Roseline et Nacera
Société
19 juin 2025

Porter ensemble ses douleurs

ENTRETIEN. Dans un récit bouleversant signé du journaliste Samuel Lievin, Roseline Hamel, sœur du père Jacques Hamel assassiné en 2016, et Nassera Kermiche, maman d’un des deux jeunes auteurs de l'attentat, racontent leur incroyable amitié, née peu après le drame. Propos recueillis par Agnès Perrot 

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Roseline Hamel est la sœur du père Jacques Hamel. Il a été tué en 2016 dans son église. Nassera Kermiche est la maman d’un des jeunes qui ont fait cet attentat. Après ce drame, Roseline et Nassera se sont rencontrées. Elles sont devenues amies. Le journaliste Samuel Lievin raconte leur histoire dans un livre très émouvant.

Roseline, comment est né ce besoin de rencontrer Nassera ? 

Quand une catastrophe comme celle que j'ai vécue en 2016 survient dans sa vie, on se retrouve anéanti. Je ne bougeais plus de chez moi, je parlais toute seule et je me laissais mourir.

Vous aviez déjà été confrontée à des situations de vie difficiles ? 

 Plus jeune, à l'âge de 21 ans, j'étais retournée vivre chez ma mère de laquelle j'avais été séparée 15 ans plus tôt. Un quotidien compliqué, ma maman étant très angoissée. J'avais dû être hospitalisée pour dépression. Puis à l'âge de cinquante ans, j'ai demandé le divorce. 

Un autre moment de ma vie très douloureux. Je me suis retrouvée dans la précarité et j'ai à nouveau sombré. Avec la disparition de mon grand frère Jacques auquel j'étais si attachée, le naufrage a été encore plus violent !

Comment avez-vous réagi ?

Je souffrais énormément, j'en voulais à Dieu et je me sentais coupable de faire subir mon état intérieur à mes enfants. Il fallait impérativement que quelque chose se passe ! Et l'improbable s'est produit. 

Un jour, alors que je méditais dans l'église de mon quartier devant une Pietà, je me suis mise à la place de la maman de celui qui avait tué mon frère et l’idée m'est venue de proposer à Nassera de la rencontrer, afin que nous portions ensemble notre douleur. Pour continuer à vivre, retrouver la paix et la distribuer autour de nous. 

Quelque temps plus tard, j'ai pris mon téléphone après m'être assurée auprès d'une journaliste qui nous connaissait toutes les deux que Nassera serait d'accord pour me répondre. J'ai composé son numéro avec l'assurance que je saurais trouver les mots pour la toucher. Je rentre facilement en lien avec les gens qui souffrent. C'est un don que j'ai reçu.

Et vous Nassera, vous étiez dans quel état d’esprit ? 

Après l’attentat, c'était l'enfer. J'étais totalement effondrée, je me sentais partir, j’avais le mauvais rôle, celui de la mère d’un terroriste, un fils que j'avais pourtant élevé, avec ses quatre frères et sœurs comme le reste de sa fratrie, le poussant à donner le meilleur de lui-même. Je cherchais à comprendre, j’avais besoin de réponses. Pourquoi Adel s'était-il radicalisé ? Que s'était-il passé ? Que lui avait-il manqué ? 

J’avais aussi peur pour mon travail. Je suis professeur dans un lycée professionnel de Saint-Etienne-du-Rouvray où j’’enseigne la biotechnologie. Je pensais que mes supérieurs allaient me juger et refuser que je reprenne mon métier.

Par une amie, j'avais tenté de tenté de joindre les sœurs de la paroisse présentes auprès du père Jacques au moment du drame. Mais elles n’étaient pas encore prêtes et la rencontre n'avait pas pu se faire.

Comment avez-vous réagi à la proposition de Roseline ?

Quand elle m’a annoncé, après plusieurs mois d’échanges au téléphone, qu’elle souhaitait faire ma connaissance en se rendant chez moi, je lui ai répondu que je l’attendais. J’avais à ce moment-là surtout besoin de lui demander pardon. Pour mon fils et pour moi qui n’avais pu empêcher le pire. Ce pardon, c'était mon idée fixe, je me sentais autant responsable du drame qu'Adel. 

Roseline m’a répondu qu’elle n’était pas venue chercher un pardon mais me proposer une alliance. Quand elle a sonné à ma porte, je l’ai prise dans mes bras et je me suis mise à parler d'Adel, de l'attentat, du phénomène de la radicalisation, du terrorisme, de mon combat de mère... L'entretien a duré longtemps. Je me sentais écoutée. Je pouvais enfin exprimer ce que j'avais sur le cœur. 

Que s'est-il passé ensuite ?

Cette première entrevue m’a permis de commencer à évacuer la culpabilité que je portais en moi : lorsqu'on est parent, on se demande toujours ce qu'on n'a pas bien fait pour que son enfant dérive à ce point. J'ai aussi compris de l'intérieur que nous étions toutes les deux victimes et anéanties par une douleur qui nous rassemblait. 

Petit à petit, j'ai retrouvé l'énergie dont nous avions chacune besoin, la force qui me manquait pour rester debout. Et je suis revenue à la vie ! J'ai aussi accepté de livrer ce que j'avais sur le cœur en témoignant pour le livre. Un travail exigeant mais dont je suis très fière. Depuis ce jour improbable, nous nous appelons régulièrement. Note amitié s'est imposée comme une évidence et une ressource vitale. 

Roseline et Nassera, qu’est ce qui est essentiel pour vous aujourd’hui dans vos vies ?

Nous voulons toutes les deux témoigner de la force qui nous habite. Pour prouver au monde que du chaos peut naître la lumière et que des vies sacrifiées peuvent servir à quelque chose. 

Même si rien n’efface la douleur, nous sommes sur le chemin d’une paix intérieure que nous souhaitons distribuer autour de nous. Dans la vie, le partage et l'amitié font des miracles si on ose franchir le pas.

Sœurs de douleur
Samuel Lievin, Roseline Hamel, Nassera Kermiche 
XO Éditions