Plaidoyer

Assurons l'avenir des mineurs isolés étrangers !

Le 4 février, le comité des droits de l'enfant de l'ONU a adressé des recommandations à destination de la France, concernant l'application de la Convention internationale des droits de l'enfant. Sur le sujet des mineurs isolés étrangers, le comité s'inquiète de la capacité de la France à répondre à ses obligations. Nicolas Truelle, directeur général d'Apprentis d'Auteuil, s'alarme.

Nicolas Truelle

Le 4 février, le comité des droits de l'enfant de l'ONU a rendu publiques ses recommandations à la France sur son application de la Convention internationale des droits de l'enfant, instrument qui vise à protéger et promouvoir les droits des enfants et que la France a ratifié il y a 25 ans (1). Les experts ont exprimé leur inquiétude quant au sort des mineurs isolés étrangers et ont invité l'Etat français à mettre à disposition des ressources humaines, techniques et financières suffisantes afin d'assurer notamment leur "accompagnement social, [leur] éducation, et [leur] formation professionnelle" (2). Dans une autre recommandation (3), le Comité appelle le gouvernement à mettre les moyens nécessaires en faveur de la protection de l'enfance, pour faciliter l'intégration sociale des mineurs, "y compris pour ceux se rapprochant de l'âge de la majorité". 

Protéger les mineurs sans distinction de nationalité

En effet, l'article 20 de la convention stipule que "tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, (...) a droit à une protection et une aide spéciales de l'Etat", rendant ainsi le principe de protection de tout mineur, sans distinction de nationalité, juridiquement contraignant. Alors que les vagues migratoires de ces derniers mois sont inégalées en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale (4), et que les pays de l'Union Européenne sont de plus en plus débordés par l'afflux de jeunes migrants (5), l'application de cette Convention est plus que jamais indispensable.  En France, leur prise en charge est assurée dans le cadre de la protection de l'enfance qui leur est garantie du fait de leur situation de mineur. Ils apprennent à lire, écrire, compter pour ceux qui en ont besoin. Ils sont accompagnés sur le plan éducatif et soutenus pour surmonter les traumatismes éventuels qu'ils ont subis. Ils apprennent le français, sont formés et préparés à un métier.  Tout cela suppose un accompagnement sans faille de la part des nombreux professionnels, éducateurs, professeurs, psychologues, travailleurs sociaux, qui les suivent. Ce travail quotidien mené par un grand nombre d'associations et de fondations - Apprentis d'Auteuil accompagne 700 mineurs par an depuis le début des années 2000 - engage les équipes bien au-delà de la transmission de compétences de base et d'une formation. Il s'agit avant tout pour elles de créer, autour de ces jeunes, les liens sociaux qui leur font défaut à leur arrivée en France, de les ouvrir aux autres et à la société qui les accueille.

Une soif d'apprendre et de s'insérer

Cet accompagnement global couplé à l'engagement et à la volonté d'intégration de ces jeunes produit des résultats probants. Leur soif d'apprendre et de s'insérer est telle qu'ils accomplissent bien souvent des parcours remarquables. Ils obtiennent généralement de bons résultats scolaires et apportent une ouverture culturelle à leur entourage.  Pourtant, les tensions actuelles à l'entrée sur le marché du travail, le durcissement des règles de régularisation, l'augmentation des délais d'obtention de titres de séjour - que l'on soit demandeur d'asile ou non - freinent, voire annihilent, les espoirs de ces jeunes de pouvoir rendre à la société française ce qu'elle leur a donné : des compétences, une envie de travailler, de s'insérer, de faire leur vie sur notre territoire. Ainsi, dès avant leur majorité, lorsqu'ils souhaitent se former via un apprentissage ou un contrat de professionnalisation, nécessitant des périodes d'alternance en entreprise en tant que salariés, ces jeunes en sont souvent empêchés par une interprétation rigoriste des textes du code du travail régissant ces situations.

Des situations ubuesques

Une fois la majorité atteinte, ces jeunes étrangers isolés ne relèvent plus de la protection de l'enfance et sont tenus de régulariser leur situation. Or, avec un taux élevé de rejet des demandes d'asile faisant de la France l'un des pays les plus restrictifs en Europe, et des délais de régularisation excessivement longs (deux ans en moyenne) (6), l'obtention d'une carte de séjour se révèle être très difficile et de nombreux jeunes ne peuvent y prétendre. Ils se retrouvent alors dans des situations ubuesques, où bien que formés et motivés, ayant des propositions d'embauche, y compris en intérim sur des métiers en tension, ils sont contraints d'y renoncer, de quitter le territoire et d'errer bien souvent en Europe comme "sans-papiers". Dans le cas où ils ne sont pas expulsés, ils doivent attendre d'interminables mois, voire années avant de pouvoir entrer sur le marché du travail. La tentation est forte alors, de choisir des modalités de travail illégales pour rester sur le territoire français, avec les risques induits pour eux comme pour la société française : clandestinité, isolement, délinquance, et ceci après avoir pendant plusieurs années suivi des parcours de formation et d'insertion structurés, encadrés, financés dans le cadre de politiques publiques.

Un pur gâchis

Ces jeunes sont prêts à participer à l'essor économique de la France par une activité rémunérée et le paiement d'impôts, mais en sont empêchés. Ainsi, ne pas prendre en compte la suite du parcours de ces mineurs isolés étrangers, alors même que les départements, les régions, l'Etat, investissent en amont sur leur formation et leur intégration est un pur gâchis, pour eux comme pour la société française. Par ailleurs, cette réponse est un non-sens pour les travailleurs sociaux et éducateurs qui voient leur professionnalisme et leur adhésion au pacte social totalement remis en question.  Il parait donc essentiel de redéfinir les modalités de prise en charge de ces jeunes. Alors qu'ils sont encore mineurs, un projet d'insertion et d'intégration (en France ou dans leur pays d'origine pour ceux qui le souhaitent) doit être construit en amont, avec les acteurs de la protection de l'enfance, en lien avec les professionnels de l'insertion.

Faire davantage pour les mineurs étrangers

Un volet "régularisation" doit également être intégré et non pas optionnel dans l'accompagnement de ces jeunes. Une fois leur majorité atteinte, et pour ceux qui souhaitent rester en France, tout doit être mis en œuvre pour que ces jeunes aient accès aux dispositifs de droit commun. La France peut s'honorer d'avoir été un des états premiers signataires de la Convention internationale. Alors que le comité des droits de l'enfant l'interpelle aujourd'hui sur ses obligations, elle doit faire mieux et davantage pour les jeunes mineurs étrangers et leur insertion réelle dans la société française. (1) Le 2 juillet 1990
(2) CRC/C/FRA/CO/5, para 73 (phrase traduite de l'anglais)
(3) CRC/C/FRA/CO/5, para 53 (e) (phrase traduite de l'anglais)
(4) Dimitris Avramopoulos, Commissaire européen à l'Immigration, vendredi 14 août 2015.
(5) Selon Eurostat, le nombre de mineurs isolés étrangers arrivé sur le territoire européen a pratiquement doublé entre 2013 et 2014
(6) Cour des Comptes, référé du 30 juillet 2015 sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile.