Société
07 mai 2015

L’attachement, des liens fondamentaux pour vivre

GRAND ANGLE. Un enfant ne peut grandir sans amour. Dès sa naissance, les liens qu’il crée avec son entourage lui permettent de s’épanouir pour la vie. C’est ce qu’explique la théorie de l’attachement, encore mal connue en France. Par Agnès Perrot.

Afficher le résumé facile à lire et à comprendre
L’attachement se construit au cours de l'enfance et de l'adolescence dans la relation aux parents et aux proches. Il n'est pas assez connu en France.

Joseph est un bébé souriant. Il réagit à la voix humaine et se montre très intéressé par les visages des personnes qui l’entourent. Enfant apaisé et dynamique, il demande beaucoup de proximité physique. Sa mère est sa base pour base explorer son environnement. Il sera plus tard autonome, car il aura acquis une sécurité interne. Joseph est la preuve vivante d’un lien d’attachement sécure.

Un concept clé

La question de l'attachement influence toutes les relations qu'ont les personnes entre elles.

Élaboré par le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby dans les années 50, l’attachement se construit au cours de l'enfance et de l'adolescence dans la relation aux parents et aux proches. Un concept clé de la psychologie de la seconde moitié du vingtième siècle encore insuffisamment connu en France.

Pour élaborer ses travaux, le psychiatre britannique avait commencé ses recherches par une enquête sur des jeunes privés de foyer dans l'Europe et les États-Unis de l'après-guerre, pour l'Organisation mondiale de la santé. Dans les centres où il les étudiait, ceux-ci se montraient indifférents et dénués d'affection, ne cherchant le rapprochement ni avec les adultes, ni avec leurs camarades. Comparant leur passé familial à celui d'autres jeunes, Bowlby s'était aperçu que dans leur enfance, ces enfants avaient souffert de rupture brutale du lien avec leur mère.

Sécurité et relations

"La notion d'attachement dépasse de loin les seules histoires d’enfants et de bébés, souligne le docteur Françoise Hallet, médecin scolaire belge passionnée par la question. Il concerne chacun d’entre nous. Avec un bon attachement, on se sent en sécurité, c’est vrai pour tout le monde. A contrario, un attachement insécure conduit à des difficultés relationnelles, autant entre adultes qu'avec ses enfants ou ceux avec lesquels on est professionnellement en lien."

"La question de l'attachement influence toutes les relations qu’ont les personnes entre elles et la manière dont elles se perçoivent elles–mêmes et conçoivent autrui, renchérit Yvane Wiart, thérapeute, chercheuse au Laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie de l’université Paris-Descartes et spécialiste de l’attachement et de son impact sur la santé. Elle influence également différents domaines de la vie. Ce qui s'est joué dans la vie de n'importe quel individu enfant risque fort de se reproduire dans sa vie adulte..." 

Actif la vie durant 

La théorie de l'attachement est devenue centrale dans la compréhension du développement de l'enfant.
La théorie de l'attachement est devenue centrale dans la compréhension du développement de l'enfant.

"Seule théorie psychologique entièrement démontrée par la recherche scientifique, l’attachement est un besoin instinctif d’être écouté, entendu, compris et soutenu" poursuit la chercheuse.

L’enfant peut d’ailleurs avoir plusieurs figures d’attachement (père, fratrie, grands-parents), la mère n’est pas seule à tenir ce rôle. Ce besoin s’exprime dès les premiers mois de la vie et il est actif la vie durant.

"En fait, et ce n’est pas suffisamment su, même si ces questions intéressent de plus en plus le grand public, insiste la thérapeute, tous nos problèmes psychologiques sont liés à l’attachement."

Attachement, intimité et vie professionnelle 

Ainsi, dans le domaine de la vie de couple, les adultes sécures n’ont bien souvent aucune difficulté à devenir intimes et à faire confiance à leur partenaire. Ils sont en même temps capables de d'exprimer les difficultés engendrées par la relation et d’imaginer des issues positives en cas de conflit.

A contrario, les adultes évitants se caractérisent par de la dépendance affective, ayant tendance à se maintenir à une certaine distance physique et/ou psychologique de leurs partenaires. Ce qui leur permet de ne rien ressentir, mais les empêche de savoir s’ils sont vraiment heureux. 

De même, dans le domaine de la vie professionnelle, qui présente de nombreux défis, un bon attachement aurait un rôle de médiateur au travail : relation de confiance avec son supérieur hiérarchique, avec ses collègues, confiance en ses atouts, expression authentique, affirmation de soi en cas de désaccord, etc. 

En harmonie avec soi-même

Pour éduquer correctement les enfants, il est donc essentiel que parents et professionnels aient pris conscience de l'importance de l'attachement dans leur enfance et de la manière dont leurs proches ont répondu ou non à besoin à ce moment-là de leur vie.

