Soeurs du Bon Pasteur au Liban - Petit collège à Hammana - moment de détente des enfants, qui font une ronde
International

Le collège Notre-Dame du Bon Pasteur, un havre de bienveillance au cœur du Liban

Dans la région montagneuse du Mont-Liban, à 25 km de Beyrouth, la capitale libanaise, le collège Notre-Dame du Bon Pasteur de Hammana accueille et scolarise des enfants et des adolescents de toutes confessions. Il répare aussi les maux de jeunes filles marquées par la violence intrafamiliale, grâce à un soutien individualisé et l’accompagnement des parents dans leur rôle éducatif. Une fenêtre ouverte vers l’avenir.

9 h du matin. En voiture, le voyant de la température extérieure affiche 4 degrés. Le ciel encombré de nuages épais annonce des orages. Autour du village de Hammana, situé à 1 200 mètres d’altitude, se dressent des cimes enneigées. Sur les bords de la chaussée traine une écume blanche. Nous sommes en février, le mois le plus froid et le plus humide au Liban. Une bruine nous accompagne jusqu’à l’entrée principale du collège du Bon Pasteur, partenaire d’Apprentis d’Auteuil, qui soutient ses actions. C’est avec un grand sourire que Sœur Aida nous accueille.
Nous nous installons dans un espace où de vieux canapés sont alignés, sous un plafond haut de cinq mètres. Une odeur familière se faufile. Difficile d’imaginer une visite au Liban sans cette icône de la culture libanaise, le café turc, que certains préférèrent qualifier de café libanais, de rigueur lorsqu’un invité pénètre les lieux. Sur les murs, à côté des images saintes et d’un crucifix, sont affichés les programmes des activités de la semaine. Le radiateur tente de réchauffer les lieux, mais le froid est coriace.

Soeurs du Bon Pasteur au Liban - Collège de Hammana, Nahed, éducatrice spécialisée, en discussion avec une élève
Au collège des soeurs du Bon Pasteur de Hammana, au Liban, Nahed, éducatrice spécialisée, en entretien avec une élève. (c) Ségolène Ragu/Apprentis d'Auteuil

Des parents à accompagner

Le collège Notre-Dame du Bon Pasteur de Hammana compte 346 élèves, allant de la maternelle à la terminale. Les enfants, accueillis toutes religions confondues, druzes, chrétiens et musulmans, sont issus des villages environnants. Une attention particulière est portée aux jeunes filles qui grandissent au cœur d’une société qui peut les considérer inférieures aux autres.

Les plus jeunes - 140 élèves - sont accueillis au sein du petit collège, les plus âgés, au grand collège. Les effectifs varient entre huit (pour la terminale) et vingt élèves pour les petites classes, en fonction des besoins des jeunes. Solange Assaf, l’assistante sociale, ne tarde pas à arriver. « 30% des élèves, confie-t-elle, ont des difficultés d’apprentissage, et subissent au sein de leur famille de la violence physique ou verbale. Je suis confrontée à des problèmes tous les jours : certains enfants souffrent de dyslexie, d’hyperactivité. Je remarque un manque de concentration, de l’agressivité envers les autres élèves. Tout cela se répercute sur les apprentissages et les résultats scolaires. Certains, à la présentation d’un mauvais bulletin à leurs parents, sont réprimandés par des gestes physiques et violents, d’autres, menacés de devoir abandonner l’école. Dans ce cas dit-elle, ils sont orientés vers la psychologue, parallèlement à un suivi des parents que les équipes rencontrent une fois la semaine. »

Prendre soin de la famille et surtout des mères, pour que l’attitude éducative et le comportement envers les enfants changent, contribue à redonner à tous confiance et assurance au sein d’une société libanaise restée profondément patriarcale. Ce soin agit également de façon positive sur la vie d’un couple et contribue à établir un équilibre. Le renforcement psychologique de la mère, en particulier, dans le cadre de l’accompagnement parental, fait toute la différence, la relation avec les enfants pouvant alors s’améliorer. « Accepter de coopérer reste la condition pour que cela réussisse, ajoute Solange, car certains parents sont réticents. »

