Jeanne De Milliano, ancienne de la fondation
Témoignages
06 décembre 2024

« J'ai participé au chantier de restauration de Notre-Dame »

Formée à la taille de pierre à Apprentis d’Auteuil, Jeanne de Milliano, 28 ans, a participé au chantier de restauration de Notre-Dame de Paris. Portrait d'une artisane d'art sensible et enthousiaste, au jour de la réouverture. Par Agnès Perrot.

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Formée à la taille de pierre à Apprentis d’Auteuil, Jeanne de Milliano, 28 ans, a participé au chantier de restauration de Notre-Dame de Paris.

Rendez-vous a été pris pour la séance photo tout près de Notre-Dame de Paris, là où Jeanne de Milliano, 28 ans, a travaillé au chantier titanesque de restauration. Elle se souvient de l’émotion ressentie lors de l’incendie en 2019 : « C’était bouleversant ! Je me suis rapidement dit que, moi aussi,  j’allais contribuer à sa reconstruction. » 

Jeanne Demilliano, ancienne de la fondation, sur le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris
Devant une série de vitraux ornementaux de l'époque Viollet-Le-Duc (c) DR

Forêt d'échafaudages

Au fil des rencontres, la jeune tailleuse de pierre arrive sur le chantier. Elle rejoint, selon son vœu, la cathédrale et sa forêt d’échafaudages début 2023. 

Sa mission à cette étape des travaux programmés par l'établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame désormais sécurisée ? Patiner la nef et le narthex, guidée par le regard des architectes en chef des monuments historiques, pour rendre sa jeunesse à l'édifice, à la fois pollué par les poussières de plomb dues à l'incendie et encrassé par le temps. 

Un patient travail de nettoyage notamment réalisé à l'aide d'un produit à base de latex, projeté sous forme de vapeur sur les murs, où il durcit jusqu'à former une couche qui accroche les saletés, avant d'être retiré au bout de quelques jours comme une seconde peau, entraînant avec lui les salissures. Résultat ? L'intérieur de la cathédrale se retrouve plus lumineux que jamais, laissant apparaître ses somptueuses pierres blondes d'origine.

Une expérience unique

Les cheveux attachés sous son casque réglementaire et les mains recouvertes de gants de travail, Jeanne calfeutre également à la chaux une partie des vitraux des baies hautes de Viollet-le-Duc - retirés et restaurés par des spécialistes avant d’être replacés - et consolide les maçonneries endommagées par l’incendie. 

Au même moment, des collègues finissent de reconstruire les voûtes effondrées ou remplacent, ici ou là, certaines pierres, éclatées ou fendues à cause des très fortes chaleurs, par de nouveaux blocs taillés en atelier. Cette saison là, Notre-Dame vit au rythme de plusieurs chantiers. Tout est restauré en même temps, un peu comme au temps des bâtisseurs de cathédrales. Une aventure hors norme. 

« Avec le recul, je me rends compte de la chance que j’ai eue de partager mon quotidien avec tous ces artisans d'art de différentes spécialités. Malgré son côté protocolaire et sa cadence particulière, ce chantier restera pour moi une expérience unique. Et un véritable honneur. J’y ai beaucoup appris », lance Jeanne de Milliano reconnaissante.

La tailleuse de pierre salue au passage le génie de Viollet-Le-Duc, autre sauveur d'une cathédrale quasi en ruines au moment où l'architecte est désigné pour la restaurer. Au point que les autorités parisiennes de l'époque avaient envisagé sa destruction...

Jeanne Demilliano, ancienne de la fondation, sur le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris
Gros plan sur les échafaudages constitués de milliers de tubes de métal, montés en un temps record (c) DR

La fibre artistique 

Ce qu’aime Jeanne de Milliano dans son métier, c’est de « réparer ce qui a été bien fait. Je n’invente rien, je ne crée rien, je répare ». Comme en ce moment, la façade néoclassique du château d’Enghien et son toit bas caché par une balustrade, sur le domaine de Chantilly. Usées par les intempéries, les pierres extérieures de l’édifice avaient besoin de retrouver leur aspect d’origine. 

Depuis près de dix ans, cette jeune femme aux yeux clairs, à la fois douce et volontaire, enchaîne les missions en intérim  pour gagner en savoir-faire, tout en bénéficiant de temps libre »

Sa spécialité ? La patine, une technique subtile et exigeante dans laquelle elle se sent parfaitement vivante. Dans ce milieu très masculin où elle a dû imprimer sa marque, Jeanne s’est vite distinguée par son savoir-faire. « J’opère au pinceau ou à l’éponge pour harmoniser les pierres restaurées avec les anciennes, au moyen d’un mélange d'eau, de chaux et de pigments naturels. C'est très physique, mais pas de la même manière que la découpe. Il faut avoir le sens du beau, une certaine rigueur, de l'intuition, rester concentré... », explique-t-elle.

