Antoine Dole et son personnage de Mortèle Adèle
Société

Antoine Dole : "Donnons aux enfants les clés pour être bien dans leurs baskets !"

BD, romans, chansons, série animée... Antoine Dole, alias Mr Tan, l’auteur à succès de Mortelle Adèle, donne vie à son héroïne sous de multiples facettes. Un personnage né de son imagination à seulement 14 ans, en réponse au harcèlement scolaire dont il a été victime au collège. Propos recueillis par Félix Lavaux.

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Antoine Dole, alias Mr Tan, est le créateur de la série à succès Mortelle Adèle. Il a créé ce personnage lorsqu'il était victime de violences scolaires dans son collège.

Avec quinze millions d’exemplaires vendus, Mortelle Adèle rencontre un énorme succès auprès des enfants et des ados. Comment percevez-vous ce succès ?

Ma vie n’a pas tellement changé. Je suis toujours dans mon petit bureau à travailler sur les histoires d’Adèle. Cela représente surtout beaucoup de responsabilités parce qu’Adèle est importante dans la vie de beaucoup d’enfants. Nous le mesurons aux nombreux courriers que l’on reçoit. Les enfants nous disent comment Adèle les a aidés à affronter leur quotidien, comment elle leur donne du courage dans les moments difficiles. Cet impact nous oblige à être rigoureux et à travailler dur. Je veux être à la hauteur de leurs attentes. Nous allons aussi à la rencontre des lecteurs lors de tournées un peu partout en France. Les enfants nous disent qu’ils veulent être amis avec Adèle, parce qu’ils ont besoin d’un personnage qui les autorise à être différent. Les parents, eux, nous remercient parce qu’Adèle a mis beaucoup d’enfants à la lecture et qu’ils y prennent plaisir. Les parents sont aussi décomplexés de voir leurs enfants lire de la bande dessinée, car tous les tomes de Mortelle Adèle représentent quand même plus de trois mille pages de lecture !

Cette année, vous avez publié un roman, un magazine. Une série animée est prévue en 2024… Vous êtes très prolixe !

Cela reste pourtant très artisanal. Nous faisons tout à deux avec Diane Le Feyer qui a repris les illustrations de la série en 2014 après 7 tomes réalisés par Miss Prickly. Moi, j’écris, elle dessine. Le personnage d’Adèle est né en 1995 lorsque j’avais 14 ans. C’est important qu’Adèle soit incarnée par les valeurs qui l’ont fait naître : la sincérité, l’authenticité et la volonté pour un enfant d’exprimer ce qu’il a au fond de lui. C’est un travail de création... et de récréation car on s’amuse beaucoup avec le personnage ! Il nous permet d’explorer toutes nos envies. J’écrivais des romans et des paroles de chansons avant de venir à la BD. C’était donc intéressant de ramener Adèle dans ces univers. Cela permet aussi de faire vivre la personnalité d’Adèle sous différentes facettes.

Comment est né le personnage d’Adèle ?

De la 6e à la 4e, j’ai été victime de violence scolaire. J’ai été stigmatisé par un groupe qui, de la 6e à la 4e, me poursuivait avant, pendant et après le collège pour m’insulter, me taper et me dire de me suicider. Ils me reprochaient constamment d’être ce que j’étais : ma tête, ma voix, ma façon de parler, mon milieu social... Un jour, ils m’ont cassé le pouce parce que j’aimais dessiner. Ils ont aussi essayé de me casser le genou pendant le cours de sport. Ça été une période extrêmement violente où j’ai eu des idées noires. Je passais la plupart de mes récréations caché dans les toilettes du troisième étage. Un jour de larmes et de colère, j’ai rayé mon cahier de dessin et ce trait est devenu la barre de front d’Adèle qui la caractérise toujours aujourd’hui. Ce jour-là, j’ai découvert que j’avais les moyens d’exprimer à travers le dessin et l’écriture tout ce que je n’arrivais pas à dire autrement.

J’ai été stigmatisé par un groupe qui me poursuivait avant, pendant et après le collège pour m’insulter, me taper et me dire de me suicider.
Antoine Dole, alias Mr Tan

L’Éducation nationale veut faire du harcèlement scolaire le thème majeur de cette année scolaire. En fait-on assez en matière de prévention selon vous ?