Pour autant, il n’est pas impossible de changer en grandissant, notamment grâce à un travail thérapeutique. "Rien n'est définitivement figé en matière d'attachement et rectifier la donne une fois adulte est loin d’être insurmontable, encourage Yvane Wiart. Cela peut même aller très vite. On se  libère ainsi peu à peu de mauvais automatismes acquis pour se protéger pendant l'enfance, pour une meilleure harmonie avec nous-mêmes et avec nos proches "

Au cœur de la relation éducative

La théorie de l'attachement est de plus en plus connue des professionnels de la petite enfance.

Si la théorie de l’attachement est aujourd'hui de plus en plus connue des professionnels de la petite enfance, elle commence à être tout doucement prise en compte en milieu scolaire en France, souligne le docteur Françoise Hallet.

"Sensibilisés à la question, les enseignants, notamment en primaire, peuvent devenir des figures d’attachement importantes pour des enfants fâchés avec l’école, précise-t-elle. Les professeurs ont un rôle fondamental à jouer dans ce domaine, notamment en créant un climat de sécurité en classe. L’impact sur les apprentissages est évident," insiste-t-elle.

Tous les parents sont concernés

Autres adultes concernés, tous les parents qui le souhaitent, en particulier s'ils sont préoccupés par les manifestations d’attachement insécure de leurs enfants (des jeunes ayant vécu dans des familles d’accueil, objets de gardes alternées trop précoces, adoptés, longtemps hospitalisés, etc.). Ou s'ils ont eu eux-mêmes une enfance difficile

De plus en plus de parents se retrouvent ainsi au sein de groupes de parole constitués autour de la question de l'attachement pour échanger sur ce qu'ils vivent et partager leurs expériences.

Ainsi en va-t-il des ateliers de l'association Pétales France" En complément aux prises en charge des thérapeutes, souligne Sylvie Le Bris, présidente de l'association, nous formons les bénévoles de notre association à aider les parents à mieux comprendre l’attachement insécure et ses conséquences au quotidien. Notamment en les amenant à regarder leur propre fonctionnement et à prendre du recul vis-à-vis de leur histoire. Pour mieux aider leurs enfants."  Une démarche passionnante !

TROIS QUESTIONS À NICOLE GUEDENEY, PÉDOPSYCHIATRE
Depuis 15 ans, avec son mari le professeur Antoine Guédeney, elle diffuse la théorie de l'attachement en France.

Quelles sont les formes principales d'attachement chez le petit enfant ?

Il en existe quatre. Le lien "sécure" permet à l’enfant de s’autonomiser progressivement : il peut utiliser sa figure d’attachement comme source de réconfort et tremplin à l’exploration. La séparation adaptée à son âge d’avec la mère ne le perturbe pas. Cette forme d'attachement concerne 50 à 60 % de la population générale. Bénéficier de cette forme d'attachement est un facteur de protection contre le développement de difficultés psychiques. Dans cet environnement sécurisant, l'enfant développe un sentiment de confiance en lui-même, en l'autre et dans le monde extérieur.
 
L’enfant "évitant" se comporte comme s’il n’avait besoin de personne et semble ne montrer aucune détresse à la séparation. Ce mécanisme lui permet de survivre dans un contexte familial dans lequel les émotions sont étouffées ou reçues comme dangereuses.

Devenues adultes, les personnes qui se sont construites et protégées à travers ce type d'attachement s'estiment fortes et à l'abri de ressentis trop violents. À la longue cependant, elles s'isolent des autres et d'elles-mêmes. Ce type d'attachement concerne environ un quart de la population.

L’enfant "ambivalent résistant" a tendance à se focaliser sur sa figure d’attachement en maximisant sa détresse et sa colère, pour être sûr d’obtenir son attention.

Enfin, on parle d’attachement "désorganisé" pour des enfants effrayés ou complètement désorientés.

Quels soins donner à nos enfants pour répondre à leur besoin d'attachement ?

On peut aimer très fort son enfant et ne pas savoir répondre à ses besoins particuliers. Or, c'est une dimension du lien parent-enfant que d'y répondre correctement en consolant, berçant, réassurant sur son retour quand on part, exprimant son amour, acceptant que son enfant soit triste, en colère, jaloux... Eviter d'être trop intrusif aussi : nos enfants ont besoin d'explorer le monde pour grandir sainement.

Pourquoi s'intéresser à l'attachement ?

Connaître la théorie de l'attachement change la vie des parents, des professionnels de la petite enfance, mais aussi celle de chacun d'entre nous chaque fois que nous sommes exposés à des situations de stress ou de détresse !

À LIRE : 

Amour et rupture, les destins du lien affectif 
Le lien, la psychanalyse et l'art d'être parent

par John Bowlby
Éditions Albin Michel 

L'attachement, un instinct oublié
par Yvane Wiart
Éditions Albin Michel 

L'attachement
par Daniel Siegel et Tina Payne Bryson
Éditions les Arènes 

Guérir des blessures d'attachement
Coupé de soi, coupé des autres

par Gwenaelle Persiaux 
Éditions Eyrolles