
Mathis Billet : « Prendre la parole en public, c'est apprendre à gérer ses émotions ! »
TÉMOIGNAGE. Après des années d’adolescence compliquées, Mathis Billet, 22 ans, forme des lycéens à la prise de parole et au slam. Rencontre avec un jeune homme transformé, ancien du Lab de Nantes, dispositif d’Apprentis d’Auteuil à destination de futurs entrepreneurs. Par Agnès Perrot.
Depuis qu’il a achevé, l’été dernier, son cursus au Lab de Nantes, ce programme d’Apprentis d’Auteuil qui permet à des jeunes peu diplômés de créer leur activité, Mathis Billet, 22 ans, dispense des ateliers dédiés à la prise de parole dans les collèges et lycées de la région nantaise.
Vivre sa vie
Sa motivation ? Permettre à un maximum d’élèves de prendre conscience de leurs talents. « En prenant la parole de manière authentique, ils retrouvent confiance en eux et se révèlent », lance le jeune homme souriant dans les bureaux du LAB où nous avons prévu de nous retrouver.

Cette vocation, Mathis la tient de son parcours de vie. « Adolescent, j’étais renfermé, je ne participais pas en cours, je n’exprimais jamais ce que je ressentais », poursuit-il.
Après une enfance dorée dans les beaux quartiers de Poitiers avec son père, sa mère et sa sœur, de deux ans sa cadette, tout bascule pour le jeune garçon l'année de ses 10 ans. « Mes parents se sont endettés, nous sommes retournés à Nantes où j'étais né et au fil des mois, mon père s’est transformé. »
Boulanger en alternance
Des années compliquées suivent, durant lesquelles Mathis doit faire face à la colère de son père, à l’impuissance de sa mère et à la séparation de ses parents. Désabusé, Il quitte le domicile familial l'année de ses 15 ans. « J'étais désormais lycéen et j'habitais chez ma maman. Je suis parti sur un coup de tête. Je voulais vivre ma vie et mes rêves. »
S'ensuit pour l'adolescent une nouvelle tranche de vie difficile. Influencé par un voisinage pas toujours bienveillant, il perd pied dans le quartier où il a déménagé. « Les embrouilles de toutes sortes sont vite arrivées. J''avais peur et je me suis créé une carapace », continue-t-il. Côté études, l'apprenti ne lâche heureusement rien : la formation en alternance - CAP puis BP - de boulanger dans laquelle il s'est réorienté lui permet de régler son loyer.

Faire face à ses émotions
Fin 2020, son brevet professionnel en poche, le jeune boulanger de 19 ans, commence à travailler. Il change de quartier et un beau jour, son regard est attiré par une affiche placardée en plein centre-ville de Nantes. « Elle vantait un concours d'éloquence proposé par l’association Place aux jeunes, spécialisée dans la prise de parole en public. »
Une activité en vogue sur la place nantaise, avec ses bars transformés en scènes ouvertes. Accessibles à tous, ces espaces d'expression permettent aux amateurs - débutants ou confirmés - de s'affronter autour de toutes les formes de poésie dans une ambiance conviviale. Aucun décor, costume ou accessoire n’est admis, juste la parole nue. « L'idée est de désacraliser la poésie, explique encore Mathis, et tout autant, de développer son imaginaire. »
Décidé à tenter sa chance, Mathis pose sa candidature. À son grand étonnement, il est sélectionné avec neuf autres apprentis orateurs. Et accompagné à monter sur scène pour présenter le concours. Un espace d’expression qui le révèle à lui-même.
Un enjeu éducatif majeur
Le jour du concours, Mathis livre sa réflexion sur le thème : « Nos difficultés seraient-elles nos plus grandes forces ? ». Devant 400 personnes, c'est l'ovation. « S'essayer au slam, c'est apprendre à gérer ses émotions et rencontrer son être profond », souligne encore le jeune homme.
En quelques mois, la vie du boulanger bascule. Il se met à la méditation, s’ouvre au développement personnel, se crée de plus en plus de défis. Avant qu'une rencontre providentielle ne le mette en lien avec Le Lab de Nantes. Mathis quitte son métier et, grâce au suivi de la fondation, lance son activité de formateur à la prise de parole.
Aujourd’hui, le jeune entrepreneur est sollicité par un nombre grandissant d’enseignants, d’animateurs et de directeurs d’associations, avec le slam comme accroche essentielle de ses ateliers. « Enseigner cette discipline est, selon moi, le meilleur moyen d’accompagner les adolescents à se transformer de l'intérieur, lance-t-il avec conviction. Les résultats, notamment académiques, sont immédiats ! »
Sérénité et authenticité
Autre victoire, l’ancien ado en rupture a renoué avec son père, pas vu depuis sept ans. « Sans vouloir effacer le passé, j’ai cherché à comprendre ce qu'il avait vécu. Et surtout, je l’ai remercié pour le chemin qu'il m'a permis de faire. Grâce à lui, j’ai appris à m’aimer. Nos difficultés sont une vraie occasion de changement ».
Pascal Gourceau, le mentor du jeune homme, un bénévole du LAB, confirme. « Mathis est bosseur, volontaire et ouvert aux autres. Même s’il a encore à progresser, il fait preuve d’une sérénité bouleversante. »
Portrait d'ouverture : Jérémie Lusseau/Apprentis d'Auteuil.
BIO EXPRESS
- 28 septembre 2001 : naissance
- Septembre 2011 : déménagement en famille à Nantes
- Novembre 2016 : quitte le domicile familial
- Juin 2020 : BP de boulanger en alternance
- 22 mai 2022 : performance d'éloquence au Stéréolux de Nantes
- Septembre 2023 : lance Espo Slam, son auto-entreprise de slam et de prise de parole
- Mars 2023-mars 2024 : Paradox school (ex EDEC), école de coaching
LE SLAM
- Le slam est né à Chicago, en 1986, dans un bar de jazz, Marc Smith, entrepreneur en bâtiment, ayant eu l’idée d’y organiser une compétition tous les dimanches soir. L'engouement est immédiat.
- En France, c'est l'auteur-compositeur Grand Corps Malade qui popularise le mouvement en 2003, lors d'une scène ouverte dans un bar de la place de Clichy. Le poète y déclame un texte écrit après un accident, six ans plus tôt, dû à un plongeon dans une piscine insuffisament remplie.
- Aujourd'hui, cet art d’expression orale populaire se pratique dans des lieux publics, sous forme de bars, scènes ouvertes et autres tournois. Il existe aussi des ateliers de slam dans les prisons, les maisons de retraite, les centres sociaux, les hôpitaux, etc. Et dans près d'un collège sur trois, un grand nombre d'enseignants ayant compris que la discipline était un support idéal pour intéresser les élèves à l'écriture, la poésie et la littérature.
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