Bien manger quand les prix flambent
Comment manger sain pour la santé et bon pour l’environnement, malgré la flambée des prix des produits alimentaires ? À cette épineuse question, des spécialistes répondent. Chiffres et preuves à l’appui.
En France, entre 2021 et 2023, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 21% selon une enquête du CRÉDOC(1). Raisons invoquées ? La perturbation des chaînes mondiales d’approvisionnement lors de la reprise post-Covid, l’augmentation des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, la suite de l’invasion russe en Ukraine, les tensions sur le marché du travail.
Avec des conséquences sur les ménages : en 2023, 16% des Français déclaraient ne pas avoir parfois suffisamment à manger. 51% reconnaissaient avoir suffisamment à manger, mais ne pouvoir acheter ce qu’ils souhaiteraient. « L’inflation a certes retrouvé des niveaux plus normaux en 2024, fait remarquer Marianne Bléhaut, directrice du pôle Data & Économie au CRÉDOC, mais les prix ne baissent pas. Les consommateurs restent inquiets et les ménages en situation de précarité font face à des tensions persistantes sur leur budget. »
(1) Enquête Comportements et attitudes alimentaires des Français, réalisée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC), entre le 11 avril et le 10 mai 2023, auprès de 3 967 personnes de 15 ans et plus.
Des choix cruciaux à faire
Les personnes qui ne mangent pas à leur faim ou ne peuvent varier leur alimentation pour des raisons financières, surconsomment des aliments de la famille des céréales (pâtes et pain réputés peu chers et nourrissants), et des produits ultra-transformés aux prix attractifs. Faute de moyens, parfois d’information ou d’accès aux professionnels de santé, elles ne peuvent suivre les recommandations telles « Manger 5 fruits et légumes par jour ». Avec pour conséquence, des risques de développer des pathologies (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète, obésité...).
Avec un budget contraint, l’engagement pour l’environnement et une consommation responsable passe au second plan pour les ménages les plus précaires. « Entre les engagés et les indifférents à cet enjeu, nous trouvons les "empêchés" : ils aspirent à une consommation éco-responsable et durable, explique Marianne Bléhaut, mais, pour des raisons financières ou logistiques, achètent peu de produits bio, par exemple. Une chose est sûre : le début de la crise inflationniste a bousculé les adultes et les jeunes dans leurs pratiques alimentaires. Certains se tournent vers des magasins discount ou des produits d’entrée de gamme. D’autres, vers les structures d’aide alimentaire. » Le budget alimentaire est devenu la variable d’ajustement pour faire face aux dépenses incompressibles comme le loyer, la cantine scolaire, le trajet domicile-travail...
Des capacités d’agir à valoriser
Pour surmonter ces difficultés, des chercheurs de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) ont conçu un programme recherche-action nommé Opticourses, lancé dès 2010 dans les quartiers nord de Marseille, puis développé ailleurs. Basé sur les habitudes de consommation, il permet à des personnes ayant des difficultés financières d’opter pour une alimentation plus saine et durable sans dépenser plus.
« Grâce à des ateliers animés par des travailleurs sociaux, diététiciennes, conseillères en économie sociale et familiale formés à Opticourses, à la demande de mairies, d’associations, de Caisses d’allocations familiales ou de mutuelles, ce programme crée une dynamique de groupe. Nous nous appuyons sur ce que les gens font déjà pour les amener à mieux manger avec un budget serré », résume Nicole Darmon, la responsable, directrice de recherche honoraire à l’INRAE. Le programme promeut de nouveaux comportements : ne pas écarter les fruits et légumes frais sous prétexte qu’ils sont périssables, apprendre à les manger dans un délai raisonnable. Il préconise d’éviter les aliments chers dans leur catégorie (certains champignons, les asperges...), sans se priver d’huile d’olive, à la qualité nutritionnelle exceptionnelle. Autres conseils : privilégier les bons produits, le pain complet notamment, plus cher que le pain blanc, mais bien meilleur pour la santé. Réduire la consommation de viande (qui représente 25 à 30% des dépenses alimentaires, que l’on soit riche ou pauvre) et la remplacer par des produits végétaux sains (fruits et légumes frais ou secs...). « Avec ces quelques recommandations, nous valorisons les capacités d’agir des gens, ce qui contribue à accroître leur estime de soi, conclut Nicole Darmon, tout en les accompagnant vers d’autres changements qui auront des effets bénéfiques sur leur santé. »
POUR ALLER PLUS LOIN
- Note de synthèse des Comportements et attitudes alimentaires des Français
www.credoc.fr - Programme Opticourses de l’INRAE
www.opticourses.org
2 QUESTIONS À Gwenn Pulliat, chercheuse du CNRS à Montpellier
Pour les ménages en situation de précarité, quel est le premier critère de choix d’un aliment ?
Il reste le prix : comment acheter des fruits et légumes, des légumineuses, du poisson, de bons aliments souvent chers, quand on ne peut compter sur un revenu régulier, quand on ne dispose pas d’un espace de conservation ? Ces ménages sont, malgré eux, contraints d’acheter des produits d’épicerie ou ultra-transformés non périssables, mais de moindre qualité nutritionnelle.
Quelles recommandations faites-vous pour une meilleure alimentation ?
Au lieu de blâmer ces ménages en leur disant « Faites autrement », les pouvoirs publics pourraient réglementer les produits et les publicités réalisées sur ces produits dont on sait qu’ils n’ont aucun intérêt nutritionnel et sont problématiques pour la santé et l’environnement. Ils l’ont déjà fait pour les alcools. Pourquoi pas pour les aliments ? À Montpellier, des associations d’aide alimentaire travaillent avec le marché d’intérêt national pour augmenter la part des produits frais distribués. Des écoles élaborent les menus avec les enfants pour qu’ils mangent de tout, pas seulement des frites et des pâtes, sachant que les enfants sont souvent les prescripteurs de leurs parents et que les industries agro-alimentaires ne s’y trompent pas en rendant leurs produits ultra-transformés ultra-désirables.
À APPRENTIS D’AUTEUIL
À Apprentis d’Auteuil, les initiatives se multiplient dans les établissements, qui se saisissent de la question du « Manger sain pour la santé, durable pour l’environnement dans un bon rapport qualité/prix ». Que ce soit dans les établissements scolaires ou de protection de l’enfance et dans les Maisons des familles, de nombreuses actions sont menées : création de potagers et d’espaces herbes aromatiques, composition d’assiettes "petits ou gros mangeurs" dans les cantines scolaires, participation à la semaine européenne de réduction des déchets sous la forme de jeux, d’ateliers, de recettes antigaspi, intervention de nutritionnistes ou de diététiciennes, travail sur les notions d’équilibre alimentaire avec un petit budget, ateliers cuisines et déjeuners partagés.
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