Grandir en famille d'accueil
La Maison d’enfants Charles-de-Foucauld, à Challans, en Vendée, a créé il y a six ans le dispositif d’accueil familial, un service d’assistants familiaux qui accueillent à leur domicile des enfants placés. Reportage chez Odile et Marie-Françoise.
Une belle journée ensoleillée, c’est le bonheur pour Renaud. L’adolescent de 13 ans, fan de nature, a trouvé un havre de paix chez Odile Levard, son assistante familiale. En pleine campagne et à proximité de la mer, la maison dispose d’un beau jardin fleuri, avec des poules qui s’ébattent en liberté, un chat et un chien affectueux.
Après le déjeuner, Renaud montre ses trésors. Des outils de bricolage qu’il chine avec Odile en brocante ou en vide grenier. Un aquarium d’occasion et des poissons exotiques, pour lesquels il économisé euro après euro sur son argent de poche. Puis nous voilà partis prendre l’air à la plage, il fait grand vent. « Je suis bien ici chez Odile. Le foyer, c’est un peu embêtant. Il y a trop de monde, et j’aime bien être tout seul, explique le garçon. Plus tard, je veux être paysan, faire de l’élevage. Je suis pressé d’avoir 18 ans pour pouvoir travailler auprès des animaux. »
Le sentiment d'être utile
Odile s’est lancée dans le métier d’assistante familiale après une carrière en centre de vacances. Au décès de son compagnon, elle postule pour accueillir des enfants de l’Aide sociale à l’enfance. « Je me sens utile. C’est aussi une histoire de confiance réciproque entre la Maison d’enfants et moi. J’ai passé le diplôme d’assistante familiale, puis j’ai dit au service : « Je ne pose pas de choix, vous me confiez qui vous voulez. » Après une première expérience difficile avec une fillette au comportement très dur, Odile accueille un garçon, parti ensuite en institut spécialisé. Renaud est arrivé dans son foyer il y a 18 mois. Tous les deux se sont adaptés l’un à l’autre, Odile, posant des règles de vie avec beaucoup de douceur et de bienveillance, et Renaud appréciant ce nouveau cadre, avec parfois, comme tout ado, une envie de pousser un peu les limites, sans qu’Odile ne soit dupe. « Nous sortons beaucoup à l’extérieur se promener en forêt, à la mer, à la piscine. Renaud passe un week-end sur deux chez moi, l’autre chez son père ou chez sa mère. »
Des problématiques de plus en plus complexes chez les enfants
La Maison d’enfants Charles-de-Foucauld, qui accueille des jeunes âgés de 6 à 18 ans, a créé le dispositif d’accueil familial (DAF) dont dépendent les assistants familiaux il y a six ans. Rôle clé, celui de la coordinatrice, Émilie Sachot, par ailleurs éducatrice spécialisée. La jeune femme est chargée du lien entre la Maison d’enfants, les familles d’accueil, les parents, et tous les partenaires autour du jeune (école, spécialistes, etc.). Elle organise les différents rendez-vous, les rencontres médiatisées entre le jeune et ses parents, en présence d’un tiers, en fonction des décisions du juge pour enfants. Le DAF met également en place des réunions d’équipe mensuelles entre les familles d’accueil pour faire de l’analyse de pratiques et revisiter certaines situations, en présence d'un psychologue. « C’est un beau métier qui répond à des besoins, explique Jean-Philippe Mauduyt de La Grève, le directeur, mais il ne faut pas en minimiser les difficultés. Les problématiques des enfants sont de plus en plus complexes. »
Une complexité que confirme Marianne Testas, cheffe de service : « La plupart des enfants que nous accueillons ont besoin de soins particuliers. Beaucoup souffrent de traumas liés à des violences, souvent sexuelles, ou ont été témoins de violences conjugales. D’où des comportements sexualisés chez certains, ou des réponses par la violence, et une intolérance à la frustration. »
Un métier qui nécessite formation et lucidité
Pour ces enfants, un grand besoin de liens affectifs continus, de repères. Certains ne supportent pas le cadre de la Maison d’enfants et la vie en collectivité qui génère trop d’agitation. Après examen de chaque situation, l’enfant peut être confié à une assistante familiale en étudiant bien chaque profil pour que les « couples » fonctionnent. « Pour ce métier, il faut être prêt à un investissement à 300 %, car l’accueil d’un enfant placé implique l’entourage, reconnaît Marianne Testas. C’est un mélange intime qui suppose de la lucidité. L’écart entre l’accueil idéalisé d’un enfant et la réalité peut être grand. »
La question de la formation est centrale. En l’absence d’une réelle formation obtenue par les assistants familiaux en amont de leur agrément par la protection maternelle et infantile du Département, Apprentis d’Auteuil a mis en place une formation de 60 heures, dont une partie en observation en Maison d’enfants auprès des éducateurs. Elle aborde toutes les problématiques liées à l’enfance, aux traumas, au placement.
