Protection de l'enfance

Accueil d'urgence : un service ouvert 24 H / 24 à Meudon

Aux portes de Paris, le Service d’accueil d’urgence de Meudon (92) accueille des adolescents de jour comme de nuit, quand leur situation demande une réactivité immédiate.

Ce jour-là, la brigade des mineurs est allée chercher Paul (1) et son frère au domicile de leur mère et les a amenés directement au Service d’accueil d’urgence de Meudon (SAU). Un placement en urgence, ordonné par le juge des enfants, en raison des conditions matérielles et psychologiques dans lesquelles vivaient les garçons et de graves carences éducatives.
« Chez moi, il y a eu des problèmes, alors le juge a décidé que je viendrais ici avec mon frère, explique Paul, 13 ans. Au début, j’avais peur, c’est normal, et puis des jeunes m’ont dit que j’avais beaucoup de chance d’être au SAU. Les éducateurs nous traitent bien. Chacun a un lit. On fait de la cuisine ensemble et des gâteaux pour les anniversaires. L’objectif, c’était de retourner à l’école et de grandir. »
Aujourd’hui, le jeune garçon a repris le chemin de l’école, il se montre d’une grande curiosité intellectuelle. Lui et son frère progressent. « C’est une petite victoire », souligne Jean-Luc Rouault, le directeur.

Un accueil inconditionnel

Le SAU accueille en urgence des adolescents orientés par le conseil départemental des Hauts-de-Seine. Leur point commun, c’est le danger qu’ils courent dans leur environnement ou dans leur famille. Ils ont connu des violences physiques, psychologiques. Certains ont été mis à la porte de chez eux, d’autres ont fugué. Le SAU accueille aussi des jeunes aux parcours chaotiques et aux profils complexes, « les incasables », ballotés de foyers en foyer de l’Aide sociale à l’enfance. Également des jeunes victimes d’abus sexuels, parfois eux-mêmes abuseurs. Tous en grande souffrance. Et des mineurs non accompagnés au parcours migratoire traumatique.
« Le placement doit être quasi immédiat. Il s'agit d'une mise à l'abri. Nos missions, c’est tout d’abord d’accueillir chaque jeune de façon inconditionnelle, 24h/24 et 7 jours/7, en fonction des places disponibles, poursuit Jean-Luc Rouault. Puis vient une phase d’observation et d’évaluation avec le concours des professionnels du SAU (éducateurs, maîtresses de maison, infirmière, etc.). Et enfin, des préconisations quant à l’orientation (voire l’orientation à part entière) idéalement en l'espace de trois mois. Avec un retour en famille si possible, sinon en famille d’accueil ou dans une structure d'accueil collectif du type Maison d'enfants ou lieu de vie. »

Paul, 13 ans, accueilli au SAU de Meudon (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
Paul, 13 ans, accueilli au SAU de Meudon (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
Les deux résidences (une pour les 12-15 ans, une pour les 15-18 ans) ont été aménagées de façon accueillante et cosy pour que chacun puisse se poser et envisager un nouveau départ. Pour les accompagner au mieux, une équipe pluridisciplinaire : chefs de service, éducateurs de jour et de nuit, maîtresses de maison, infirmière, psychologue, animatrice en pastorale. Des profils et des personnalités très différentes dont les regards croisés font la richesse et la force de l’équipe. « Il nous faut accompagner ces jeunes vulnérables de manière individualisée en tenant compte de leurs problématiques et de leurs besoins respectifs, détaille Kahina Ait-Cherif, cheffe de service. La pluralité de l'équipe permet une grande diversité dans les propositions d'accompagnement, multipliant leurs chances de se sentir entendus et compris. Ils évoluent dans un cadre structurant et bienveillant. »

Un accueil bienveillant et en douceur

L’arrivée en urgence au SAU, dans des circonstances parfois dramatiques, peut être délicate : il s’agit tout d'abord de rassurer. « L’équipe est contenante, sécurisante, valorisante, et de façon continue, reprend Patrick Martin, psychologue. Cela favorise l’émergence d’une meilleure estime de soi. Le jeune expérimente, et parfois pour la première fois, que sa parole a de la valeur. Qu'il a des ressources, des capacités, des talents. Et qu'il mérite l’intérêt qu’on lui porte. » Après quelques jours de répit, le temps que le jeune prenne ses marques, le SAU s’assure que la scolarité puisse reprendre, parfois après un passage sur son dispositif de remobilisation scolaire. Un rythme se met en place, avec des heures de lever, de coucher, de repas, des activités. Le travail éducatif se fait au quotidien, dans tous les gestes banals de la vie, dans les interactions entre jeunes et avec les adultes.
L'équipe pluridisciplinaire du SAU de Meudon (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
L'équipe pluridisciplinaire du SAU de Meudon (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil

« Ce sont des enfants qui ne savent pas toujours quoi faire de leurs émotions, de leurs ressentis, poursuit Patrick Martin. Certains ont vécu l’inacceptable. Parfois la souffrance émerge de façon massive, par des comportements parfois eux-mêmes inacceptables. Tout cela s’explique. Il nous faut comprendre et accueillir toutes ces manifestations, non pas comme des attaques, mais comme des signaux clés qui vont nous permettre de poser un diagnostic éducatif et de construire des réponses adaptées. En voyant des adultes qui ne sont pas dans le rejet, le jeune perçoit ce changement de posture et celui lui permet de changer lui-même. L’esprit d’Apprentis d’Auteuil est là.  Nous avons une très grande confiance dans leur capacité à rebondir. »

