Société

Antoine Dulin : "La précarité est devenue le passage obligé pour la jeunesse"

Le Conseil économique, social et environnemental a rendu le 25 mars un avis sur les difficultés d'insertion sociale et professionnelle des jeunes en France. Interview d'Antoine Dulin, rapporteur de l'avis et membre du "groupe jeunesse" du CESE, qui alerte sur la précarisation d'une partie de la jeunesse.

Pourquoi cet avis du CESE sur "les parcours d’insertion des jeunes" ?

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a remis plusieurs avis sur la question des jeunes depuis le début de cette mandature en 2010 : un avis sur « l’accès aux droits sociaux » et un sur « l’emploi des jeunes » en 2012, et un autre sur le logement en 2013. Ces avis ont permis de faire avancer la cause des jeunes car ils ont été l’une des "feuilles de route" du gouvernement. Notre mandature au CESE se terminant au mois de novembre prochain, c’était aussi l’occasion de montrer que la question des jeunes a été au cœur des travaux de notre assemblée, notamment grâce au « groupe jeune » nouvellement créé.

Dans votre rapport, vous expliquez que la situation des jeunes a continué à se dégrader ces dernières années avec la crise.

Certains chiffres sont effectivement explicites. Par exemple, 1 jeune sur 5, âgé de 18 à 29 ans, vit sous le seuil de pauvreté. Les jeunes connaissent des difficultés d’accès à l’emploi, au logement, aux soins de santé…. Tout cela aura un impact sur notre système de protection sociale dans les années à venir. Malheureusement, la société a plutôt tendance à exclure les jeunes qu’à les inclure. Autre chiffre parlant : entre 1,5 et 2 millions de jeunes sont ni en emploi ni en formation (on les appelle les NEETS , Not in Education Employment or Training, ndlr). Ils sont les laissés-pour-compte de la société alors qu’à cette période de la vie on a besoin d’être accompagné, d’avoir un emploi, une formation pour s’insérer dans la société. Parmi eux, il y a les 140 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification.

Dernier chiffre symptomatique de la situation des jeunes dans notre pays : 25% des personnes sans domicile fixe accueillies dans les centres d’hébergement d’urgence sont des jeunes (1). Cela montre bien la précarisation des jeunes qui se retrouvent à la rue parce qu’ils sont en rupture de liens familiaux ou parce qu’ils ont perdu leur emploi. Le RSA n’étant pas ouvert aux jeunes entre 18 et 25 ans, beaucoup d’entre eux vivent dans des situations très précaires. La précarité est devenue, semble-t-il, le passage obligé pour les jeunes.  

Vous faites aussi beaucoup de propositions sur la Garantie jeunes, la prime d’activité, le RSA socle... Quelle est la plus importante ?

Il y a effectivement beaucoup de mesures dans notre avis. Elles sont révélatrices de la façon dont les politiques publiques ont abordé la question de la jeunesse depuis 30 ans. Depuis la fin des années 70 et l’éclosion du chômage des jeunes, de multiples dispositifs ont été créés. Ils s’empilent d’année en année et ne répondent pas à la situation des jeunes. 

Dans cet avis, notre recommandation principale est de revoir notre système de protection sociale qui a été bâti autour de 3 âges : l’enfance, l’emploi et la retraite. L’âge moyen d’obtention du premier CDI était de 22 ans en 1992, il est aujourd’hui de 28,5 ans. Notre système de protection sociale doit donc prendre en compte ce nouvel âge de la vie qui s’étend de la fin de la scolarité obligatoire (16 ans) à l’obtention du premier CDI autour de 28 ans. Cette entrée dans la vie active plus tardive pousse les jeunes à reporter l’arrivée du premier enfant (l’âge moyen est aujourd’hui de 31,5 ans contre 27 ans il y a quelques années) ou du premier logement.

Les mesures prises par le gouvernement pour aider la jeunesse - les emplois d’avenir, l’élargissement du service civique, la Garantie jeunes (2) - vont dans le bon sens. Au CESE, nous demandons que cette Garantie jeunes devienne un droit, à l’image du service civique qui va être étendu à tous les jeunes.  Ce qui permettrait de proposer un véritable accompagnement, notamment aux jeunes en difficulté  qui ne peuvent pas bénéficier de la solidarité familiale.

Vous proposez également de systématiser les "contrats jeunes majeurs" pour les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance ? Pourquoi ? 

Nous nous sommes appuyés sur les travaux de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) qui montrent bien que l’on n’accompagne pas suffisamment les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) vers une réelle autonomie. Leurs parents étant moins présents, ils ont besoin, plus que les autres, d’être accompagnés au moment de leur majorité. A 18 ans, certains ont accès à ces contrats « jeunes majeurs » qui prolongent la prise en charge de l’ASE au-delà de la majorité, et d’autres non. Certains d’entre eux deviennent des jeunes en errance. Cela représente un échec pour l’Aide sociale à l’enfance qui prend en charge ces jeunes jusqu’à 18 ans, sans toujours les accompagner ensuite. Pour pallier cette difficulté, nous proposons de fusionner ces « contrats jeunes majeurs » et la Garantie jeunes.

Les départements qui sont déjà en difficulté financièrement en ont-ils vraiment les moyens ?

Les finances publiques sont effectivement dans une situation difficile. Financer ce type de mesures a un coût, mais il faut plutôt le voir comme un investissement. Si on ne le fait pas, notre système de protection sociale devra de toute façon prendre en charge ensuite les coûts liés à cette précarité : hébergement d’urgence, logements, maladies… D’autre part, cela permettrait de donner un signal positif à notre jeunesse qui dans 5, 10 ou 15 ans pourra à son tour contribuer à ce système de protection sociale. 

Suite à la présentation de votre avis, certaines de vos propositions ont été reprises par le ministre de la Ville, Patrick Kanner.

Un troisième comité interministériel de la jeunesse  - qui permet de réunir tous les ministères concernés par le sujet – se réunira en juin prochain. Trois cents jeunes devraient y participer pour qu’ils puissent donner leur avis sur les mesures qui les concernent. Nous voudrions également que ce comité se réunisse plus souvent, tous les 6 mois par exemple.

Le ministre a également annoncé la création d’un conseil d’orientation des politiques jeunesse. Cela permettrait de poursuivre le travail entamé au CESE et de l’inscrire dans la durée. Ce conseil d’orientation permettrait aux partenaires sociaux  - patronat, syndicats, associations familiales, organisations de jeunes, acteurs associatifs de la jeunesse, parlementaires, élus locaux - de se voir fréquemment pour faire avancer vraiment les politiques en faveur de la jeunesse. (1) Source FNARS
(2) La Garantie jeunes s’adresse aux jeunes ni en emploi, ni en formation et qui vivent dans des situations de précarité. La Garantie jeunes leur permet d’avoir accès à un accompagnement par les missions locales et de rechercher un emploi ou une formation.