Visiblement non, car sinon on ne serait pas confrontés à autant de suicides d’enfants ou d’adolescents. Lindsay ou Lucas (deux jeunes qui ont mis fin à leur jour en mai et janvier 2023, ndlr) avaient dénoncé à maintes reprises leur situation, ce qui n’a pas empêché le drame. J’ai vécu cette situation de harcèlement il y a vingt-cinq ans. Aujourd’hui, des enseignants sont très investis, des associations très dévouées, mais je vais régulièrement dans des collèges pour des rencontres, et le harcèlement scolaire continue d’être le quotidien de tant d’élèves. C’est très bien de sensibiliser les enfants, mais comment nous, adultes, les protégeons-nous ? Ils devraient seulement se soucier d’être des enfants et non pas d’être vivants à la fin de la journée. La vraie question est : comment empêche-t-on un enfant de se suicider ? Pourquoi, dans notre société, des enfants ont l’impression que la seule issue à leur calvaire est cette solution radicale et définitive ? Il y a un énorme travail à faire en matière de confiance en soi pour que les élèves apprennent à célébrer qui ils sont avec leurs différences. Donnons aux enfants les clés pour s’aimer, pour être bien dans leurs baskets !

L’Education nationale vous a-t-elle contacté pour faire de la prévention via votre personnage ?

Nous sommes lus par, au moins, 15 millions d’enfants - en réalité, beaucoup plus parce qu’un livre est lu par plusieurs enfants - mais nous n’avons été contactés par personne ! Pourtant Mortelle Adèle serait une porte d’entrée incroyable pour faire passer des messages de prévention. Nous restons sur un modèle de communication très institutionnel via des journées de mobilisation. On ne pense pas à utiliser les outils qui sont à la portée des enfants. Nous avons par exemple créé un podcast- le podcast des Bizarres - qui se trouve gratuitement sur l’appli Gulli. On y explique aux enfants, par exemple, que personne ne peut les forcer à faire ce qu’ils ne veulent pas faire. Chaque épisode leur donne des clés de compréhension du monde qui les entoure. Ce podcast rencontre un super succès, mais nous "bricolons" tout ça seul dans notre coin. Comme Lucas et Lindsay, j’étais prêt à mettre un terme à ma vie parce que je ne supportais plus cette violence quotidienne. Je ne peux donc pas l’ignorer aujourd’hui dans ma vie d’adulte. Et me contenter de vendre des livres.

L’enfance d’Antoine Dole

"J’ai eu une enfance qui n’a pas été simple. Mes parents ont divorcé lorsque j’étais tout petit. À l’époque, j’étais le seul enfant de parents divorcés dans mon école. Cela peut faire rire aujourd’hui, mais à l’époque, des parents demandaient à leurs enfants de ne plus jouer avec moi ! J’ai appris à grandir avec peu de moyens, car ma mère avait trois enfants à élever toute seule. C’est ce qui m’a rendu créatif. Mon parcours scolaire a été assez chaotique. Mes histoires de harcèlement ne m’ont pas aidé à me concentrer sur ma scolarité. Je suis resté tétanisé par l’école pendant des années. J’ai fini tant bien que mal mes études jusqu’au bac. Ensuite, j’ai fait du droit, de l’anglais, des sciences humaines... Mais je n’ai rien mené vraiment au bout. Par contre, j’écris et je dessine depuis que je suis tout petit. J’ai toujours eu à cœur de raconter des histoires. Et d’utiliser mon imaginaire pour traverser un quotidien qui n’était pas fantastique."

Les dates clés d’Antoine Dole

  • 28 octobre 1981 Naissance
  • 1995 Création du personnage de Mortelle Adèle
  • 2008 Publication de son premier roman Je reviens de mourir Éd. Sarbacane.
  • 2012 Publication du premier tome des aventures de Mortelle Adèle sous le pseudonyme de Mr Tan.
  • Avril 2023 Publication du Journal des Bizarres, Éd. MrTan&Co.