement long en matière d'éducation.
 

En savoir plus sur l'étude de l'OCDE

La France, les inégalités et l'ascenseur social de Laurence Boone, cheffe économiste et Antoine Goujard, Bureau France, département économique de l'OCDE.