Une page se tourne

Lorsque l’heure du départ a sonné, qu’une nouvelle équipe doit prendre le relais, l’équipe éducative organise une fête. « Puis, quand le jeune met sa valise dans le coffre de la voiture, tout le monde vient l’applaudir et lui souhaiter de bien poursuivre son chemin, raconte le directeur. C’est un moment riche en émotion et un rituel à la forte charge symbolique, qui marque qu’une étape a été passée. Nous lui disons que la porte est toujours ouverte. Et bien souvent, ceux qui sont passés au SAU reviennent nous raconter ce qu’ils sont devenus. Dans cette mission particulière, j’ai le sentiment de renouer avec l'histoire de la fondation, quand l’abbé Roussel puis le père Brottier accueillaient, eux aussi, des jeunes en urgence. »

(1)  Le prénom a été changé
LE SERVICE D'ACCUEIL D'URGENCE EN BREF
  • Deux unités de 12 places
  • 68 jeunes accompagnés en 2020
  • Moyenne d’âge : 15 ans
  • Durée de placement : trois mois renouvelables
  • Nombre de jours moyen d’accompagnement : 171, 27 jours (certains jeunes restent une journée, d’autres, exceptionnellement, deux ans)
TÉMOIGNAGES

Fares, 18 ans
Je viens d’Égypte. Quand je suis arrivé en France, j’avais 14 ans : je voulais aller à l’école, apprendre le français, et avoir un travail plus tard. C’est l’Aide sociale à l’enfance qui m’a placé au SAU en août 2017. J’ai été bien accueilli et protégé. Ils m’ont appris à parler français, ils m’ont permis d’aller à l’école. J’ai passé un CAP plomberie, et maintenant, j’ai du travail. Comme j’ai eu 18 ans, j’ai un contrat jeune majeur et je vis dans un foyer. Ma vie ? C’est mieux qu’avant. C’est ce que j’espérais. Sabri, 18 ans
J’avais 15 ans quand j’ai été orienté au SAU de Meudon. Les circonstances familiales - le divorce conflictuel de mes parents - m’ont amené à demander mon placement. La situation était tellement handicapante... Je ne pouvais plus continuer comme cela. J’avais déjà été repéré par les services sociaux, car j’avais fugué en 2016. Un suivi social avait été mis en place. Le juge des enfants suivait la situation de très près. J’avais besoin d’être mis à l’écart, de toute urgence. Mon petit frère, qui a cinq ans de moins que moi, et moi, avons été placés dans deux endroits différents. Je suis resté 13 mois au SAU, le temps de me trouver un foyer.
Je me suis habitué aux règles, aux jeunes, aux éducs. Ce n’était pas si strict, il fallait respecter les règles de base, les horaires, les tâches (mettre la table, débarrasser etc.) Il y avait beaucoup d’activités aussi, des sorties, du sport. Pour le scolaire, j’ai fait le choix de rester dans mon ancien établissement à Clichy où j’étais en 2nde générale, même si j’avais 2 h 30 de transport par jour. Je suis actuellement en 1re scientifique dans un lycée à Rueil-Malmaison.
Le passage au SAU m’a fait du bien. Dans ma famille, j’étais tellement mal. Être au SAU n’est ni dur, ni facile : cela permet de revivre une vie normale, de se poser quand ça ne se passe pas très bien dans notre vie. Moi, j’avais fait deux ans de dépression. C’est aussi un endroit où l’on apprend des choses qu’on n’a pas apprises avant, concernant l’autonomie par exemple : rendre des services, faire les tâches ménagères, gérer son budget, aller quelque part tout seul. Au SAU, ils sont très à l’écoute, très attentifs. J’avais de bonnes relations avec le psy et je pouvais me confier à certains éducs aussi. Cela m’a aidé à me sentir mieux pour poursuivre mon chemin. Je ne sais pas ce que je serais devenu sinon.

Mamoudou, 16 ans
Je viens de Guinée Conakry. Je n’allais pas à l’école, car ma belle-famille ne voulait pas. Et puis un jour, j’ai été envoyé ici en France avec mon frère sans qu’on me dise où je partais. J’avais 13 ans. L’Aide sociale à l’enfance m’a amené au SAU, j’y suis resté 3 mois, ça s’est bien passé. Ce sont les éducateurs du SAU qui m’ont fait découvrir la France. Ici, j’ai trouvé des repères, j’ai envisagé un métier et un avenir. Maintenant, je suis en 2e année bac pro Technicien en installation des systèmes énergétiques et climatiques, en alternance. Je perçois un petit salaire pour me nourrir et payer un loyer. Je suis logé dans un studio et suivi par les éducateurs. Pour la vie quotidienne, je suis autonome. J’aurai 17 ans au mois de mai. Encore une année, et je pourrai travailler. C’est un beau métier, plombier chauffagiste. Il y a toujours du boulot. Dans quelques années, je voudrais être un super bon professionnel, fonder une famille, rester en France.