Un métier de cœur longuement mûri
Nouvelle ambiance chez Marie-Françoise qui rentre des courses avec Brandon, 9 ans : « Nous les assistants familiaux, on travaille à la maison, mais nous sommes beaucoup à l’extérieur. » Ethan, 15 ans, actuellement en stage chez un restaurateur, ne tarde pas à arriver. « Marie-Françoise ? C’est une personne a fait le choix de t’accueillir chez elle à l’année, qui est là pour toi, pour t’aider à avancer », explique-t-il. C’est l’heure du goûter. Les garçons entament avec entrain un flan fait maison. « J’aime beaucoup pâtisser. C’est mon échappatoire, avec aussi, la plage, la mer », précise Marie-Françoise.
Ce choix d’être assistante familiale, son métier de cœur, a été longuement mûri chez Marie-Françoise, comptable de formation, et longtemps adjointe de direction en entreprise adaptée. Elle l’a concrétisé après le décès de son mari, boulanger pâtissier. En quittant l’Est, sa région d’adoption, elle s’est rapprochée de l’océan et d’une partie de sa famille. « Quand j’étais jeune, j’ai été nounou. J’ai pu aussi élever nos deux filles à la maison. Je suis une maman dans l’âme. Quand je vois les garçons sourire, me demander des bisous, des câlins, je suis contente. Ce n’est que du bonheur. »
En accueillant ces deux garçons très complices, qui partagent une passion pour le foot, elle a conscience de leurs problématiques et des « valises » que chacun porte. « Ethan et Brendan se connaissaient déjà, ils se sont bien adaptés l’un à l’autre. Pour Brendan, cela a été un soulagement, car l’accueil en collectif lui ajoutait des difficultés. Les enfants qui arrivent en famille d’accueil n’ont jamais connu la stabilité, une continuité saine. Ils ont besoin d’une présence. Il faut s’adapter à chaque profil d’enfant. Ensuite, chacun poursuivra son chemin. »
Chez Marie-Françoise, beaucoup d’affection et de complicité. Et des règles aussi. Elle veille en particulier à son équilibre et se préserve les soirées dans le calme de sa chambre, son « petit refuge ». Les garçons sont priés de se retirer dans la leur à 20h. « Ce sont des enfants qui ont besoin de cadre, Ethan comme Brandon, précise Marie-Françoise. Brandon faisait des colères, il a fait beaucoup de progrès. »
Une relation de confiance s’est nouée entre l’équipe de la Maison d’enfants et elle. Marie-Françoise apprécie les réunions mensuelles de relecture de pratiques, et les échanges avec les professionnels : « Il faut un investissement total pour ce métier. Je ne l’aurais pas fait en couple et avec des enfants, même si j’aurais voulu commencer plus tôt. Ce que j’apprécie avec Apprentis d’Auteuil, c’est qu’on peut discuter, dire quand cela ne va pas. Il n’y a pas de non-dits. »
Période de réflexion
La Maison d’enfants est entrée dans une période de réflexion concernant l’évolution du DAF et le soutien nécessaire aux familles d’accueil pour leur permettre de mieux surmonter les difficultés. « Assistant familial, c’est un super beau métier dont on a vraiment besoin, conclut Marianne Testas. Ils apportent une vision différente du travail. Et pour les enfants, c’est primordial. Ils ont besoin de ce que les psychologues nomment les figures d’attachement : une personne clairement identifiée, une stabilité affective. On peut, et on doit, se construire avec plusieurs figures d’attachement dans sa vie. »
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