Soeurs du Bon Pasteur au Liban - Petit collège de Hammana,  des élèves passent au tableau pendant un cours de français.
Le "petit collège" scolarise les enfants les plus jeunes. Ici, un cours de français. (c) Ségolène Ragu/Apprentis d'Auteuil

Bâtir avec les jeunes un avenir meilleur

Il arrive que des parents, par manque de moyens, ne veuillent plus scolariser leur enfant. L’école intervient et scolarise l’enfant gratuitement. À l’école, c’est en équipe, formée de l’éducatrice spécialisée, de la psychologue et de l’assistante sociale, que le plan de suivi des enfants se réfléchit. Nahed Choucha, l’éducatrice, œuvre avec les élèves individuellement pour restaurer leur estime de soi et les aider à reconstruire leur personnalité. C’est tout le sens du projet monté l’an dernier avec un autre établissement scolaire : « Nous réunissons nos jeunes en difficulté avec les élèves de l’autre établissement qui n’en ont pas, confie Nahed. Le but est que nos élèves se projettent dans ce qui pourrait être un avenir prometteur, à travers les exemples de ces élèves. » Outre le soutien scolaire, social, psychologique apporté aux jeunes, le programme est renforcé par un recours à des orthophonistes.

Soeurs du Bon Pasteur au Liban - Collège de Hammana, une professeure de physique donne un cours à des élèves de terminale
Les élèves de terminale suivent un cours de physique. Les jeunes doivent garder leurs manteaux car l'hiver est rigoureux et les bâtiments sont très difficiles à chauffer. (c) Ségolène Ragu/Apprentis d'Auteuil

Un programme pour les jeunes filles

C’est dans cette dynamique tournée vers le mieux-être des enfants et des adolescents que s’inscrit le projet APPI (autonomisation, protection prévention et insertion) conçu et mis en place avec Apprentis d’Auteuil, à partir de l’expérience et du savoir-faire communs des deux institutions. Ce projet, pour lequel Apprentis d’Auteuil lance un appel aux dons, cible les jeunes filles, les plus vulnérables parmi les jeunes vulnérables. Le but est d’accompagner leur développement et leur épanouissement, de permettre qu’elles se réalisent afin d’améliorer leur participation dans la société libanaise. Leur accompagnement global et individualisé, leur éducation, à tous les niveaux, sont des clés pour y aboutir. « La protection et le renforcement de l’enfant passent avant ses résultats scolaires, intervient sœur Antoinette, directrice du Bureau de développement des Sœurs de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur au Liban. Cette stratégie rejaillit sur les résultats scolaires : nous avons eu 100 % de réussite au bac l’an dernier. » Les jeunes deviennent autonomes grâce à un accompagnement à la fois collectif et individuel.

Soeurs du Bon Pasteur au Liban - Collège de Hammana, Laure (droite) et Marise (gauche), élèves de terminale
Marise (à gauche) et Laure (à droite), deux élèves de terminale (c) Ségolène Ragu/Apprentis d'Auteuil

Une éducation bienveillante

Il est 11 h 30, l’heure de la première recréation, les jeunes filles vont bientôt rejoindre le préau que l’école a équipé de bancs en bois, de paniers de basket et d’une petite buvette. Emmitouflées dans leur parka, c’est ensemble qu’elles se présentent à nous, pour vaincre leur timidité. Laure et Marise sont scolarisées à Hammana depuis la maternelle et aujourd’hui en classe de terminale, elles arrivent au terme de leur scolarité. « Le matin, c’est avec beaucoup d’enthousiasme et de joie que je prends le chemin de l’école, confie Marise. Les professeurs nous font aimer toutes les matières, nous mettent en confiance, ne refusent jamais de répondre à nos questions ou à reprendre un cours. J’appréhende de changer d’établissement l’année prochaine après la terminale. » « En classe, ajoute Laure, nous sommes toutes amies, et l’on se réunit souvent en dehors de l’école pour préparer nos examens ensemble. »

