Education et scolarité

Comment aider nos enfants à dépasser un blocage scolaire ?

Que faire lorsque son enfant est bloqué face aux apprentissages scolaires ? Comment l’aider à remettre en route son désir, ses capacités d’écoute et de réflexion ? Quelques pistes sur lesquelles se retrouvent trois spécialistes engagés auprès des jeunes en milieu scolaire. Par Amicie Rabourdin.

Entrer dans le cadre, ne pas se laisser larguer en cours de route, voire, être dans les meilleurs… D’année en année, la pression scolaire ne faiblit pas. Et avec elle, apparaissent parfois tensions et conflits au sein des familles qui souffrent du climat anxiogène quant à l’avenir de leurs enfants.

« Nos centres reçoivent des mamans harassées par des soirées passées à faire des devoirs avec un gamin "en mode poulpe", qui n’a pas envie de travailler et obtient en moyenne 8 sur 20… Un échec total au vu de l’investissement parental ! », constate, non sans humour, Emmanuelle Piquet, fondatrice des centres Chagrin scolaire (1).

Selon elle, l’enfant est devenu sur le plan scolaire, un sujet de préoccupation et rien d’autre, et cette cristallisation décourage son désir personnel d’apprendre. « C’est comme si on lui disait : " Je te prends en charge parce que tu n’es pas capable !" Or c’est dans le plaisir, dans la confiance en soi et en les autres qu’on apprend. »

Privilégier la lecture à voix haute

Marc-Olivier Sephiha, jeune professeur de français en région parisienne, fait, lui, un autre constat. Lorsqu’un de ses élèves de collège écrit pendant une dictée "i rante doume" à la place de "il est entré dans l’eau doucement", il prend conscience d’un blocage concret : les erreurs de sons. Il découvre aussi, lorsqu’il fait lire chacun de ses élèves, que la plupart n’accèdent pas au sens des mots.

Si les ateliers de lecture et d’écriture qu’il met en place donnent des résultats encourageants, c’est la rencontre d’Elisabeth Nuyts (2), une enseignante en anglais, fondatrice d’une méthode d’apprentissage portant son nom, qui nommera ces difficultés : « Avec elle, j’ai compris que la perception des élèves n’était pas suffisamment aiguisée. La capacité à percevoir (voir, entendre) est innée, mais son développement (regarder consciemment, écouter consciemment) demande un apprentissage. De même, la voix intérieure n’est pas innée, elle passe par la lecture à voix haute, le chuchotement, la labialisation… Enfin, la conscience de soi n’est pas innée, elle se développe lorsqu’on demande à l’enfant de raconter ce qu’il a aimé faire. Le cerveau conscient, c’est un cerveau verbal ! »

Encourager son enfant à dire à haute voix ce qu'il lit (c)Fotolia

Après dix ans d’expérience dont huit en ZEP, quels conseils donnerait Marc-Olivier Sephiha ? Parler à son enfant, expliquer le pourquoi des choses, l’encourager à dire à voix haute ce qu’il est en train de lire ou d’écrire, et bien sûr le faire parler et l’écouter : « Quand quelqu’un raconte dans les détails -sensations, émotions, décisions…- quelque chose qu’il a aimé faire, cela muscle sa capacité à percevoir, à réfléchir, à décider et à agir ! »

Responsabiliser son enfant

Comment redonner à l’enfant une confiance qui ne s’acquiert qu’en puisant dans ses propres ressources et une motivation personnelle ? « En opérant un virage à 180° », propose Emmanuelle Piquet, c’est-à-dire en agissant complètement à l’inverse des efforts entrepris précédemment, puisque cela n’a pas porté ses fruits. « Cette démarche se situe sur un plan relationnel et peut avoir des résultats tout à fait remarquables. Pourvu qu’elle soit sur mesure, car les enfants et les parents sont tous différents. »

La plupart du temps, elle consistera à lâcher-prise et à responsabiliser son enfant. Par exemple, s’il est en primaire, ne plus lui répéter de se calmer et de se concentrer, mais l’inviter à se détendre et à revenir ensuite à son travail. Oser dire à son adolescent lycéen : « Comme les devoirs sont un sujet polémique entre nous, je ne vais plus t’en parler. Ce sera ton travail et tes notes. Mais si tu m’en parles, je t’écouterai. »

Enrichir leur monde intérieur

Enseignant et psychopédagogue, Serge Boimare a consacré toute sa vie professionnelle aux enfants ayant de sévères difficultés d’apprentissage : « Submergés par un chaos interne, ces enfants ne peuvent apprendre (voir interview). L’enjeu est donc d’enrichir et de sécuriser leur monde intérieur. Avec eux, j’ai expérimenté combien lire des récits mythologiques et des textes fondateurs des religions qui posent les grandes questions humaines, ou des contes qui mettent en histoires les angoisses les plus archaïques, les aide à se représenter leurs émotions et inquiétudes, et à les mettre à distance. »

La lecture à haute voix de ces textes en classe permet aussi de se rassembler autour d’un patrimoine commun, et les discussions qui s’ensuivent stimulent la capacité des élèves à penser et à débattre. Pour le pédagogue : « C’est important que les parents ne deviennent pas des répétiteurs d’exercices scolaires ! Mais qu’ils lisent à voix haute avec leur enfant, profitent de temps culturels, l’encouragent à parler de ce qui s’est passé hier ou de ce qui va se passer demain, de ses sentiments et ses émotions… » Un échange qui s’exerce dans le plaisir et non la contrainte !

2 questions à Serge Boimare, enseignant et psychopédagogue

Quelles sont les difficultés des adolescents en échec ?
Quand on travaille avec eux en échec scolaire, on constate trois défauts majeurs qu’ils n’ont pu dépasser à l’école. Ils ne savent pas écouter, c’est-à-dire construire des images avec les mots qu’ils entendent. Ils ne savent pas argumenter, car ils ne s’appuient pas sur la parole de l’autre pour construire la leur. Enfin, leur curiosité reste bridée car leurs préoccupations personnelles demeurent infantiles. C’est très net chez les adolescents qui ont raté leur scolarité.

Comment expliquez-vous ces blocages ?
Tout apprentissage implique des exigences de quatre ordres : accepter le fait de ne pas savoir ; suivre les règles qui vont avec l’apprentissage ; vivre un moment de solitude ; et supporter l'attente, car les savoirs se construisent avec le temps.
Certains enfants, à la suite de leur première expérience éducative, n’ont pas construit les compétences psychiques nécessaires pour affronter ces exigences. Lors de la déstabilisation inhérente à toute situation d’apprentissage, ils voient revenir à eux des sentiments parasites, des émotions excessives, des frustrations qui les bloquent. La répétition, la méthodologie, et même la bienveillance, ne suffisent pas.
Ces compétences psychiques se construisent avec les deux piliers éducatifs que sont l’initiation à la frustration – des limites doivent être posées - et les interactions langagières précoces, c’est-à-dire, parler et dialoguer avec eux dès le plus jeune âge.

À LIRE
Comment ne pas être un prof idéal
Emmanuelle Piquet
Éd. Payot psy

Ces enfants empêchés de penser
Serge Boimare
Éd. Dunod

Le feuilleton d’Ulysse
La mythologie grecque en cent épisodes

Murielle Szac – Sébastien Thibault
Éd. Bayard Jeunesse


(1)    Les centres Chagrin scolaire reçoivent en consultation des élèves, des parents et des équipes éducatives confrontés à des souffrances en milieu scolaire. http://a180degres.com/

(2)    http://www.savoir-apprendre.info/