Témoignages

Alexis Raoult, le virtuose du crayon

Précis, posé, déterminé, Alexis Raoult, 28 ans, est passé maître dans l’art du dessin hyperréaliste. Du lycée professionnel Saint-Philippe d'Apprentis d'Auteuil à Meudon aux galeries d’art parisiennes, récit d’un itinéraire hors norme.

L’effet est saisissant. Un tigre gueule ouverte en très gros plan. Un puma aux aguets. Deux singes, une mère et son petit, pris dans un moment de tendresse et d’émerveillement. Du dessin, vraiment, ou plutôt une photo ? Il s’agit pourtant bien de dessins hyperréalistes, tout en précision et en émotion.
L’auteur de ces œuvres faites au crayon et à la gomme est un jeune homme longiligne et réservé. Alexis Raoult commence à se déployer dans sa nouvelle peau d’artiste. Il lui aura fallu du temps, du courage et de la persévérance pour se révéler à lui-même et oser croire à son talent. Au rez-de-chaussée de la galerie NextStreet, place des Vosges à Paris, ses tableaux les plus emblématiques d’animaux sauvages, des grands formats et des plus petits. À l’étage, des tableaux de Ben et d’Andy Warhol.

« Démarrage américain »

Le chemin parcouru est immense. « J’ai été élevé par mon père dans un esprit de compétition permanente, se souvient le jeune homme. Il fallait gagner, sinon, je me faisais rouster. Ça laisse des traces. » En 5e, le garçon, pourtant bon élève, décroche, ébranlé par le climat familial, la perte d’un grand-père adoré. Alexis est orienté pour quelques mois vers la classe relais du collège Saint-Philippe d’Apprentis d’Auteuil à Meudon (92). « On ne m’a pas jugé, et c’était la première fois. Avant, c’était toujours moi le problème. Personne ne me demandait, est-ce que ça va à la maison ? » Il y reste le temps de s’apaiser un peu, puis retourne dans son collège.
Quelques années passent. À l’issue de sa 2de, l’adolescent est renvoyé du lycée professionnel qu’il venait d’intégrer, en raison de son comportement explosif. « Ma mère était en panique, se souvient-il. C’est Saint-Philippe qui m’a à nouveau accepté. »
Là, Alexis fait l’expérience d’un accueil sans conditions, d’une confiance accordée, encore et encore. « Un jour, un vol a eu lieu. J’ai été convoqué chez le directeur. Je lui ai dit que ce n’était pas moi. Il m’a cru. C’était la première fois. Ça a été très important pour moi. C’est une expérience Apprentis d’Auteuil ! J’y ai rencontré des gens incroyables, venus de partout. Cette expérience m’a transformé, moi qui avais plein de préjugés. J’ai pris conscience de la souffrance et du malheur autour de moi. »
Sur place, il trouve des éducatrices comme Claude ou encore Kahina, qui ne désespèrent pas de ce garçon surnommé « démarrage américain » pour sa capacité à partir au quart de tour. Il trace son chemin, et puis, à 18 ans, trois mois avant le bac, décide de quitter l’établissement. « J’étais tombé amoureux de Morgane. Cela fait maintenant dix ans que nous sommes ensemble. »

L’obsession du détail

Lors de son exposition à la galerie NextStreet, place des Vosges à Paris, Alexis Raoult pose avec une de ses oeuvres. (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil
Durant l'hiver 2021, lors de son exposition à la galerie NextStreet, place des Vosges à Paris, Alexis Raoult pose avec une de ses oeuvres. (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil

Alexis trouve du travail en intérim dans le bâtiment, puis de vendeur dans le très chic quartier de la Madeleine, à Paris, où il apprend à gagner en aisance et en prestance. Le jeune couple décide de partir sur un coup de tête à Quiberon, avec un peu d’argent en poche et trois valises. Il y reste sept ans, marquées par la débrouille, l’entraide, les belles rencontres. Et la redécouverte du dessin et de la peinture qu’il pratiquait plus jeune. Alexis est repéré par le patron d’un bar, impressionné par ses tableaux de Che Guevara, Jimi Hendrix, Jim Morrison.
Le dessin parfait devient une obsession. Alexis noircit des carnets entiers d’études de nez, de bouches, jusqu’à maîtriser son sujet. Sur sa planche à dessin, du matériel simple : un crayon noir, un F, un H, une gomme, un posca blanc pour des effets de surbrillance, par exemple pour les moustaches des félins.
Après dix ans de pratique, le jeune homme a parfait sa technique pour rendre au plus près et au plus réaliste le pelage d’un lion, les rides d’un bonobo, l’œil d’une girafe, les plumes d’un aigle. Pour chacun en moyenne, 300 à 400 heures de travail. Uniquement des animaux. Le dernier portrait d’humain réalisé, c’est celui de Marguerite, son arrière-grand-mère qu’il adorait, partie en 2017 à 96 ans.
Aujourd’hui Alexis est à la croisée des chemins, alors que son talent, de plus en plus connu et reconnu, lui permet de vivre. Il expose, voit sa cote discutée par les galeristes. Prudent, il garde la tête froide et n’oublie pas son parcours. « Apprentis d’Auteuil, c’est ce qui a changé ma vie. C’est là d’où je viens. Quand je ferme les yeux, tout est présent. Cela fait partie de moi. »

BIO EXPRESS
  • 18 janvier 1993 : naissance à Montrouge (92)
  • 2004 : admis en classe relais à Saint-Philippe (Meudon, 92)
  • 2008 : retour au lycée professionnel Saint-Philippe.
  • 2011 : vend ses premières toiles au patron d’un bar, puis leurs portraits aux rappeurs Youssoupha et Sofiane.
  • 2018 :  rencontre le galeriste Julien Roussard, à Montmartre, expose à la galerie Roussard.
  • 2021 Coup de cœur au 45e Salon national des artistes animaliers de Bry-sur-Marne (94), Grand prix au 11e Salon international d’art de Mantes-la-Jolie. Expose à Paris au Salon d’automne et à la galerie NextStreet, place des Vosges
DÉCOUVRIR LES ŒUVRES D'ALEXIS RAOULT Un site : www.alexisraoult.com