Education et scolarité

Comment mieux lutter contre le décrochage scolaire ?

Les 6 et 7 février, enseignants, éducateurs, chefs d’établissements d’Apprentis d’Auteuil et chercheurs universitaires étaient réunis pour deux jours de réflexion et d’échanges afin de mieux prendre en compte ces élèves « fâchés » avec l’école.

En France, le nombre de décrocheurs scolaires, ces élèves en formation initiale qui quittent l’école sans diplôme, est évalué à 100 000 par an par le ministère de l’Éducation nationale. Depuis une dizaine d’années, Apprentis d’Auteuil a mis en place des structures spécifiques (ateliers relais, dispositifs de raccrochage ou de remobilisation scolaire ou plus récemment, ouverture d’une école de la 2e chance) pour renouer le fil avec ces élèves « fâchés » avec l’école. Les 6 et 7 février derniers, enseignants, éducateurs, directeurs d’établissement, responsables de la formation d’Apprentis d’Auteuil et chercheurs universitaires étaient réunis à Paris pour mettre en commun leurs bonnes pratiques et échanger sur le sujet.

« Apprentis d’Auteuil constitue un laboratoire, un terrain d’expériences multiples au regard de la diversité des publics accueillis, explique Cécile Perrot, responsable de la formation à Apprentis d’Auteuil et organisatrice du colloque. Compte tenu de la complexité et de la pluralité des situations de décrochage scolaire, de rupture ou de déscolarisation des jeunes, nous souhaitions, au cours de ces deux jours, réinterroger nos pratiques professionnelles, nos dispositifs, nos métiers, pour aller vers l’innovation. »

Trois grands témoins avaient d’abord pour mission de lancer et d’enrichir les débats tout au long de ces deux jours de colloque. « L’école accepte désormais que certains élèves ne suivent pas un chemin tout tracé mais puissent rencontrer des ruptures dans leur parcours, a d’abord indiqué Isabelle Robin, responsable de la recherche et de l'innovation au ministère de l'Éducation nationale. Cela représente une évolution considérable pour une institution comme l’École. » Et la responsable du ministère de citer en exemple plusieurs dispositifs en France qui permettent aux élèves en risque de décrochage de sortir momentanément du parcours classique et de le reprendre ensuite. Avant de rappeler l’importance de la prévention, car « les signes du décrochage scolaire se font sentir dès l’école primaire pour certains enfants. » 

Des causes multiples

Glibert Longhi, Valérie Melin et Isabelle Robin
Glibert Longhi, Valérie Melin et Isabelle Robin

Deuxième grand témoin, Gilbert Longhi, ancien proviseur du lycée Jean Lurçat à Paris, spécialisé dans l’accueil des décrocheurs, et aujourd’hui directeur de recherche à l’Observatoire déontologique de l’Enseignement, a ensuite souligné que la réalité du décrochage scolaire n’était plus niée aujourd’hui, même « s’il n’y a pas pour autant de définition consensuelle », et que les causes du décrochage scolaire étaient multiples : mauvaises orientations, fracture sociale, enseignements inadaptés, absentéisme, dégoût de l’école… Et le président du laboratoire de pédagogie In vivo In situ d’alerter contre le risque de « médicalisation du décrochage qui transforme trop souvent les difficultés des élèves en pathologie ». Ou encore celui de « l’externalisation du décrochage par l’institution scolaire qui oriente précocement des élèves vers le monde de l’entreprise, les associations, les collectivités locales ou même l’armée. »

De son côté, Valérie Melin, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Lille a plaidé pour « une approche globale des élèves décrocheurs qui ne doivent pas être réduits à leurs difficultés actuelles. La “biographie” du jeune, qui inclut son histoire passée et présente, doit être prise en compte si l’on veut qu’il redevienne élève. » Et la spécialiste des questions de déscolarisation d’ajouter : « Les décrocheurs ont un fort sentiment de dévalorisation. Ceux qui tentent de raccrocher scolairement doivent à la fois répondre à une injonction sociale, mais aussi bénéficier de temps pour se reconstruire. Cette ambiguïté doit être prise en compte lors de l’accompagnement des élèves dans une structure de raccrochage scolaire. »

« Faire un pas de côté »

Les échanges se sont ensuite poursuivis en séances plénières ou au sein d’ateliers consacrés à des thèmes aussi divers que la pédagogie institutionnelle (1), l’accompagnement et la formation des professionnels qui travaillent auprès de jeunes décrocheurs, l’innovation pédagogique ou encore les projets culturels comme outils de remobilisation des élèves. 

« Apprentis d’Auteuil est une institution éducative “apprenante” aux services des jeunes et des familles, a souligné André Altmeyer, directeur général adjoint, en conclusion de ces deux jours de séminaire. Il est donc essentiel de pouvoir faire un pas de côté, comme nous y invitait ce colloque, pour pouvoir croiser les regards et les intelligences afin de mieux accompagner les jeunes en situation de décrochage scolaire au quotidien. Nous avons pu constater que les expériences et les innovations étaient nombreuses à la fondation. Une richesse qu’il convient maintenant d’essaimer dans tous nos établissements. »

(1) Elaborée par Fernand Oury  et Raymond Fonvieille dans les années 1960, la pédagogie institutionnelle propose de mettre en place au sein de l’école des règles de vie à travers des institutions - essentiellement des lieux de paroles comme le « Quoi de neuf ? », le « conseil de classe coopératif » ou « les ceintures de comportement et de compétence » - pour que l’élève devienne acteur de son apprentissage.