Education et scolarité

Covid-19 La situation en Protection de l'enfance

Depuis le début du confinement, le 17 mars, les établissements d'Apprentis d'Auteuil ont dû s'organiser pour assurer la continuité de l'accompagnement des jeunes, en particulier dans le secteur de la Protection de l'enfance. Les explications de Baptiste Cohen, responsable Protection de l'enfance à la fondation.

Baptiste Cohen, responsable du pôle Protection de l'enfance (c) DR
Baptiste Cohen, responsable du pôle Protection de l'enfance (c) DR

Comment le périmètre Protection de l’enfance d’Apprentis d’Auteuil vit-il la crise sanitaire ? 

En cette fin du mois d’avril, les situations sont assez contrastées. Pour rappel, Apprentis d'Auteuil dispose de 5000 places en Maison d’enfants à caractère social (MECS) : 3700 en hébergement, 1000 d’accompagnement au domicile des parents, ce que l'on appelle le "milieu ouvert" et environ 500 places en accueil de jour (un accompagnement de l'enfant ou de l'adolescent à la journée, en lien avec sa famille, qui s'exerce au titre de la prévention. Cela concerne souvent des problématiques de décrochage scolaire). Dans certaines régions, le début du confinement a été difficile à organiser en hébergement en MECS, certains collaborateurs devant rester chez eux pour s’occuper de leurs propres enfants. Ces soucis ont pu être en partie résolus quand les établissements scolaires et les crèches ont pu être ouverts, non seulement aux enfants de personnel soignant, mais aussi aux enfants des personnes travaillant en protection de l’enfance.  L’effort de mobilisation et de solidarité a été intense pour aider les équipes. Du personnel d’établissements dont l’activité était suspendue (Internats éducatifs et scolaires ou venant du siège social de la fondation) s’est mis à disposition ; les équipes ont été redéployées là où il y avait des besoins, en raison de ce qu’implique une prise en charge toute la journée en MECS ; nous avons mis en ligne des ressources éducatives, des idées pour l’animation des journées… 

Comment le suivi éducatif s’est-il poursuivi ? 

Un plan de continuité des activités a été mis en place. Par exemple, pour éviter la déscolarisation des enfants, les Maisons d’enfants ont organisé, en lien avec les établissements scolaires, la continuité pédagogique, c’est à dire, le maintien du lien entre les enfants et leur scolarité. Les équipes ont porté un soin particulier à mettre en place des animations par rapport à la scolarité, par téléphone, Internet, les réseaux sociaux... Globalement, cela s’est bien passé. Nous avons un taux de décrochage a priori moins important que le taux national, il reste à évaluer précisément. L’objectif était qu’aucun enfant ne décroche, ni dans sa tête, ni dans sa relation à l’école. 

Comment se passe l'accompagnement au domicile familial ? 

Cela concerne 20 % de notre activité en protection de l’enfance. Dans ce contexte de confinement, les visites des éducateurs ont été réduites. Le lien téléphonique a bien sûr été maintenu, tout comme quelques visites à domicile, quand le matériel de protection nécessaire était fourni. Quelques audiences déjà programmées chez le juge des enfants ont aussi été conservées elles aussi, comme des rendez-vous médicaux. 

Quelles difficultés remarque-t-on dans les familles ? 

Le suivi des jeunes restés en Maison d'enfants durant le confinement, ici Saint-Jean à Sannois (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
Le suivi des jeunes restés en Maison d'enfants durant le confinement, ici Saint-Jean à Sannois (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil

Tout d’abord, la perte de rythme. En temps ordinaire, les éducateurs n’interviennent au domicile des familles que très rarement tous les jours ou toutes les semaines. Les familles savent ce qui a motivé la mesure de placement et ce qu’on attend d’elles. Le confinement a bouleversé les rythmes déjà fragiles. Certains enfants sont très décalés, dorment dans la journée, vivent la nuit. 
Autre difficulté pour les familles, la problématique scolaire, source de tension intrafamiliale en temps ordinaire, exacerbée en ce moment de crise et de confinement obligatoire. 
Enfin, conséquence de tout cela, le risque de décrochage des parents dans leur relation éducative, du fait de la fragilité de la cellule familiale et de la montée des tensions. La difficulté à assumer une autorité parentale s’est accrue. 

Note-t-on d’autres problèmes ? 

Ils concernent le matériel. Par exemple, les moyens informatiques limités : de nombreuses familles n’ont pas d’ordinateur, ou un seul pour tous, ce qui est compliqué quand le(s) parent(s) télétravaille(nt) et que les enfants doivent suivre leur scolarité. Certains enfants photographient leur travail et l’envoient via leur téléphone portable.  Autre problème rencontré dans les établissements, le manque de matériel, comme les masques, au début. Nous avons aussi des témoignages de situations particulières difficiles : une jeune mineure habituellement hébergée en MECS, en errance, confinée chez une amie, qui refuse de donner son adresse, mais accepte les contacts téléphoniques. Une maman seule avec deux enfants dont l’aîné la frappe et qui n’arrive pas à juguler cette situation… Les équipes sont confrontées à des situations très différentes, parfois violentes. 

Cette crise sanitaire a-t-elle vu émerger du positif ? 

J’aimerais souligner la mobilisation du milieu associatif. Nous avons monté un groupe avec La Croix Rouge, la Vie au grand air, SOS Village d’enfants et l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) pour croiser nos expériences et nos réflexions, vérifier que notre compréhension de la situation est partagée. Nous échangeons régulièrement. Et le secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance, Adrien Taquet, réunit également certains acteurs (dont Apprentis d’Auteuil) toutes les semaines en conférence téléphonique pour échanger sur la situation. Autre aspect positif, les retours en famille, quand cela semblait pertinent. Des enfants accompagnés en MECS sont en effet retournés chez eux pour plusieurs semaines de confinement, grâce à l’extension du droit d’hébergement, une procédure classique. Dans la plupart des cas, les enfants nous sont confiés du fait de carences éducatives ou de tensions intrafamiliales, les cas de maltraitance directe sur enfant ne représentent pas la majorité des placements.
Les équipes témoignent que, dans un bon nombre de cas, cela se passe très bien, mieux que ce à quoi elles s’attendaient. Etait-ce le bon moment dans l’évolution de la prise en charge ? Est-ce un effet du confinement ? Difficile de le dire. Dans quelques cas, des jeunes repartis chez eux ont dû revenir en MECS, car la vie familiale était devenue trop tendue.  Enfin, dernier point positif, et non des moindres, les éducateurs et directeurs témoignent de la grande mobilisation de tous, d’un regard plus positif qui émerge, de belles initiatives.