Fille d’un cadre de la pétrochimie et d’une mère opticienne, Jeanne n’a pas tout de suite pensé à rebâtir des cathédrales. Peu scolaire, mais passionnée par le dessin et dotée d’une solide culture artistique, acquise, enfant, avec ses grands-parents dans les musées de la capitale, elle quitte sa Normandie natale pour apprendre la peinture décorative à Paris, à la fin du lycée. Ses diplômes en poche, elle enchaîne les missions et habille murs et façades de différents immeubles de la capitale de fleurs et de trompe-l’œil (faux bois, faux marbre, etc.)

JE N’Y SERAIS PAS ARRIVÉE SI...
Tout au long de ma formation à l'Atelier de la Pierre d'Angle, je n'avais pas croisé des professionnels investis à fond dans leur mission de transmission, comme Frédéric Mutillod, formateur hors pair. Les gens passionnés sont passionnants !
Jeanne de Milliano
Jeanne Demilliano, ancienne de la fondation, à l'atelier de la pierre d'angle
Jeanne de Milliano en plein apprentissage de la découpe, à l'Atelier de la Pierre d'Angle (c) DR

Sur les toits de Paris 

2020. Crise sanitaire. La France bascule dans le confinement. Les chantiers ferment, Jeanne s’interroge sur son évolution. Profitant de cette parenthèse, elle opte pour l’apprentissage de la taille de pierre. « Je voulais ajouter une corde à mon arc. Mon compagnon m’a beaucoup encouragée. » 

À l’Atelier de la Pierre d’Angle de Saint-Maximin, dans l’Oise, un centre de formation aux métiers de la pierre d’Apprentis d’Auteuil, elle apprend en huit mois les bases de la taille : géométrie, découpe, façonnage, pose, épure, enduits traditionnels, maçonneries en pierre, etc. Mais aussi la patience, la précision, la persévérance. « Une formation intense, avec une équipe très disponible, qui m’a donné envie de donner le meilleur de moi », précise-t-elle. 

« Je me souviens d’une jeune femme passionnée, raconte de son côté Frédéric Mutillod, formateur. J’ai rapidement perçu sa détermination et son envie d’avancer. » 

Jeanne sort de la formation munie d’un titre professionnel, l’équivalent d’un CAP. Et d’une joie immense. « Je sais pourquoi je me lève le matin. Monter sur des échafaudages, prendre son café sur les toits de Paris, accéder à des endroits que nous sommes les seuls à voir, c’est magique », confie-t-elle encore.

Jeanne Demilliano, ancienne de la fondation, sur le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris
Travail de patine, cathédrale Saint-Louis de Versailles, 2023 (c) DR

En haut de monuments prestigieux 

Depuis le chantier emblématique de Notre-Dame, le métier de la jeune restauratrice la mène aux chevets d’églises de villages – l’art roman et sa sobriété lui inspirent un vrai respect –, au sein d’hôtels particuliers, en haut de monuments prestigieux, comme la Bibliothèque nationale de France, l’hôtel de la Marine, le Carrousel du Louvre... Au château de Versailles, elle restaure plusieurs vases sculptés des jardins, à Pierrefonds, des éléments de la cour d’honneur. 

Partout, Jeanne profite du plein air et du travail en solitaire, dès le matin, des podcasts dans le casque pour mieux se concentrer. « La pierre est une matière vivante. C’est impressionnant de se dire que nos prédécesseurs travaillaient avec quasi les mêmes outils et le même geste. J’ai le sentiment de participer à une œuvre qui me dépasse. »

Photo d'ouverture : Ilan Deutsch

BIO EXPRESS

2013-2015 Brevet des métiers d’art Peintre décorateur

2015-2017 Diplôme des métiers d’art Peintre décorateur 

2020-2021 Diplôme Tailleur de pierre Atelier de la pierre d’angle de l’Oise 

2022-2023 Chantier de restauration Notre-Dame de Paris 

RESSOURCES 

  • Livres, magazines et vidéos  :

    - Notre-Dame de Paris, ressuscitée, par Bernadette Sauvaget, éditions Fayard

    - La grande aventure de Notre-Dame de Paris en cent épisodes, par Evelyne Brisou-Pellen, éditions Bayard Jeunesse

    - Rebâtir Notre-Dame de Paris, le livre officiel de la restauration, éditions Tallandier 

    - Cathédrale Notre-Dame de Paris, guide, par Thierry Crépin-Leblond, éditions du Patrimoine

    - La Fabrique de Notre-Dame, magazine en sept numéros réalisé en partenariat avec Connaissance des Arts

    - Notre-Dame de Paris, le chantier du siècle, une série documentaire de Vincent Amouroux, éditions Arte 

  • Conférences
     « Les mercredis de Notre Dame », 5 rendez-vous proposés aux collège des Bernardins d'octobre 24 à mai 25, dont le 14/01 « Restaurer Notre-Dame, le chantier du siècle »