Des besoins croissants

La façon dont les élèves sont accompagnées, prises en charge, entourées et aimées fait de cette école une exception. Les deux jeunes filles affichent une confiance absolue, toujours prêtes à partager leurs problèmes avec les équipes du collège. Le collège Notre-Dame du Bon Pasteur s’efforce de répondre à tous leurs besoins, dans la mesure de ses moyens limités, en ce contexte de crise économique et politique libanaise. « Peut-être, ose Laure, avec un timide sourire et en regardant du coin de l’œil sœur Antoinette, que j’aurais voulu avoir des cours de musique. » L’une rêve d’être ingénieure agronome, l’autre ingénieure électronique. Le collège du Bon Pasteur de Hammana est là pour aider tous ces jeunes à aller au bout de leurs rêves, bien armés pour affronter les difficultés et les aléas de la vie.

Soeurs du Bon Pasteur au Liban - Collège de Hammana, Jamal, la psychologue
Jamal Chaya, psychologue au collège Notre-Dame du Bon Pasteur de Hammana, au Liban. (c) Ségolène Ragu/Apprentis d'Auteuil

JAMAL CHAYA, PSYCHOTHÉRAPEUTE, INTERVIENT DEUX FOIS PAR SEMAINE AU COLLÈGE NOTRE-DAME DU BON PASTEUR

Tous les enfants ne se présentent pas seuls à vous. Comment arrivez-vous à déceler leurs troubles ?

Certains enfants viennent de leur propre chef. Il m’arrive d’assister au cours pour observer les enfants, relever un manque de concentration, une agitation, une hyperactivité dont ils font preuve, souvent inconsciemment. Certains souffrent de bégaiement grave. Les petites classes sont plus faciles à lire au niveau des problèmes. Quant aux grandes classes, les élèves font un effort en ma présence, ce qui me pousse à me référer aux professeurs pour avoir plus d’informations.
Certains se présentent à moi pour un suivi psychologique, me demander conseil et se confier, c’est à ce moment-là que je demande à rencontrer les parents, car je ne peux intervenir sans leur approbation. Seuls quelques parents font un blocage et refusent de coopérer. En séance je prends mon temps, ne force jamais quiconque à parler, mais cherche à instaurer une relation de confiance. Il y a des cas plus graves que d’autres, mais je traite tous les enfants avec la même disponibilité et la même attention, car la souffrance n’a pas de degrés.     

Est-ce qu’il arrive que des parents viennent vers vous ?

Un couple un jour a demandé à me voir. Ils étaient dans le désarroi et reconnaissaient leur erreur. Le mari et sa femme se violentaient mutuellement sans limite aucune, pour terminer par se défouler sur leur enfant. J’ai d’abord entamé une thérapie de couple pour rétablir un équilibre à la maison. Après un certain temps, les bienfaits de cette thérapie de couple ont rejailli sur le comportement de l’enfant.

 

Un programme conçu avec Apprentis d'Auteuil pour protéger les jeunes filles vulnérables au Liban

Le programme d’autonomisation, de protection, de prévention et d’insertion (APPI) soutenu par Apprentis d’Auteuil est destiné à plus de 800 jeunes filles âgées de 9 à 18 ans, 900 membres de leurs familles et 65 professionnels des trois centres de Dora, de Hammana et de Beyrouth. Il vise à prévenir les risques liés à un contexte familial et social précaire, à contribuer à la protection des jeunes filles, et à les accompagner dans leur insertion professionnelle.

Les actions menées sont :

-la prévention au travers de sensibilisations et de formations

-la protection via un suivi psychosocial adapté

-le soutien à la scolarité et la lutte contre le décrochage scolaire

-l’orientation professionnelle afin de découvrir un panel de métiers et de suivre des formations

-le travail avec les familles afin de contribuer à la création d’un cadre familial sain.

-le renforcement des capacités des professionnels.